Ce que Bill Gates ne voit pas dans le changement climatique

Mercredi 12 Novembre 2025

À la veille de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP30), qui se tient actuellement à Belém, au Brésil, Bill Gates, qui préside et finance la fondation qui porte son nom, a publié un essai intitulé "Trois dures vérités sur le climat". La première de ces vérités est la suivante : "Le changement climatique est un problème grave, mais il ne sonnera pas le glas de la civilisation.


M. Gates reconnaît que le changement climatique est "un problème très important", qu'il "doit être résolu" et que "chaque dixième de degré de réchauffement que nous évitons est extrêmement bénéfique parce qu'un climat stable permet d'améliorer la vie des gens". Néanmoins, le fait de dire que le changement climatique ne marquera pas la fin de la civilisation ne doit pas nous faire perdre de vue l'urgence qu'il y a à agir pour l'atténuer. Nous devrions donc nous demander si cette "vérité" est vraiment vraie.

M. Gates défend sa déclaration catégorique selon laquelle le changement climatique "ne sera pas la fin de la civilisation" en s'appuyant sur un graphique qui montre que même si les pays se contentent de continuer à agir comme ils le font actuellement, "le réchauffement de la planète sera probablement inférieur à 3 °C d'ici à 2100". Plus précisément, le graphique suggère que d'ici 2100, si les pays continuent à faire ce qu'ils font aujourd'hui, la température moyenne mondiale sera supérieure de 2,9 °C au niveau préindustriel.

Supposons que nous soyons d'accord sur le fait que, même si une augmentation de la température mondiale de 2,9°C rendrait certaines parties de notre planète inhabitables en raison de la chaleur extrême ou de l'élévation du niveau des mers, il en restera suffisamment pour permettre à la civilisation de se poursuivre. La question demeure : L'augmentation de la température s'arrêtera-t-elle à 2,9 °C ?

Pour démontrer que c'est le cas, M. Gates présente en détail les innovations technologiques qui, selon lui, pourraient nous permettre d'atteindre un niveau d'émissions nul avant la fin du siècle. Mais il oublie un élément essentiel. Pour s'en rendre compte, prenons un peu de recul.

La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), signée par 198 parties, dont tous les États membres des Nations unies, date du "Sommet de la Terre" qui s'est tenu à Rio de Janeiro en 1992. L'article 2 de la convention stipule que son objectif ultime est de "stabiliser les gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique".

La convention n'a pas fixé de limite précise quant à l'ampleur du réchauffement de la planète qui pourrait être toléré sans interférence anthropique dangereuse avec notre climat. Les pays avaient des points de vue différents à ce sujet et la science était encore en développement.

Dix-huit ans plus tard, cependant, lors de la 16e conférence des parties à la CCNUCC (COP16), à Cancún, les connaissances scientifiques étaient suffisamment avancées pour qu'il soit convenu que, pour éviter tout danger, le réchauffement de la planète devait être limité à 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Puis, en 2015, de nouvelles preuves montrant la menace de l'élévation du niveau de la mer pour les États insulaires de faible altitude, l'accord a été affiné lors de la COP21 à Paris pour maintenir l'augmentation à "bien en dessous" de 2°C tout en "poursuivant les efforts pour limiter l'augmentation de la température à 1,5°C".

Toutes les critiques formulées à l'encontre de la limite de 2°C ont porté sur le fait qu'elle était trop élevée. Par exemple, une étude d'experts réalisée sur deux ans a  indiqué à la CCNUCC en 2015 que "le concept de "garde-fou", selon lequel un réchauffement allant jusqu'à 2 °C est considéré comme sûr, est inadéquat et devrait donc plutôt être considéré comme une limite supérieure, une ligne de défense qui doit être rigoureusement défendue, alors qu'un réchauffement moindre serait préférable".

Aucun grand pays, ni aucun organisme d'experts faisant autorité, n'a suggéré que nous pourrions relever sans risque la limite de 2 °C. La principale raison n'est pas que le réchauffement est trop rapide, mais plutôt qu'il est trop rapide. La raison principale n'est pas que la civilisation sera incapable de survivre dans un monde plus chaud de 2°C que le monde préindustriel, ou que, comme le souligne M. Gates, il est plus facile d'améliorer la vie des gens lorsque le climat est stable.

La raison principale est qu'une fois que le réchauffement climatique dépasse les 2°C, le risque d'activer des boucles de rétroaction positives augmente considérablement. Ces boucles peuvent encore augmenter les températures mondiales même si, grâce aux innovations technologiques mentionnées par Gates, nous avons réduit à zéro les émissions dont l'homme est directement responsable.

Trois de ces boucles de rétroaction sont particulièrement importantes :
Lorsque nous incluons ces boucles et d'autres boucles de renforcement dans nos calculs, nous ne pouvons pas facilement ignorer la menace que le changement climatique fait peser sur l'avenir de la civilisation.

M. Gates cherche à atténuer la menace existentielle que représente le changement climatique afin de "placer le bien-être de l'homme au centre de nos stratégies climatiques". Mais cela ne nous dit pas dans quelle mesure nous devrions tolérer le risque de créer un climat qui sera désastreux pour le bien-être humain pendant les siècles à venir. Tolérer un réchauffement de 2,9 °C d'ici à 2100 pourrait, à long terme, être bien pire pour le bien-être humain que de faire tout ce qui est possible pour maintenir le réchauffement en dessous de 2 °C.
Peter Singer est professeur d'éthique médicale au Centre d'éthique biomédicale de l'Université nationale de Singapour et professeur émérite de bioéthique à l'Université de Princeton. Il est l'auteur de The Life You Can Save  (Hachette, 2019) et le fondateur de l'organisation  à but non lucratif du même nom.
© Project Syndicate 1995–2025
 
Actu-Economie

La rédaction

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