Trois chocs qui ont bouleversé le monde en 2025

Lundi 29 Décembre 2025

Cette année a vu s’effondrer les derniers piliers de l’ordre apparu à la fin du XXe siècle, que nous considérions comme un système mondial, et dont la vacuité a finalement été révélée. Trois coups ont suffi à le mettre à terre.


Le premier coup asséné à l’ordre mondial réside dans la victoire imminente de la Russie en Ukraine, sur l’ensemble des dirigeants européens. Durant près de quatre ans, l’Union européenne et l’OTAN se sont livrées à un double jeu périlleux. D’un côté, elles se sont engagées sur le plan rhétorique pour une victoire ukrainienne qu’elles n’étaient pas disposées à financer. De l’autre, elles ont exploité cette guerre sans fin pour promouvoir un nouveau consensus politique et économique interne : le keynésianisme militaire serait le dernier rempart contre la désindustrialisation de l’Europe.

Sur un continent au sein duquel les contraintes politiques paralysantes interdisaient tout investissement vert ou toute politique sociale financés par un déficit important, la guerre en Ukraine a fourni une puissante justification permettant d’orienter la dette publique vers le secteur militaro-industriel. La vérité inavouée résidait en ce qu’une guerre interminable remplissait une fonction essentielle : elle constituait le parfait moteur de relance keynésienne d’une économie européenne en pleine stagnation.

La contradiction était funeste : si la guerre en Ukraine se terminait par un accord de paix, il serait difficile de maintenir cette relance économique. D’un autre côté, remporter une victoire qui justifierait ces dépenses était jugé trop coûteux financièrement et trop risqué sur le plan géostratégique. L’Europe a par conséquent opté pour la pire stratégie possible : livrer juste assez d’équipements à l’Ukraine pour prolonger l’hémorragie sans en infléchir le cours.

La Russie étant désormais sur le point de l’emporter (un résultat prévisible, que le président américain Donald Trump n’a fait qu’accélérer), les plans les plus soigneusement élaborés de l’UE s’effondrent. L’Europe n’a pas de plan B pour la paix, dans la mesure où toute sa posture stratégique est devenue dépendante de la poursuite de la guerre. Quel que soit l’accord de paix sordide que le Kremlin et les hommes de Trump finiront par imposer à l’Ukraine, il ne se limitera pas à la reconfiguration d’une frontière. Que la Russie demeure ou non une menace pour l’Europe, cette dernière est sur le point de perdre le prétexte de son essor militaro-industriel naissant, ce qui laisse présager une nouvelle période d’austérité.

Le deuxième choc réside dans la victoire de la Chine dans sa guerre commerciale contre les États-Unis. La stratégie américaine, initiée sous la première administration Trump et intensifiée sous Joe Biden, consistait en une double offensive : barrières tarifaires destinées à paralyser l’accès de la Chine aux marchés, et embargos sur les semi-conducteurs ainsi que sur les outils de fabrication de pointe, afin de freiner l’ascension technologique chinoise. En 2025, cette stratégie a connu son propre Waterloo, dont l’Europe a de nouveau été la principale victime collatérale.

La Chine a magistralement riposté en deux temps. Elle a tout d’abord utilisé comme arme sa domination sur les terres rares et les minéraux critiques, provoquant une paralysie de la chaîne d’approvisionnement, qui a en fin de compte moins impacté le secteur américain de la fabrication verte que ceux de l’Europe et de l’Asie de l’Est. Dans un second temps, et c’est ce qui a le plus porté atteinte à la position des États-Unis en tant que leader mondial dans le domaine technologique, toute la nation chinoise s’est mobilisée en direction d’un seul objectif : l’autarcie technologique. Il en a résulté une accélération stupéfiante de la production nationale de puces, SMIC et Huawei réalisant des percées qui ont rendu l’embargo occidental mené par les États-Unis non seulement obsolète, mais également contreproductif.

Ce sont probablement les répercussions de ce deuxième choc qui se révéleront les plus durables. En 2025, les États-Unis ont démontré leur incapacité à ralentir l’ascension de la Chine, propulsant au contraire involontairement son secteur technologique vers l’indépendance totale. Quant à l’Europe, après avoir docilement imposé à la Chine les sanctions dictées par la Maison-Blanche, elle s’est retrouvée dans la pire des situations : de plus en plus exclue d’un lucratif marché chinois pour ses produits haut de gamme, sans pour autant bénéficier des généreuses subventions et avantages liés à la relocalisation prévus par la loi américaine sur la réduction de l’inflation, désormais abrogée. En choisissant d’agir en tant que sous-traitant stratégique des États-Unis, l’UE a accéléré sa propre désindustrialisation. Il ne s’agit pas d’une simple bataille perdue dans une guerre commerciale, mais d’un véritable échec et mat géopolitique, à l’issue d’une partie au cours de laquelle l’Europe n’aura joué que le rôle de pion de l’équipe défaite.

Le troisième choc réside dans la facilité avec laquelle Trump a remporté sa guerre des droits de douane contre l’UE. À l’issue de leur réunion dans l’un des complexes de golf de Trump, en Écosse, une rencontre orchestrée par la Maison-Blanche pour maximiser l’humiliation de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen  a difficilement présenté comme un « accord historique » un document de capitulation pure et simple. Les droits de douane sur les exportations européennes vers les États-Unis sont passés  d’environ 1,2 % à 15 %, voire 25 % et 50 % dans certains cas. Les droits de douane appliqués de longue date par l’UE sur les exportations américaines ont été supprimés. Enfin, la Commission s’est engagée à investir 600 milliards $ européens dans l’industrie américaine, sur le sol des États-Unis – un montant qui ne peut provenir que du détournement d’investissements principalement allemands, vers des installations de produits chimiques au Texas et des usines automobiles dans l’Ohio.

Il ne s’agit pas simplement d’un accord mal négocié. Ce traité consacre un véritable siphonnage de capitaux, sans précédent. Il formalise la transition de l’UE du statut de concurrent industriel à celui de suppliant. L’Europe devient ainsi une source de capitaux, un marché réglementé pour les produits américains, et un partenaire subalterne technologiquement dépendant. Pour ajouter l’insulte à l’affront, cette nouvelle réalité est codifiée dans un engagement contraignant, auquel les 27 États membres de l’UE ont désormais tous adhéré, qui dépouille l’Union de toute prétention à la souveraineté. Une partie des capitaux dont Trump a besoin pour consolider sa vision d’un monde du G2, structuré autour de l’axe Washington-Pékin, devra désormais contractuellement provenir d’Europe.

Ces trois chocs forment une trilogie synergique. La défaite de l’Europe en Ukraine révèle les angles morts stratégiques du bloc, et met à mal son projet militaire keynésien. L’acquiescement de Trump au président chinois Xi Jinping provoque un afflux d’exportations chinoises vers l’UE. Le racket survenu en Écosse coûte à l’Europe son capital accumulé, et tout espoir résiduel de parité.
Dans le monde du G2, le village planétaire envisagé est une arène dans laquelle l’UE et le Royaume-Uni errent désormais sans but. Un nouvel ordre mondial, plus dur et plus froid, s’est érigé sur la tombe de l’ambition européenne. Tel est l’enseignement durable de l’année 2025. À l’ère des luttes existentielles, la dépendance stratégique constitue le prélude à l’insignifiance.
Yanis Varoufakis, ancien ministre des Finances de la Grèce, est chef du parti MeRA25 et professeur d’économie à l’Université d’Athènes.
© Project Syndicate 1995–2025
 
Actu-Economie

La rédaction

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