Mamadou Moustapha BA, Ministre des Finances et du Budget : Résilience et perspectives stables

Mercredi 11 Octobre 2023

Avant le vote de la loi de finances 2024, le Ministre des Finances et du Budget Mamadou Moustapha BA, dans l’interview exclusive qu’il a accordé au Journal de l’Economie Sénégalaise (LEJECOS), passe en revue, la situation des finances publiques de l’Etat et trace des perspectives rassurantes pour 2024, après les chocs exogènes subis par notre pays.

A l’occasion, il est revenu sur les grandes orientations de la politique de l’Etat qui a nécessité des interventions soutenues tant au niveau des politiques sectorielles que globalement dans le sens de l’atténuation des impacts sociaux induits par la conjoncture économique et sanitaire mondiale et de l’amorçage de grands projets structurant pour l’économie du Sénégal. D’où l’augmentation constatée du niveau d’endettement du pays qu’il juge à un niveau conforme aux engagements communautaires du Sénégal mais aussi vis à vis des partenaires techniques et financiers.
Entretien.


Mamadou Moustapha BA, Ministre des Finances et du Budget
Mamadou Moustapha BA, Ministre des Finances et du Budget
Monsieur le Ministre, la croissance économique du Sénégal s’est ralentie en 2022 dans un contexte complexe caractérisé par de fortes pressions inflationnistes, la hausse des prix mondiaux des produits de base, un régime pluviométrique défavorable et un ralentissement économique global lié à la crise Ukraine/Russie. Quelle lecture pourrait-on faire de la situation macroéconomique actuelle du Sénégal ? Quels sont les principaux défis à relever à court et moyen termes ?

 
Je tiens d’abord à vous remercier pour l’occasion que vous me donnez, et voudrais exprimer toute ma disponibilité à apporter les meilleures réponses à vos différentes questions pour éclairer la lanterne de nos compatriotes.
 
Sur la situation économique du Sénégal, objet de la première partie de votre question, je voudrais préciser que le monde continue encore de subir, de plein fouet, les conséquences conjuguées de la pandémie de Covid-19 et du conflit russo-ukrainien, qui n’épargnent aucun pays. Dans ce contexte, la croissance du Sénégal a certes fléchi, mais les fondamentaux sont restés solides. Le Sénégal a pu enregistrer, durant ces trois dernières années de crise, une croissance moyenne de 4% contre 2,6% au sein de la CEDEAO et 2,3% en Afrique subsaharienne. Ces résultats positionnent ainsi le Sénégal parmi les pays les plus résilients et performants du continent et cela, grâce à la stratégie de riposte mise en place, mais aussi et surtout aux acquis enregistrés dans le cadre de la mise en œuvre des deux Plans d’Actions prioritaires (PAP) du PSE (Plan Sénégal Emergent 2014-2035) dont le dernier (PAP-2 couvrant la période 2019-2023) a été ajusté et accéléré (avec le PAP2A) pour prendre en compte les enjeux liés à la souveraineté alimentaire et pharmaceutique. 
 
Parallèlement à cette résilience économique, l’Etat a réussi à prendre en charge les priorités et urgences sociales. Cela a été possible grâce à la mise en place de divers mécanismes de mobilisation de ressources, tant interne qu’externe, de redistribution et de ciblage des dépenses de soutien aux activités économiques informelles et aux ménages, notamment les plus vulnérables. Plus précisément, le Gouvernement a apporté un soutien important aux ménages et aux entreprises à travers un train de mesures comme : le report d'échéances fiscales, les transferts monétaires aux familles démunies, les subventions aux prix des produits alimentaires de base et énergétiques. Ces différentes actions ont permis de contenir l’inflation à un niveau soutenable pour les ménages.
 
Toutefois, ces efforts au plan social n’ont pas affecté le travail d’assainissement des finances publiques, notamment, avec une réduction constante et maîtrisée du déficit budgétaire et de la dette publique. Ainsi, malgré les fortes contingences, le déficit budgétaire est passé de 6,4% du PIB en 2020 à 6,3% en 2021 et à 6,1% en 2022. Pour 2023, le déficit est projeté à 4,9%. Quant à la dette de l’Etat central, elle demeure en deçà du plafond communautaire de 70%.
 
Cette même tendance favorable devrait être observée en 2023, en dépit du ralentissement de l'économie mondiale et du durcissement attendu des conditions financières, qui pèseront sur la reprise effective de l'activité économique interne. Sous ce rapport, la croissance du Produit intérieur brut (PIB) est projetée à 4,1% en 2023 et l’inflation tomberait à près de 5% contre près de deux chiffres à la fin de l’année 2022.
 
Les perspectives à moyen terme sont plus que favorables avec la production attendue d’hydrocarbures et les effets induits dans les différents secteurs de l’économie nationale, notamment, dans l’agriculture et l’industrie. Elles devraient nous amener à une croissance de l’ordre de 9% en 2024 et 11% en 2025, une inflation sous la barre de 3%, et une consolidation budgétaire en phase avec les critères de convergence de l’UEMOA et de la CEDEAO. Je précise que l’impact attendu de la production pétro-gazière du Sénégal doit être appréhendé au-delà de la simple perception des recettes   budgétaires. En fait, c’est près de 5000 milliards de F CFA d’impact sur l’économie sénégalaise.
 
Cette politique économique et financière vertueuse a, de ce point de vue, reçu un satisfécit interne, car ayant bénéficié à toutes les composantes de la population. Elle a   également été approuvée au niveau externe par nos divers partenaires techniques et financiers. C’est sous ce rapport, qu’il me plait d’apprécier positivement la conclusion du nouveau programme conclu avec le Fonds Monétaire International (FMI). Une équipe de cette Institution vient d’ailleurs de boucler une mission dans notre pays, du 31 août au 7 septembre 2023, à l’issue de laquelle, elle a salué les progrès réalisés dans la mise en œuvre des mesures de réforme convenues dans le cadre de ce programme.
 
Au total, comme vous le constatez, les perspectives nous rassurent, mais les défis qui nous interpellent sont exaltants. Cependant, avec l’engagement de tous, nous pouvons les relever.
 
 De ce point de vue, tous les acteurs de notre économie devraient se mobiliser, avec l’aide des pouvoirs publics, pour faire converger leurs efforts vers un seul et unique objectif qui vaille : faire émerger le Sénégal. En cela, je pense en particulier aux jeunes et aux femmes dont le dynamisme et la compétence sont unanimement reconnus.

 
Comparé à la loi de finance initiale (LFI) 2023, le projet de LFI 2024 devrait atteindre un montant de 7 000 milliards de FCFA, soit un quasi triplement en 12 ans du budget initial 2012, qui était d’un montant de 2 344,8 milliards FCFA. Pouvez-vous revenir sur les grandes orientations et priorités de ce budget ? N’est-il pas trop ambitieux dans un contexte de crise mondiale ?
 
S’agissant de l’année 2024, même si l’activité sera forcément influencée par le contexte mondial, elle devrait confirmer les signes encourageants que j’ai précédemment mentionnés.  Ainsi, avec le démarrage de la production des hydrocarbures, il est attendu la croissance qui atteindrait un niveau historique de 9,1%.
 
En terme de grandes orientations pour le projet de loi de finances à venir, elles sont centrées principalement autour du renforcement de la résilience des finances publiques. Cela se fera d’une part, à travers la mise en œuvre d’une stratégie de consolidation budgétaire et la poursuite des efforts entamés en vue d’améliorer l’efficacité des dépenses de l’Etat et, d’autre part, à travers la transparence dans la gestion des finances publiques et  la satisfaction de la demande sociale, qui est la clé de voûte des priorités sectorielles à inscrire dans les stratégies sectorielles.
 
A travers le levier d’actions de « renforcement de la résilience des finances publiques », le Gouvernement entend cumulativement, préserver la viabilité des finances publiques, d’une part, améliorer la notation souveraine de la dette publique d’autre part, et enfin, reconstituer les marges de manœuvre budgétaire érodées par les multiples chocs auxquels l’économie sénégalaise a fait face, afin de ramener le déficit budgétaire à 3% du PIB en 2025.
 
Cette résilience des finances publiques devra nécessairement passer par la mise en œuvre de la Stratégie de Recettes à Moyen Terme (SRMT) qui permettra d’atteindre à l’horizon 2024, un taux de pression fiscale de 20%. Pour rappel, cette SRMT est arrimée aux objectifs de la politique économique. Elle fédère et coordonne l’action des régies de recettes pour une mobilisation efficiente des ressources publiques.
 
Concernant la mobilisation des ressources extérieures, le Gouvernement compte intensifier les efforts pour améliorer considérablement le niveau d’absorption des fonds. A cet effet, il continuera à mener un plaidoyer auprès des partenaires au développement pour un assouplissement des conditionnalités et une simplification des procédures de décaissement. La même diligence sera observée pour une mise en œuvre de la règlementation nationale, notamment, en matière de passation de marchés.
 
En matière de dépenses, le Gouvernement s’engage à mettre en œuvre la feuille de route publiée en janvier 2023. Celle-ci vise à réduire progressivement les subventions à l’énergie à l’horizon 2025. Elles devraient ainsi être plafonnées à 2,7% du PIB en 2023 et à 1% en 2024. Il continuera, également, de veiller à l’efficacité de la dépense publique en dégageant des marges budgétaires suffisantes pour augmenter substantiellement les efforts de protection sociale et le soutien à l’emploi, mais aussi l’insertion socio-économique des jeunes.
 
Concernant les dépenses courantes, l’option de rationalisation retenue sera renforcée et poursuivie avec la réduction du train de vie de l’État et de son mode de gestion.  A ce propos, une priorité sera accordée à   certaines dépenses à caractère social.
Relativement à l’investissement, des efforts seront davantage consentis pour améliorer leur programmation en Autorisation d’Engagement (AE) et en Crédits de Paiement (CP) pour une meilleure soutenabilité budgétaire.
 
Au niveau sectoriel, on notera que les efforts de l’Etat seront davantage concentrés autour des services sociaux de base, de la souveraineté alimentaire, du soutien aux couches vulnérables et aux initiatives locales d’une part, de l’équité territoriale et de la promotion économique, ainsi que de la paix et de la sécurité d’autre part.
 
A cet effet, la politique de l’Etat sera poursuivie, notamment, pour améliorer l’accès aux soins de santé, à l’éducation, aux services énergétiques adéquats ainsi qu’aux systèmes d’eau et d’assainissement adaptés aux réalités locales.
 
Le Gouvernement entend ainsi, maintenir le cap pour relever le défi de la souveraineté alimentaire, à travers la diversification et la modernisation de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. La stratégie nationale de souveraineté alimentaire a connu de ce point de vue, son début d’exécution en 2023 et permettra d’accélérer, à terme, la marche vers la réalisation de cette souveraineté.
 
Toujours dans la continuité de la politique de soutien aux ménages les plus vulnérables, les mesures de soutien direct déjà initiées seront poursuivies à travers, entre autres, les bourses de sécurité familiale, la couverture maladie universelle, l’appui aux filets sociaux au nom des principes d’équité, de solidarité et de cohésion sociale, pour préserver ces couches vulnérables de la précarité.
 
Dans le domaine de l’équité territoriale, les mesures spécifiques requises seront prises, en vue d’accélérer l’exécution des différents projets socio-économiques à savoir, l’électrification et l’hydraulique rurale, la réalisation de pistes de désenclavement, d’écoles, d’infrastructures sanitaires et sportives, etc.). Ces mesures je le rappelle ont déjà été lancés à travers, notamment, les programmes de développement territorial (PUDC, PUMA, PROMOVILLES, PACASEN, PNDL).
 
La finalité de toutes ces orientations c’est bien entendu la promotion d’une croissance plus forte et plus inclusive, la dynamisation du secteur privé en vue de promouvoir les champions nationaux, le renforcement de la diversification de l’économie et sa transformation productive, et enfin, le renforcement des mécanismes de redistribution et de promotion de l’équité sociale et territoriale (marqueurs sociaux…) et de la gouvernance.
 
Comme on peut le constater, malgré les épisodes de crises économiques successives depuis 2020, l’économie sénégalaise a pu enregistrer des performances en matière de croissance, alors que dans le reste du monde, beaucoup de pays ont connu une décélération de la croissance de leurs économies. Certes, l’évolution de la croissance est erratique mais elle reste toujours positive.
 
Cette trajectoire s’inscrit en droite ligne des orientations de Monsieur le Président de la république Macky SALL, qui dès son accession à la magistrature suprême, a fixé très clairement un cap pour notre pays, celui d’atteindre l’émergence à l’horizon 2035. 
 
En conséquence, ce budget de 7 000 milliards de FCFA est certes ambitieux, mais il est réaliste et réalisable. Il est une illustration de cette vision et de cette ambition pour un Sénégal de tous, un Sénégal pour tous.

 
Le Gouvernement du Sénégal et le FMI ont conclu un nouveau programme économique et financier de trois (3) ans couvrant la période 2023-2026. Quels sont les secteurs prioritaires ciblés ?
 
En effet, pour préserver les acquis du développement et poursuivre les programmes de réformes entamées depuis 2012, le Gouvernement du Sénégal a conclu avec le FMI un accord mixte au titre du Mécanisme élargi de Crédit (MEC) et de la facilité élargie de crédit (FEC) pour un montant de 1 132,6 millions de DTS et un accès à la Facilité pour la Résilience et la Durabilité (FRD) de 242,7 millions de DTS, soit un montant total de 1100 milliards de FCFA environ. Le Ministère des Finances et du Budget est convaincu que ce programme mixte aidera le Sénégal à renforcer les finances publiques, mais aussi, à améliorer le système de protection sociale et à soutenir la résilience au changement climatique.  Les quatre (4) axes de ce programme sont les suivants :
 
Axe I : Renforcer la résilience des finances publiques
Je voudrais rappeler à cet égard que les objectifs de notre politique budgétaire sont axés sur les fondamentaux ci- après, à savoir l’amélioration de la mobilisation des recettes et la rationalisation des dépenses, afin de garantir que le seuil de déficit que nous nous sommes fixé soit atteint, tout en maintenant les programmes hautement prioritaires et les dépenses des secteurs sociaux.

De ce point de vue, un ambitieux plan d'assainissement budgétaire devant nous permettre d’arriver à l’objectif communautaire de déficit de 3 % du PIB d'ici 2025 est en cours de mise en œuvre. Concernant la viabilité de la dette, le gouvernement travaille à réduire les vulnérabilités de la dette du secteur public et à renforcer le cadre de gestion de la dette publique.
 
Axe 2 : Renforcer la gouvernance
En matière de gouvernance, le Gouvernement a mis en place un dispositif pour lutter énergiquement contre la corruption. A cet égard, les prérogatives de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) seront renforcées, ainsi que ses techniques et pouvoirs d'enquête. La création d’un Pôle financier et judiciaire, spécialement compétent pour traiter les questions liées à la criminalité économique et financière est également actée par le vote, le 20 juillet 2023, d’une loi qui lui est dédiée.
 
Axe 3 : Construire une économie plus résiliente et inclusive
 Concernant l’axe 3 relatif au renforcement de la résilience de l’économie, les réformes déclinées dans le Programme de Réforme de l’Environnement des Affaires et de la Compétitivité (PREAC III) seront poursuivies. Il s’agira notamment :
  •  de finaliser la révision du code des investissements,
  •  de poursuivre les réformes en matière de justice commerciale avec la digitalisation des procédures du tribunal de commerce et la perspective de création d’une Cour d’appel commerciale,
  • de mettre en place un système de gestion foncière centralisé et intégré qui numérisera les procédures de gestion foncière
  • et la mise en place d'un registre des sûretés accessible en ligne et regroupant les données relatives aux sûretés mobilières et aux hypothèques en collaboration avec la BCEAO.
 
Revenant sur le volet inclusion, je voudrais relever que le gouvernement intensifiera les politiques d’autonomisation des femmes et des jeunes. Par ailleurs, un engagement ferme a été pris pour l’augmentation des dépenses sociales, particulièrement celles destinées aux couches vulnérables. Dans ce cadre, des mesures d’élargissement des bénéficiaires de la bourse de sécurité familiale à l’ensemble des titulaires de Cartes d’Egalité des Chances et le relèvement du montant de la bourse, (qui passe de 25 000 FCFA à 35 000 FCFA), ont été prises. 
 
Axe 4 : Renforcer la résilience aux changements climatiques
Le programme soutenu par la Facilité pour la Résilience et la Durabilité (FRD) permettra de mieux intégrer les problématiques liées aux changements climatiques dans les politiques publiques. La FRD est également destinée à accompagner le Sénégal à respecter ses engagements en matière de Contribution Déterminée au niveau National (CDN) dont le document est adopté depuis 2020. Le programme soutient également les mesures visant à améliorer la gestion de l'eau dans le secteur agricole, mais aussi à renforcer la résilience à l'érosion côtière et enfin, à concevoir un cadre de gestion des risques climatiques.

 
La dette publique du Sénégal a augmenté ces dernières années à un rythme accéléré, sous l'effet des mesures d'atténuation des chocs, et des emprunts contractés sur les marchés nationaux et internationaux. Quel est le niveau d'endettement réel et son impact sur la qualité de signature du Sénégal ?

 
Le taux d’endettement de l’Administration centrale à fin 2022 est de 68,2% du PIB, par conséquent en dessous de la norme communautaire UEMOA qui est de 70%. Si l’on tient compte maintenant de la dette du secteur parapublic, la dette publique s’élève à fin 2022, à 75,6% du PIB. Cependant, je voudrais signaler que notre niveau d’endettement reste compatible avec la cible retenue d’accord-parties avec le FMI.
 
Je tiens à préciser aussi, que la hausse du niveau de la dette de l’Etat notée ces dernières années, est due aux efforts d’investissements de l’Etat dans les projets rentables, notamment les projets pétroliers et gaziers, et de ce point de vue ne compromet pas la soutenabilité de la dette publique et conséquemment la qualité de la signature de l’Etat.
 
En effet, la dernière analyse de viabilité de la dette effectuée montre que la dette du Sénégal est toujours viable avec un risque modéré de surendettement, même s’il faut reconnaitre que la marge d’absorption de nouveaux chocs à court terme est de plus en plus réduite.
 
Également, le Sénégal conserve ces notations du crédit avec les agences Moody’s (Ba3 avec une perspective stable) et Standard and Poor’s (B+/B avec des perspectives stables). Ces notes reflètent la capacité de l’emprunteur à respecter ses engagements financiers ».
 
Il s’y ajoute que, malgré un contexte de marché difficile, l’Etat du Sénégal arrive à mobiliser l’essentiel de ses besoins de financement de 2023 sur les marchés de capitaux avec des conditions de financement acceptables (niveau de souscription et de rendement).
 
 Dans la perspective de la production de pétrole et de gaz, le ratio dette publique globale devrait progressivement diminuer pour atteindre, en 2027, près de 62,4% pour l’Administration centrale et 69,4% pour le secteur public (intégrant les entités du secteur parapublic).
 
Au demeurant, la stratégie d’endettement continuera à privilégier le recours aux financements concessionnels avec un taux d’intérêt fixe, et libellés en euros. Les emprunts commerciaux devraient être orientés vers le financement de projets structurants à fort impact sur la croissance (avec une rentabilité qui couvre le coût).

 
Suite au resserrement monétaire mondial, il a été relevé une augmentation des coûts d’emprunt sur les marchés nationaux et internationaux. Quelle est la stratégie de mobilisation des ressources du Sénégal sur le marché financier ?

 
Il faut reconnaitre quand même que, bien que les conditions de financement se soient dégradées, le recours aux marchés domestiques de capitaux s’est poursuivi. Je rappelle qu’en dehors du recours aux financements extérieurs concessionnels, le financement en FCFA demeure le mode privilégié par la stratégie de gestion de la dette à moyen terme.
 
Cependant, un ajustement, à la baisse, du volume par émission et de la durée moyenne des instruments de financement, a été opéré pour les adjudications de titres publics au niveau du marché monétaire, dont il faut admettre que la liquidité a été, par moment, régulée de façon contraignante par la BCEAO dans le cadre de sa politique monétaire pour juguler l’inflation.
 
Néanmoins, au moyen d’opérations d’appel public à l’épargne sur le marché financier régional, des volumes conséquents ont été levés sur des maturités plus longues, grâce, notamment, à une diversification plus marquée en direction des investisseurs non bancaires.
 
Ceci dit, l’Etat du Sénégal n’a pas prévu, pour le moment, d’émettre sur le marché financier international. Toutefois, il reste attentif aux opportunités que ce marché international pourrait offrir pour mettre en œuvre une stratégie de gestion active de la dette, afin de lisser le service de la dette et limiter le risque de change, notamment pour atténuer les vulnérabilités qui s’y attachent.
 
La publication récente par mon Département, du document-cadre de financements durables, permettra à l’Etat de mobiliser des financements sur le marché international des capitaux et auprès des bailleurs internationaux en articulant les logiques de moyens et de résultat, ceci, grâce à une combinaison des financements au format fléché et/ou indexé à la performance. Cette nouvelle approche a reçu un écho favorable auprès des acteurs cibles.
 
Les recettes des hydrocarbures et les efforts de mobilisation des recettes devraient contribuer à la réduction du déficit budgétaire à 3% du PIB d’ici 2025.
Quels sont les moyens mis en place par l’Etat et qui permettront d’atteindre cet objectif cible ?


Le plan d’actions déjà lancé et ou envisagé, à cet effet, s’appuie sur un bipied recettes - dépenses.
L’amélioration de la mobilisation des recettes propres est recherchée à travers la mise en œuvre de la Stratégie de Recettes à Moyen-Terme (SRMT). Celle-ci vise une hausse moyenne de 0,5 point de pourcentage du PIB (hors hydrocarbures) des recettes fiscales (hors hydrocarbures) par an sur la période 2023-25 grâce à des mesures d’administration et de politique fiscale.

Les mesures d’administration fiscale, je signale, ont essentiellement pour objectifs de réorganiser et redynamiser les régies financières, en quoi faisant ; en renforçant leurs capacités, dans le cadre d’une collaboration plus optimale, à collecter, traiter et exploiter les données sur les contribuables enrôlés et potentiels.

Les mesures de politique fiscale, quant à elles, s’articulent principalement autour de nouveaux impôts et taxes, d’une rationalisation des dépenses fiscales et d’un élargissement de l’assiette fiscale visant à enrôler de nouveaux contribuables.

La consolidation budgétaire, en revanche vise la réduction du déficit à 3% en 2025. Elle s'appuiera essentiellement sur deux leviers.  D’abord, avec la mise en œuvre de la feuille de route sur la réduction des subventions dans le secteur de l'énergie, les dépenses dans ce secteur seront plafonnées à 1% du PIB en 2024.
Ensuite, les administrations fiscales et douanières poursuivront la mise en œuvre de la stratégie de recettes à moyen terme, qui a valu au Sénégal d'avoir le taux de pression fiscal le plus élevé de l'UEMOA, à 18,2% contre une moyenne communautaire de 13, 8%.

Sous ma coordination, les régies financières mettent en œuvre un paquet de mesures en termes d’organisation, d’administration et de législation visant à améliorer l’efficacité, l’efficience et la transparence du système fiscal, ceci grâce à une utilisation accrue des technologies numériques notamment, et une meilleure maîtrise de l’assiette. C’est dans ce cadre que nous nous sommes fixés comme objectif un taux de pression fiscale compris entre 19% et 20% en 2024.

Monsieur le Ministre, comment se porte le secteur financier sénégalais à fin décembre 2022 ?

En fin décembre 2022, le secteur financier au Sénégal s’est montré globalement dans une dynamique de résilience, suite aux épisodes assez sombres qui ont plombé l’environnement international.

Le paysage des assurances sénégalaises, au terme de l’année 2022, est composé de 29 compagnies dont 19 exerçant dans la branche « incendies, accidents et risques divers (IARD) » et 10 en « assurance vie », ainsi que différents types d’intermédiaires agréés dont 83 sociétés de courtage. L’industrie des assurances s’est relativement bien portée, à preuve, le chiffre d’affaires, toutes branches confondues (IARD et Vie), est passé de 225,094 milliards de FCFA en 2021 à 246,675 milliards de FCFA en fin décembre 2022, soit une évolution de + 9,58%. En outre, la santé financière du secteur s’est davantage confortée en fin d’année 2022. Ce dynamisme traduit un réel effort du secteur de l’assurance dans le financement de l’économie sénégalaise, tout comme le secteur bancaire d’ailleurs.

Les banques, quant à elles, ont renoué avec l’activité économique qui prévalait avant les différents chocs subis. Le secteur bancaire sénégalais compte aujourd’hui 31 établissements de crédit. Concernant la situation en 2022, on a noté une résilience du secteur avec des niveaux de fonds propres suffisants, un effort de relèvement du capital social, et un assainissement des portefeuilles de crédit avec un repli des créances en souffrance brutes. Au total, l’activité du système bancaire en 2022, comparée à l’année 2021 a poursuivi sa croissance accompagnée d’une amélioration de la qualité du portefeuille des assujettis.

Ainsi, il est noté pour cet exercice, une contraction de 2,2 points de pourcentage du taux brut de dégradation du portefeuille (9,3%) et de 1,3 point de pourcentage du taux net de dégradation (2,7%) contre respectivement 11,5% et 4% en 2021. La solidité financière des banques s’est consolidée en 2022, avec un ratio de solvabilité de 13% (supérieur à la norme de 10,875%) contre 12,02% en 2021. En termes d’appui aux PME/PMI, les encours de crédits octroyés ont augmenté en 2022, ils s’élèvent   à 399,94 milliards de FCFA contre 265,5 milliards de FCFA en 2019, soit une croissance supérieure à 5% sur la période.

 Dans le secteur de la microfinance, le nombre de Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) est passé de 295 en 2021 à 296 en 2022 avec un réseau de 995 points de services. Le taux de pénétration de la microfinance par rapport à la population totale s’est établit à 22% contre 21,5% en 2021. Cette augmentation, non négligeable, résulte notamment des efforts fournis par les Autorités nationales, en termes d’inclusion financière. Cela se reflète d’ailleurs, par le niveau des dépôts qui ont affiché en fin décembre 2022, une progression de 13% par rapport à 2021, pour ressortir à 491 milliards FCFA, ce qui représente 3% du PIB. La production de crédit, pour sa part, a connu une hausse de 7% pour ressortir à environ 598 milliards FCFA en 2022. Sur la période, il est noté une hausse de 13,7% de l’encours de crédit qui a atteint 600 milliards FCFA en 2022 soit   3,6% du PIB.
 
Cependant, malgré ces performances, il est noté une hausse des crédits en souffrances qui sont ressortis à 55 milliards FCFA en 2022, contre 47 milliards FCFA en 2021, soit un accroissement de 17%. Le taux de crédit en souffrance est ressorti, en 2022, à 9,2% pour un plafond de 3%. La qualité du portefeuille des SFD s’est ainsi fortement dégradée en effet, avec une hausse de 3 points de pourcentage par rapport à 2021.

Notre système financier fait toujours face à la lancinante problématique du blanchiment. Quels sont les efforts consentis par le Sénégal dans le cadre du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) ?

Permettez- moi de faire une petite précision s’impose. Je pense qu’il est plutôt question pour notre pays d’apporter des réponses pertinentes aux lacunes décelées dans notre dispositif national de lutte anti-blanchiment, qui existe, et qui repose sur un engagement pris auprès du Groupe d’Action financière (GAFI). Bien entendu, les acteurs du secteur financier sont interpellés à plus d’un titre.
Pour rappel, le Sénégal inscrit en janvier 2021 sur la liste des juridictions sous surveillance rapprochée par le GAFI a, sur la base des résultats de la deuxième évaluation mutuelle de son dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (LBC/FT), pris l’engagement politique de haut niveau de remédier aux insuffisances identifiées. Ainsi, il a adopté un plan d’actions de vingt-neuf (29) actions déclinées en quarante-neuf (49) mesures à mettre en œuvre. 
Suite à la dernière plénière du GAFI, au mois de juin 2023, trente-trois (33) mesures sur les 49, sont considérées par les experts comme mises en œuvre de manière satisfaisante et donc inscrivent le Sénégal dans une dynamique de progrès. Ce résultat découle principalement des trois éléments :
  - l’existence d’un cadre légal et réglementaire dynamique s’inscrivant dans un processus de consolidation progressive ;
  • la prise en compte de la nécessaire articulation entre les volets préventif et répressif qui a connu des avancées ;
  •  l’élargissement du champ des personnes assujetties, opéré par la loi n° 2018/03 du 23 Février 2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme .
Toutefois, on le constate, il ya un gap de seize (16) mesures   à réaliser, et qui sont des mesures résiduelles se rapportant essentiellement à cinq (5) défis à savoir :
  • l’opérationnalisation du dispositif d’identification des bénéficiaires effectifs,
  • la conduite de missions de contrôle supplémentaires et la prise de sanctions dissuasives à l’encontre des acteurs des secteurs à risques,
  •  la conduite des enquêtes sur le financement du terrorisme,
  • la mise en œuvre du régime des sanctions financières ciblées liés au financement du terrorisme et au financement et à la prolifération des armes de destruction massive,
  • et la mise en œuvre du plan de renforcement du secteur des organismes à but non lucratif.
Au regard des résultats enregistrés, notre pays est donc dans une dynamique positive pour envisager sa sortie de la liste des juridictions sous surveillance à l’horizon 2024.  Au terme de la réunion en face- à- face entre les experts du Groupe conjoint et la délégation technique du Sénégal, le 12 septembre 2023 à Amman, en Jordanie, il a été constaté un bon taux de mise en œuvre de notre plan de remédiation et une prise en charge adéquate des mesures résiduelles.

En juin dernier, vous avez présidé la 39ème session du CNC durant laquelle le faible taux de financement de l’agriculture par les banques (3,3%) a été évoqué, avec la proposition de mécanisme destiné à amoindrir les risques de crédit liés au secteur. Quelles sont les mesures prises par l’Etat et destinées au financement de la production et de la commercialisation de la campagne agricole 2023/2024 ?

Il faut d’abord rappeler que conformément aux orientations de son Excellence Monsieur Macky SALL, Président de la République du Sénégal, l’objectif principal du Gouvernement reste le renforcement de la résilience économique. A ce titre nous avons un levier principal, qui vise à assurer une souveraineté et une sécurité alimentaires de façon permanente et durable, à travers un financement adéquat de tout l’écosystème des acteurs des chaînes de valeur agricole.
 
Les mesures prises sont relatives à la dotation du Ministère chargé de l'Agriculture de ressources suffisantes pour assurer le financement de la campagne agricole. Il est en plus prévu de prendre des mesures nécessaires pour solder la dette des Opérateurs privés stockeurs (Ops) pour l'année 2021-2022 et de soumettre à validation un plan d'apurement de la dette de la campagne 2022-2023.

Depuis l'avènement de la Covid-19 et de la crise russo-ukrainienne, il faut le dire, le budget de la campagne agricole connaît une forte hausse, passant de 40 milliards en 2019 à 90 milliards de Fcfa en 2022. Cet effort du gouvernement a permis au secteur agricole d'atteindre des résultats importants dans la productivité et la production agricole.
 
Pour la présente campagne agricole 2023/2024, une dotation budgétaire de 100 milliards de Fcfa est octroyée par l'Etat, afin de renforcer la politique de souveraineté alimentaire.

Elle est répartie ainsi qu'il suit :   40,066 milliards de Fcfa est prévu pour subventionner 180 500 tonnes d'engrais et 50 000 tonnes de phosphate contre 49,706 milliards de Fcfa pour 167 265 tonnes en 2022-2023. 
Un montant de 15,747 milliards de Fcfa sera consacré aux espèces diverses comme le riz, le maïs, le niébé, le sorgho, le fonio, la pastèque, le manioc, le sésame contre 12,905 milliards de Fcfa lors de la précédente campagne.

Une somme   de 24,255 milliards de Fcfa sera affecté aux semences d'arachide, contre 14,413 milliards de Fcfa, lors de la dernière campagne, 9 milliards sont alloués pour la pomme de terre et 350 millions pour l'agriculture urbaine.
 
Il s'y ajoute les 455 millions de Fcfa destinés au programme d'introduction de nouvelles cultures, et les 2,250 milliards de Fcfa pour la dette paysanne, 2,750 milliards de Fcfa pour la protection phytosanitaire, 1,623 milliard de Fcfa pour l’achat de matériel de culture attelée, 3,055 milliards de Fcfa pour un appui en intrants pour la culture de décrue et enfin, 100 millions de Fcfa pour l'appui conseil.
 
Je dois souligner à la suite de ce qui précède, que l’Etat n’est pas le seul acteur dans ce financement, dont la mobilisation nécessite la forte implication du système bancaire. C’est à ce titre qu’il faut saluer l’engagement de la Banque Agricole (LBA) et de la Banque nationale pour le Développement économique (BNDE) qui accompagnent constamment les différents volets des campagnes agricoles, notamment sur l’arachide, le riz, la noix de cajou, le coton et les cultures vivrières.
 
Cependant, il faut noter que, globalement, les banques n’ont, jusqu'à présent, fourni que 3,3% des besoins de financement. Cette faiblesse des crédits accordée par les banques au secteur agricole est due essentiellement aux risques de crédit. Afin de remédier à cette situation, l’Etat a pris les mesures de mitigation, afin d’assurer une implication accrue du secteur bancaire.
 
Ainsi, les fonds de sécurisation du crédit rural comprenant le fonds de garantie au risque de non remboursement du crédit (à 60%) et le fonds de bonification qui allège le taux de sortie, ainsi que le fonds de calamité, seront réintégrés dans le budget de l’Etat pour garantir jusqu'à 46 % les crédits accordés par le secteur bancaire.
 
Ces fonds supplémentaires contribuent à renforcer le soutien financier et à atténuer les risques associés aux crédits accordés aux agriculteurs.
 
En plus de ces fonds, les ressources du Fonds de Garantie des Investissements prioritaires (Fongip) seront dans le même temps, renforcées pour améliorer le volume de financements accordés.
 
 Bien entendu, il faut ajouter à tout cela, l’amplification des mesures prises à travers de nouveaux modes de mitigation du risque dans le domaine agricole, notamment le Système de Récépissé d’Entrepôt et l’assurance agricole.
 
Ces nouvelles initiatives, entreprises par le gouvernement, visent à fournir un soutien financier substantiel au secteur agricole, pour renforcer sa productivité et assurer ainsi l’indépendance et la sécurité alimentaire.
 
Aux côtés des banques, il ne faut pas oublier, le renforcement de l’implication de la Délégation Générale à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes (DER/FJ) et des institutions de microfinance.
 
Concernant les sociétés nationales telles que la SONACOS, la SODEFITEX, la SAED, la SODAGRI, les mesures idoines seront examinées, en vue de renforcer leur solvabilité auprès des banques pour le financement de leurs investissements et de leur exploitation.  A ce titre, une priorité absolue sera accordée aux moyens nécessaires à la SONACOS pour réussir la collecte d’arachides.
 
Cette décision du gouvernement du Sénégal d’allouer 100 milliards de francs CFA, s’inscrit, faut-il le rappeler, dans la perspective de l’atteinte des objectifs de souveraineté alimentaire et de renforcement de la résilience des populations. Dans ce cadre, les banques se sont également engagées à participer à ce financement de 100 milliards de francs CFA pour la campagne agricole 2023-2024.
Lejecos Magazine
 
 
 
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