L'austérité, une catastrophe pour la Grande-Bretagne

Lundi 25 Mai 2015

LONDRES – Niall Ferguson, un historien spécialisé en économie, me rappelle un autre historien, feu A.J.P. Taylor, originaire d'Oxford. Ce dernier disait qu'il essayait de dire la vérité dans ses écrits, mais il était prêt à jouer avec les faits pour la bonne cause. Ferguson est lui aussi un merveilleux historien, mais dénué de scrupules quand il s'agit de politique.


L'austérité, une catastrophe pour la Grande-Bretagne
Partisan d'un néo-conservatisme à l'américaine, il a horreur de Keynes et des keynésiens. Après la récente élection au Royaume-Uni, il a pris une fois encore la défense de l'austérité en écrivant dans le Financial Times que "les travaillistes devraient faire porter la responsabilité de leur défaite sur Keynes".
Son attitude ressemble à celle d'un policier violent qui justifierait son comportement en disant que la victime est encore en vie. Pour défendre la politique du Chancelier de l'Echiquier, George Osborne, il souligne que la croissance de l'économie britannique a été de 2,6% l'année dernière (le meilleur résultat des pays du G7), sans mentionner les dégâts que cette politique a infligé au redémarrage de l'économie.
Mais il a désaccord quant à l'étendue de ces dégâts Le Bureau de la responsabilité budgétaire (une agence indépendante créée par Osborne pour évaluer la politique macroéconomique du gouvernement) a conclu récemment  que l'austérité s'est traduite par une baisse de 2% de la croissance du PIB entre 2010 et 2012, soit un coût cumulé de 5% du PIB depuis 2010. Selon Simon Wren-Lewis  de l'université d'Oxford, son coût s'élèverait à 15% du PIB et d'après une récente enquête du Centre pour la macroéconomie, deux tiers des économistes britanniques estiment que l'austérité a nui à l'économie britannique.
La Grande-Bretagne n'est pas la seule dans ce cas. Dans son numéro d'octobre 2012 de Perspectives de l'économie mondiale, le FMI reconnaît que les multiplicateurs budgétaires ont été sous-estimés. Autrement dit les prévisionnistes ont sous-estimé le volume des capacités inutilisées, et de ce fait l'étendue de l'expansion budgétaire nécessaire pour accroître la production.
Etait-ce une erreur de bonne foi ou bien les prévisionnistes étaient-ils prisonniers de modèles économiques reposant sur le plein emploi, auquel cas le seul résultat de l'expansion budgétaire est l'inflation ? Ils auraient dû en tirer la leçon et Ferguson aussi.
Son manque de scrupule est tel qu'il ne prend pas en compte l'impact de la Grande récession sur l'économie et sur les attentes des entreprises. C'est ainsi qu'il compare la croissance de 2,6% en 2014 avec la contraction de 4,3% en 2009 qu'il présente comme la dernière année entière de gouvernement travailliste - comme si sa politique était à l'origine de l'effondrement de la croissance. De la même manière, il écrit qu'à "aucun moment après mai 2010 la confiance n'est redescendue aussi bas qu'elle ne l'a été au cours des deux dernières années catastrophiques du gouvernement de Gordon Brown" - comme si c'était ce dernier qui était à l'origine de la chute de la confiance des entreprises.
Son affirmation selon laquelle l'échec électoral des travaillistes est dû à Keynes est des plus étranges. D'autant que pendant leur campagne, les travaillistes ont tout fait pour prendre de la distance à l'égard de toute forme de déformation de la pensée keynésienne. Qualifiant de désastreuse leur politique avant et pendant la crise financière, peut-être Ferguson veut-il dire que l'association passée des travaillistes avec les théories de Keynes les condamne à tout jamais. 
En réalité les derniers gouvernements travaillistes n'étaient absolument pas keynésiens. Leur politique monétaire était conçue pour atteindre une inflation de 2% et leur politique budgétaire pour rééquilibrer le budget au cours du cycle des affaires - un programme  macroéconomique classique avant que la récession ne frappe. Le plus grand reproche qu'on peut leur adresser est d'avoir cru à l'autorégulation des marchés financiers - une idée rejetée par Keynes.
Ce dernier n'est pas responsable de la défaite des travaillistes, elle est due en grande partie à l'Ecosse ; il ne leur est resté qu'un siège après la victoire écrasante du parti national écossais (SNP). On peut trouver plusieurs explications à cette victoire, mais le SNP est lui aussi opposé à l'austérité. Quant aux conservateurs, ils n'ont pas mieux fait que les travaillistes.
Nicola Sturgeon, Premier ministre d'Ecosse et dirigeante du SNP, s'en est prise au  "consensus confortable" de Westminster autour de la consolidation budgétaire. Le déficit, a-t-elle déclaré à juste titre, est le "symptôme de difficultés économiques, pas simplement leur cause". Le manifeste du SNP promettait au moins 140 milliards de livres (195 milliards d'euros) d'investissements supplémentaires dans tout le Royaume-Uni en faveur de la formation professionnelle et des infrastructures.
Le SNP a réussi un si beau score avec un programme "keynésien" d'expansion budgétaire, mais les travaillistes auraient sans doute mieux fait s'ils avaient défendu plus vigoureusement leur propre bilan et s'étaient montrés plus agressifs à l'égard de la politique d'austérité d'Osborne. C'est ce que disent aujourd'hui des dirigeants travaillistes tels qu'Alistair Darling, le chancelier de l'Echiquier de Gordon Brown. Mais ils n'ont semble-t-il guère eu d'influence sur les deux architectes de la stratégie électorale des travaillistes, Ed Miliband et Ed Balls, qui se font maintenant très discrets.
Ce que les conservateurs ont réussi, et brillamment réussi, a été de persuader le peuple anglais qu'ils étaient les seuls capables de "réparer le désordre créé par les travaillistes" et que sans l'austérité, la Grande-Bretagne "aurait suivi le même chemin que la Grèce" - exactement le point de vue de Ferguson.
On pourrait s'en tenir au résultat des urnes, mais ce serait une erreur de croire que le discours des conservateurs est la fin de l'histoire. C'est avant tout un discours de propagande, sans grand support théorique, mais avec des effets dévastateurs.
Cela aurait été sans grande importance s'il y avait eu un changement de gouvernement. Mais Osborne est de retour comme chancelier et il promet encore davantage de coupes budgétaires pour les 5 prochaines années. Et du fait de l'Allemagne, l'austérité reste la doctrine dominante dans la zone euro. Aussi, en l'absence de contre-propositions convaincantes, les dégâts vont-ils sans doute s'étendre et les victimes de l'austérité souffrir encore davantage.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Robert Skidelsky, membre de la Chambre des lords britannique, est professeur émérite d’économie politique à l’université de Warwick.
 
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