L'échec du coup d'État au Bénin et l'avenir de la démocratie en Afrique

Mercredi 17 Décembre 2025

La tentative de coup d’État fomentée cette semaine dans le petit pays ouest-africain du Bénin met en lumière la fragilité croissante de la démocratie sur le continent.


Cette tendance s’explique par de multiples facteurs, notamment par l’érosion des forces politiques d’opposition en raison de manœuvres juridiques et constitutionnelles destinées à favoriser le pouvoir en place, par des défaillances généralisées dans la gouvernance, ainsi que par la progression du terrorisme djihadiste au Sahel, qui couvre une grande partie de l’Afrique de l’Ouest.

Les jours enthousiasmants du début des années 1990 appartiennent désormais clairement au passé. Après l’effondrement de l’URSS, bon nombre de ses États satellites, dont le Bénin, sont passés de la dictature militaire à une démocratie électorale formelle. La fin de la guerre froide a donné naissance à un monde unipolaire, dominé par une puissance américaine hégémonique désireuse d’exporter la démocratie multipartite à l’occidentale – en l’associant bien souvent à l’octroi d’une aide au développement. Les rituels des cycles électoraux ont toutefois davantage relevé de la mise en scène que d’une réelle substance démocratique. L’arrogance autocratique et les manipulations constitutionnelles de la part d’un certain nombre de dirigeants africains, dont l’actuel président du Bénin, Patrice Talon, ont mis à mal les partis et mouvements d’opposition, et en fin de compte semé les graines de la dissidence intérieure.

C’est ainsi que cinq coups d’État militaires ont abouti en Afrique de l’Ouest depuis 2020. Cette « ceinture des putschs » – qui concerne le Burkina Faso, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali et le Niger – se situe à proximité inconfortable de démocraties relativement solides, telles que le Ghana et le Sénégal, et de démocraties plus faillibles, dont le Nigéria et la Côte d’Ivoire. À l’instar de celles du Bénin sous la présidence Talon, les institutions clés de la Côte d’Ivoire et du Nigeria sont régulièrement déstabilisées.

Les dirigeants en place exploitent de plus en plus les clivages sectaires (ethniques, religieux) et la pauvreté généralisée pour s’accrocher au pouvoir, dans des pays au sein desquels la construction de l’État se révèle déjà difficile. Ce défi est de taille dans la majeure partie de l’Afrique, où différentes tribus, aux visions du monde très diverses, ont été regroupées à l’intérieur de frontières politiques arbitrairement tracées par les puissances coloniales d’autrefois.

En l’absence de dirigeants capables de forger un consensus unificateur pour leur société – tels les fondateurs de l’Amérique, Deng Xiaoping en Chine, ou Lee Kuan Yew à Singapour – la démocratie libérale à l’occidentale a significativement aggravé les divisions sociales sur le continent africain. Sans doute plus important encore, les défaillances constantes sur le plan de la gouvernance ont sapé les promesses de la démocratie, notamment en Afrique de l’Ouest. Le problème ne se limite pas à la corruption et à l’inefficacité des services publics et sociaux. Dans de nombreux cas, les groupes défavorisés se voient refuser l’accès au pouvoir politique, et les gouvernements ne parviennent pas à protéger leur territoire national ainsi que leurs citoyens contre les menaces extérieures et intérieures.

La plus puissante de ces menaces réside dans le terrorisme, qui se développe dans le Sahel ouest-africain. Pour justifier la destitution de Talon, les putschistes béninois ont explicitement mentionné les attaques terroristes dans la région nord du pays, et ce qu’ils considèrent comme une réponse inefficace de la part du gouvernement. Des motifs similaires avaient été formulés par les putschistes du Burkina Faso, du Mali et du Niger, pays qui ont tous quitté la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, principalement pour échapper à l’influence néocoloniale française dans la région.

Si le coup d’État du Bénin avait abouti, les conséquences auraient été graves pour le Nigeria, puissance dominante dans la région. Il n’est donc pas surprenant que le Nigeria – avec l’appui militaire ultérieur du Ghana et de la Côte d’Ivoire, ainsi que le soutien politique de la France – soit intervenu pour contribuer à écraser cette tentative. Le Nigeria est lui-même en conflit depuis de nombreuses années avec les djihadistes de Boko Haram et d’autres groupes, dont plusieurs sont affiliés à Al-Qaïda, dans le nord du pays. La multiplication des attentats terroristes au cours des derniers mois impacte le moral de la population, et fragilise le gouvernement du président nigérian, Bola Ahmed Tinubu.

La crainte du Nigeria face à un potentiel coup d’État sur son propre sol n’a pas simplifié la situation. Au mois d’octobre, Tinubu a remplacé  les hauts responsables des forces armées du pays, à la suite de rumeurs  selon lesquelles plusieurs officiers supérieurs auraient comploté pour le renverser. Bien qu’une prise de pouvoir militaire au Nigéria demeure peu probable, le pays est en état d’alerte, en particulier depuis que le président américain Donald Trump a menacé  d’intervenir militairement pour protéger les chrétiens nigérians, qu’il décrit comme les victimes d’une persécution étatique.

Dans un contexte aussi explosif, la tentative de coup d’État au Bénin n’augure rien de bon pour la démocratie dans la région. Non seulement Talon réprimera sévèrement les putschistes et leur entourage, mais il sera également probablement tenté de profiter de la situation pour prolonger son règne au-delà de 2026, date à laquelle son mandat est censé s’achever.

Plus fondamentalement, cette instabilité soulève une question tranchante. Les sociétés ouest-africaines sont-elles capables de pratiquer la démocratie libérale à l’occidentale telle qu’elle est censée fonctionner, c’est-à-dire une démocratie caractérisée par un système transparent de comptage des voix, par de solides arbitres du processus électoral, et par des citoyens instruits, en mesure de faire des choix démocratiques éclairés ? Ou doivent-elles opter pour des approches locales, plus originales, de leur organisation politique ? Quoi qu’il en soit, les Africains de l’Ouest doivent cesser de prétendre que les autocraties civiles d’aujourd’hui constituent une véritable forme de démocratie.

Aucun de ces chemins ne sera facile. Nul ne sait si des options locales sont possibles, ni si elles seraient efficaces. Il n’en demeure pas moins que l’explosion récente des coups d’État sur le continent révèle la nécessité d’un changement. La démocratie en Afrique n’est pas morte, mais le continent semble s’orienter vers un avenir plus divers sur le plan politique. Le monolithe de la démocratie en Afrique présentait des fissures de longue date ; ses jours sont désormais comptés.

Kingsley Moghalu, ancien gouverneur adjoint de la Banque centrale du Nigeria, est président de l’IGET Academy, un groupe de réflexion sur les politiques publiques, et PDG de Sogato Strategies, une société de conseil en risque géopolitique et veille économique.
© Project Syndicate 1995–2025
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