DETTE COMMERCIALE DU SENEGAL : La nouvelle zone de turbulences

Vendredi 12 Décembre 2025

Le Sénégal ne carbure pas fort sur les marchés financiers internationaux. A mesure que se rapprochent les échéances 2026, les investisseurs cherchent à se débarrasser des prêts commerciaux du Sénégal qui se négocient actuellement à moins de 80 % de leur valeur nominale. Une première depuis plusieurs années.


DETTE COMMERCIALE DU SENEGAL : La nouvelle zone de turbulences
Lorsqu’un investisseur préfère vendre un prêt de 100 à seulement 80 plutôt que d’attendre le remboursement, c’est qu’il craint deux choses : soit un retard de paiement, soit une restructuration (rééchelonnement, extension de maturité, ou réduction du principal). Et quand cela touche des prêts de court terme, donc logiquement moins risqués, c’est encore plus fort.

Ce 11 décembre 2025, les prêts commerciaux, à court terme du Sénégal, segment discret mais explosif, sont proposés sur le marché secondaire à de fortes réductions, selon l’agence Reuters qui tient l’information de quatre sources du secteur financier, dont la Standard Chartered, un organisateur clé de prêts syndiqués, de crédits à l’exportation et de financement commercial structuré en Afrique, soulignant des inquiétudes quant à la capacité du pays à honorer ses obligations financières.

Les prêts sénégalais libellés en euros à échéance dès février, sont actuellement à 80 cents ou moins sur l’euro. Selon les sources, il est inhabituel que des prêts à maturités aussi courtes soient proposés à des prix aussi bas. Cette décote reflète la crainte d’un retard de paiement ou d’une éventuelle restructuration à l’approche de 2026, année où plusieurs échéances importantes arrivent à maturité.

Le prix des obligations d’État sénégalaises a également chuté ces dernières semaines.  L’échéance à plus courte date 2028 libellée en euros est offerte à environ 70 cents sur l’euro, tandis que les obligations en dollars et euros à échéance en 2031 et au-delà, sont offertes entre 54 et 61 cents, selon les données de Tradeweb, bien en dessous du seuil de 70 cents sous lequel la dette est considérée comme en difficulté.

Lorsque certains prêts commerciaux sénégalais arrivant à échéance en 2026 se vendre à 80 % de leur valeur nominale, cela veut dire une seule chose : une partie des investisseurs considère désormais la dette sénégalaise comme “en détresse”.
Ce n’est pas un jugement moral. C’est un jugement financier.
 
« Décote »
 
Cela signifie que l’investisseur qui rachète à 80 € espère que l’État paiera l’intégralité ou une grande partie de la créance à échéance, et qu’il gagnera une marge plus élevée que le taux d’intérêt d’origine.
 
Depuis quelques semaines, un mot revient dans les conversations des investisseurs, des bailleurs et des observateurs : « décote ».


Pour le Sénégal, ce n’est pas un détail technique : c’est le symptôme d’un malaise beaucoup plus profond. Et cela touche un angle souvent invisible du débat public : la dette commerciale internationale, celle que les marchés surveillent comme un sismographe.
En conséquence, le pays dépend davantage des prêts commerciaux et de la dette intérieure.

Sur les marchés, l’idée est répandue et les analystes et investisseurs estiment qu’il est de plus en plus probable que le gouvernement sénégalais doive restructurer  la dette, compte tenu de ses besoins croissants en financement et de l’absence de programme du FMI.
 
Le vrai nœud de la crise
 
Deux marchés, deux atmosphères.
Sur le marché sous-régional (UEMOA), les adjudications du Trésor sénégalais continuent d’être bien couvertes, avec des investisseurs fidèles et disciplinés. Et pour cause… Les banques de la zone disposent de liquidités placées « obligatoirement » dans les titres publics et fonctionnent dans un système stable piloté par la BCEAO, et ne se fondent pas forcément sur la perception internationale du risque souverain.

En revanche, si le marché international tire la sonnette d’alarme, c’est parce que le cœur du problème se trouve dans les prêts commerciaux contractés notamment entre 2019 et 2024, souvent auprès de banques internationales, et dont certains arrivent à échéance dès 2026.
La dette commerciale privée représente aujourd’hui une part importante du financement de l’État.
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Contrairement à la dette multilatérale ou bilatérale, ces prêts sont sensibles aux mouvements du marché et plus difficiles à restructurer en cas de tension.
Ces prêts représentent aujourd’hui l’un des principaux points de fragilité et ces chiffres racontent une réalité : le Sénégal s’est financé lourdement sur les marchés privés — un choix rapide, mais risqué.
 
 
2026 : le test de solvabilité
 
En clair, la crise tient dans une combinaison de facteurs.
D’abord en 2024, des déclarations malheureuses de plus de 11 milliards USD de dettes “cachées” ou mal comptabilisées. Pour les investisseurs, c’était un choc. Ils n’aiment pas les surprises.

S’en suivit la suspension du programme FMI avec le Sénégal, qui a été perçue comme un retrait du parapluie. Les investisseurs internationaux prêtent plus volontiers à un pays qui a l’« assurance » du FMI.

Enfin, une montagne d’échéances se dresse devant le Sénégal en 2026, année très lourde en remboursements commerciaux. Quand le marché sait qu’il reste deux ans avant une vague d’échéances, il commence à « repricer » le risque : d’où les décotes actuelles.

La question que tout le monde se pose

Le Sénégal est-il en mesure d’honorer ses engagements ? La réponse courte : oui, mais sous conditions. La réponse longue : cela dépend de trois leviers décisifs :
La capacité à refinancer sur le marché régional UEMOA, aujourd’hui solide, sauf que les taux remontent ; le retour d’un programme avec le FMI serait le signal le plus fort que le Sénégal pourrait envoyer aux investisseurs ; une gestion politique et budgétaire stable, avec une discipline budgétaire, une visibilité sur la dette, et politique énergétique cohérente.
Les marchés veulent de la prévisibilité et sans ces trois éléments, les décotes pourraient s’amplifier, entraîner des taux prohibitifs, et finalement pousser à une restructuration.

En réalité, la crise actuelle n’est pas une crise économique profonde ; c’est une crise de confiance, née d’un manque de visibilité. Pour retrouver la pleine maîtrise de son financement, le Sénégal devra remettre à plat sa dette publique (totale et contingente), clarifier son calendrier d’échéances, assainir la relation avec les bailleurs, sécuriser un mécanisme de financement pour PETROSEN et la production pétrolière/gazière, et surtout, reconstruire une relation de confiance avec les investisseurs.

Les décotes actuelles ne sont pas une condamnation ; elles sont un avertissement. Sans les conditions préalables, la dette commerciale pourrait devenir la faille par où les tensions se cristallisent.
Malick NDAW
 
Actu-Economie

La rédaction

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