La fenêtre de tir n’est pas infinie. La trajectoire du service de la dette pour 2026–2027 devient difficilement soutenable sans injections extérieures significatives. Les marchés l’ont compris : l’accès aux eurobonds reste fermé, et les taux domestiques ne refluent pas, pénalisant l’investissement privé.
Le pays se retrouve avec un mur de liquidité que les discours ne peuvent pas franchir : les marchés sont fermés, les taux domestiques flambent, le système bancaire est surexposé à l’État, et chaque mois qui passe réduit la marge de manœuvre. À mesure que s’accumulent les signaux d’alerte sur la trajectoire budgétaire du Sénégal, une question jusqu’ici impensable s’invite désormais au cœur du débat économique : le pays devra-t-il restructurer sa dette pour éviter l’asphyxie financière ?
Le problème n’est pas seulement l’ampleur de la dette, mais sa structure. Le Sénégal doit affronter un mur d’échéances à court terme, à un moment où son coût de refinancement a bondi. Autrement dit : le risque n’est pas l’insolvabilité mais la liquidité. C’est exactement ce qui mène, dans nombre de pays émergents, à des restructurations forcées lorsqu’aucune alternative coordonnée n’est pas trouvée à temps.
Restructuration ?
Une restructuration de dette consiste à renégocier avec les créanciers les conditions de remboursement d’une dette publique (cela peut se traduire par : une réduction du principal, un allongement des maturités, une baisse des taux, un report des paiements, un échange d’instruments, etc). Les modalités typiques tournent autour du refinancement / reprofilage qui consiste à allonger les maturités et/ou réduire le fardeau des paiements à court terme ; une réduction qui revient à diminuer la valeur nominale de la dette (souvent difficile à négocier) ; un rachat ou échange de dette qui, comme son nom l’indique, consiste à échanger des titres existants contre de nouveaux, avec des conditions modifiées.
Des institutions internationales ou des coalitions de créanciers (bilatéraux, privés, multilatéraux) peuvent être impliquées, mais il faut dire que les cadres actuels de restructuration montrent leurs limites.
La voie délicate d’évitement
Ne rien faire revient à accepter un coût de financement durablement élevé, des arbitrages budgétaires de plus en plus douloureux, et un risque de défaut désordonné. L’un des dangers du statu quo réside dans le nexus banque–État, la « boucle fatale », ce lien de dépendance où les banques détiennent une grande partie de la dette souveraine. Si l’État perd l’accès au financement ou si les taux s’envolent, la valeur des obligations détenues par les banques chute. Leur bilan se détériore, et l’État doit alors… les soutenir. La boucle est alors bouclée et peut devenir une spirale systémique.
La question n’est plus : “faut-il restructurer ?” C’est : “Peut-on encore l’éviter ? ». La réponse est « Oui ».
Une voie existe, extrêmement étroite, mais encore ouverte, à condition d’agir immédiatement et obtenir un accord rapide et ambitieux avec le FMI. Pas une version « light », un vrai programme ; presque dans le même temps, il faut des financements concessionnels massifs des bailleurs, obtenus par transparence totale sur les engagements de l’État ; des opérations techniques pour allonger rapidement les maturités domestiques afin d’éviter l’écroulement des banques ; enfin des arbitrages politiques tranchés, loin du confort politique.
C’est seulement à ces conditions, simultanées et rapides, que le Sénégal peut couvrir son besoin de financement des 12–18 prochains mois sans passer par une restructuration formelle.
L’illusion dangereuse
Face à l’équation, deux tentations menacent : parier sur les recettes gazières futures pour « tenir » ; ou se contenter de mesures budgétaires graduelles sans ancrage multilatéral fort.
Il serait illusoire (et dangereux) de croire que quelques cargaisons de gaz en 2025–2026 suffiront à payer les intérêts de la dette, refinancer les eurobonds et recapitaliser les banques fragilisées. Les recettes gazières arriveront, oui. Mais elles arriveront trop lentement, trop modestement, et trop tard pour résoudre une crise de liquidité qui se joue maintenant.
Par ailleurs, parier sur l’« austérité » est tout aussi illusoire. Le pays ne peut pas réduire le déficit assez vite sans briser une économie déjà sous tension. Les effets seraient clairs : récession, chômage, colère sociale.
Les expériences internationales le montrent : ces stratégies mènent généralement à un défaut désordonné, plus coûteux qu’une restructuration anticipée et mieux encadrée. Qui permettrait de stopper l’hémorragie et de restaurer une trajectoire de dette soutenable, même si son coût en réputation et en accès aux marchés resterait significatif.
La pilule est amère
La restructuration n’est pas cependant un remède magique, au contraire, elle présente des coûts réels et des dangers. Lorsqu’un pays restructure, les agences et les investisseurs considèrent souvent cela comme un signe de risque accru, ce qui peut entraîner une hausse des spreads (coût d’emprunt plus élevé) à l’avenir. L’accès aux marchés financiers internationaux peut rester bloqué longtemps (voire définitivement), ce qui restreint la capacité à lever des fonds.
Si la restructuration allonge les maturités mais maintient un taux élevé, le coût total sur la durée peut être plus élevé. Pour les dettes intérieures, la structure bancaire nationale peut être fragilisée : les banques sont exposées à la dette publique (un défaut ou un reprofilage pourrait fragiliser le secteur bancaire). C’est l’effet nexus banque-État, ou “boucle fatale”.
Par ailleurs, la restructuration est souvent accompagnée d’un programme d’ajustement. En clair, c’est un néo-Programme d’ajustement structurel (PAS), comme le Sénégal en a connu dans les années 1990 : austérité, compression des dépenses publiques, hausse des impôts, réformes structurelles. Juste moins idéologiques, davantage ciblés, plus sensibles à l’impact social, adossés à une analyse de soutenabilité de la dette.
Le Sénégal peut encore éviter cette trajectoire. Mais s’il doit restructurer, il devra accepter une discipline macroéconomique comparable, dans l’esprit, à celle qu’il a connue par le passé.
Sans compter le risque de perte de souveraineté perçue à travers une dépendance accrue à des bailleurs, conditionnalités, surveillance (ce qui peut être mal perçu localement).
Il s’y ajoute que si le pays est dans une zone monétaire ou économique (par exemple UEMOA), une restructuration peut fragiliser l’ensemble du système bancaire ou financier régional. Pour les banques locales, cela peut entraîner une perte massive de valeur des actifs souverains, potentiellement un défaut bancaire, et des crises de crédit internes.
La question centrale : éviter ou assumer ?
Tout l’enjeu tient au temps. Le Sénégal n’est pas encore au pied du mur, mais y marche vite. Les 3 à 6 prochains mois sont décisifs. L’obtention d’un accord avec le FMI, la mobilisation de financements concessionnels et la transparence complète sur les engagements de l’État sont des prérequis pour éviter une dégradation rapide de la situation.
Le pays se trouve dans un moment de vérité. La restructuration n’est ni un aveu d’échec ni une catastrophe. Elle est parfois l’outil le plus rationnel pour éviter l’asphyxie et retrouver une trajectoire viable. Loin du fantasme d’économistes pessimistes, ce n’est pas le pire des scénarios.
Le pire serait d’y arriver contraint, tard, dans la panique, après avoir épuisé toutes les lignes de crédit, pressuré le secteur bancaire et détruit la confiance des investisseurs.
Aussi, la stratégie de l’évitement à tout prix serait « suicidaire » sans disposer des outils nécessaires, en opérant un virage rapide, cohérent et coordonné.
Sans cela, la discussion cessera d’être une hypothèse pour devenir une étape obligée. Ce n’est plus un tabou, c’est un choix stratégique.
Malick NDAW
Le pays se retrouve avec un mur de liquidité que les discours ne peuvent pas franchir : les marchés sont fermés, les taux domestiques flambent, le système bancaire est surexposé à l’État, et chaque mois qui passe réduit la marge de manœuvre. À mesure que s’accumulent les signaux d’alerte sur la trajectoire budgétaire du Sénégal, une question jusqu’ici impensable s’invite désormais au cœur du débat économique : le pays devra-t-il restructurer sa dette pour éviter l’asphyxie financière ?
Le problème n’est pas seulement l’ampleur de la dette, mais sa structure. Le Sénégal doit affronter un mur d’échéances à court terme, à un moment où son coût de refinancement a bondi. Autrement dit : le risque n’est pas l’insolvabilité mais la liquidité. C’est exactement ce qui mène, dans nombre de pays émergents, à des restructurations forcées lorsqu’aucune alternative coordonnée n’est pas trouvée à temps.
Restructuration ?
Une restructuration de dette consiste à renégocier avec les créanciers les conditions de remboursement d’une dette publique (cela peut se traduire par : une réduction du principal, un allongement des maturités, une baisse des taux, un report des paiements, un échange d’instruments, etc). Les modalités typiques tournent autour du refinancement / reprofilage qui consiste à allonger les maturités et/ou réduire le fardeau des paiements à court terme ; une réduction qui revient à diminuer la valeur nominale de la dette (souvent difficile à négocier) ; un rachat ou échange de dette qui, comme son nom l’indique, consiste à échanger des titres existants contre de nouveaux, avec des conditions modifiées.
Des institutions internationales ou des coalitions de créanciers (bilatéraux, privés, multilatéraux) peuvent être impliquées, mais il faut dire que les cadres actuels de restructuration montrent leurs limites.
La voie délicate d’évitement
Ne rien faire revient à accepter un coût de financement durablement élevé, des arbitrages budgétaires de plus en plus douloureux, et un risque de défaut désordonné. L’un des dangers du statu quo réside dans le nexus banque–État, la « boucle fatale », ce lien de dépendance où les banques détiennent une grande partie de la dette souveraine. Si l’État perd l’accès au financement ou si les taux s’envolent, la valeur des obligations détenues par les banques chute. Leur bilan se détériore, et l’État doit alors… les soutenir. La boucle est alors bouclée et peut devenir une spirale systémique.
La question n’est plus : “faut-il restructurer ?” C’est : “Peut-on encore l’éviter ? ». La réponse est « Oui ».
Une voie existe, extrêmement étroite, mais encore ouverte, à condition d’agir immédiatement et obtenir un accord rapide et ambitieux avec le FMI. Pas une version « light », un vrai programme ; presque dans le même temps, il faut des financements concessionnels massifs des bailleurs, obtenus par transparence totale sur les engagements de l’État ; des opérations techniques pour allonger rapidement les maturités domestiques afin d’éviter l’écroulement des banques ; enfin des arbitrages politiques tranchés, loin du confort politique.
C’est seulement à ces conditions, simultanées et rapides, que le Sénégal peut couvrir son besoin de financement des 12–18 prochains mois sans passer par une restructuration formelle.
L’illusion dangereuse
Face à l’équation, deux tentations menacent : parier sur les recettes gazières futures pour « tenir » ; ou se contenter de mesures budgétaires graduelles sans ancrage multilatéral fort.
Il serait illusoire (et dangereux) de croire que quelques cargaisons de gaz en 2025–2026 suffiront à payer les intérêts de la dette, refinancer les eurobonds et recapitaliser les banques fragilisées. Les recettes gazières arriveront, oui. Mais elles arriveront trop lentement, trop modestement, et trop tard pour résoudre une crise de liquidité qui se joue maintenant.
Par ailleurs, parier sur l’« austérité » est tout aussi illusoire. Le pays ne peut pas réduire le déficit assez vite sans briser une économie déjà sous tension. Les effets seraient clairs : récession, chômage, colère sociale.
Les expériences internationales le montrent : ces stratégies mènent généralement à un défaut désordonné, plus coûteux qu’une restructuration anticipée et mieux encadrée. Qui permettrait de stopper l’hémorragie et de restaurer une trajectoire de dette soutenable, même si son coût en réputation et en accès aux marchés resterait significatif.
La pilule est amère
La restructuration n’est pas cependant un remède magique, au contraire, elle présente des coûts réels et des dangers. Lorsqu’un pays restructure, les agences et les investisseurs considèrent souvent cela comme un signe de risque accru, ce qui peut entraîner une hausse des spreads (coût d’emprunt plus élevé) à l’avenir. L’accès aux marchés financiers internationaux peut rester bloqué longtemps (voire définitivement), ce qui restreint la capacité à lever des fonds.
Si la restructuration allonge les maturités mais maintient un taux élevé, le coût total sur la durée peut être plus élevé. Pour les dettes intérieures, la structure bancaire nationale peut être fragilisée : les banques sont exposées à la dette publique (un défaut ou un reprofilage pourrait fragiliser le secteur bancaire). C’est l’effet nexus banque-État, ou “boucle fatale”.
Par ailleurs, la restructuration est souvent accompagnée d’un programme d’ajustement. En clair, c’est un néo-Programme d’ajustement structurel (PAS), comme le Sénégal en a connu dans les années 1990 : austérité, compression des dépenses publiques, hausse des impôts, réformes structurelles. Juste moins idéologiques, davantage ciblés, plus sensibles à l’impact social, adossés à une analyse de soutenabilité de la dette.
Le Sénégal peut encore éviter cette trajectoire. Mais s’il doit restructurer, il devra accepter une discipline macroéconomique comparable, dans l’esprit, à celle qu’il a connue par le passé.
Sans compter le risque de perte de souveraineté perçue à travers une dépendance accrue à des bailleurs, conditionnalités, surveillance (ce qui peut être mal perçu localement).
Il s’y ajoute que si le pays est dans une zone monétaire ou économique (par exemple UEMOA), une restructuration peut fragiliser l’ensemble du système bancaire ou financier régional. Pour les banques locales, cela peut entraîner une perte massive de valeur des actifs souverains, potentiellement un défaut bancaire, et des crises de crédit internes.
La question centrale : éviter ou assumer ?
Tout l’enjeu tient au temps. Le Sénégal n’est pas encore au pied du mur, mais y marche vite. Les 3 à 6 prochains mois sont décisifs. L’obtention d’un accord avec le FMI, la mobilisation de financements concessionnels et la transparence complète sur les engagements de l’État sont des prérequis pour éviter une dégradation rapide de la situation.
Le pays se trouve dans un moment de vérité. La restructuration n’est ni un aveu d’échec ni une catastrophe. Elle est parfois l’outil le plus rationnel pour éviter l’asphyxie et retrouver une trajectoire viable. Loin du fantasme d’économistes pessimistes, ce n’est pas le pire des scénarios.
Le pire serait d’y arriver contraint, tard, dans la panique, après avoir épuisé toutes les lignes de crédit, pressuré le secteur bancaire et détruit la confiance des investisseurs.
Aussi, la stratégie de l’évitement à tout prix serait « suicidaire » sans disposer des outils nécessaires, en opérant un virage rapide, cohérent et coordonné.
Sans cela, la discussion cessera d’être une hypothèse pour devenir une étape obligée. Ce n’est plus un tabou, c’est un choix stratégique.
Malick NDAW


chroniques

