Babacar Béye, Chef du Bureau Economique à l’ambassade du Sénégal à Washington : « Les opportunités d’échanges avec les Etats-Unis sont énormes, malheureusement, notre pays n’est pas encore aussi agressif qu’il devrait l’être ».

Lundi 23 Décembre 2013

Notre reporter s’est rendu à Washington où il a participé à la journée de l’Afrique organisée par la Banque Africaine de Développement. Il a profité de l’occasion pour visiter avec Babacar Béye, le chef du bureau économique de l’ambassade du Sénégal dans le paye de l’oncle Sam quelques aspects des relations entre le Sénégal et les Etats Unis. Entretien


Babacar Béye,  Chef du Bureau Economique à l’ambassade du Sénégal à Washington
Babacar Béye, Chef du Bureau Economique à l’ambassade du Sénégal à Washington
 Pouvez nous nous faire le bilan de l’axe Dakar –Washington surtout en termes économiques et commerciaux ?
Sur le plan des relations bilatérales, l’axe Dakar-Washington se porte à merveille. En moins de deux ans, le Président Macky Sall a rencontré son homologue Américain le Président Barack Obama à deux reprises. L’appui des Etats-Unis aux efforts de développement économique et social du Sénégal est très significatif. Cet appui peut être apprécié à travers les interventions de l’USAID dans les domaines de l’éducation, la santé, l’agriculture, la bonne gouvernance et dans le processus de paix en Casamance. Il faut aussi signaler que le Sénégal a bénéficié d’une aide de $540 millions dans le cadre de son programme MCA qui finance des projets structurants au Nord et au Sud du pays sans oublier les multiples efforts du « Peace Corps » et la bonne tenue de la coopération militaire entre les deux pays.
Sur le plan des échanges commerciaux par contre, il faut avouer que notre pays est encore à la traine malgré les avantages liés à l’AGOA. En 2012, selon la Note d’Analyse du Commerce Extérieur du Sénégal publiée par l’ANSD, le Sénégal n’a exporté vers les Etats-Unis que 2.9 milliards de FCFA. Pendant que les Etats Unis ont vendu au Sénégal un peu plus de 100 milliards de FCFA. C’est donc un énorme déficit commercial de plus de 86 milliards que nous accusons vis-à-vis des Etats-Unis. Pourtant, ce pays nous ouvre grandement les portes en supprimant tous les droits de douane et quota imposés normalement lorsqu’un produit rentre sur le territoire américain.
        Quels sont les produits qui trouvent des débouchés aux USA et surtout les innovations à mener pour plus de présence des produits sénégalais dans les boutiques américaines ?
J’allais répondre qu’aux Etats-Unis, en tout cas, toute offre de produits crée sa propre demande pour reprendre un célèbre économiste. Le Sénégal a des atouts majeurs dans le Textile-Confection, les Produits de la mer, les Produits Horticoles, et l’Artisanat pour ne citer que ceux-là. Les produits de la pêche constituent le premier poste d’exportations du Sénégal vers les Etats-Unis mais le volume reste faible. Cependant, avec l’inauguration la Société de Conserverie Africaine (SCA sa), le 2 Octobre dernier par le Président Macky Sall, on peut espérer une embellie des exportations de produits halieutiques vers les USA.Une autre note positive est magnifiée par les investissements structurants dans la vallée du fleuve Sénégal dans le cadre du MCA et les efforts de désenclavement de la région naturelle de la Casamance. Avec ces investissements, le Sénégal a une belle carte à jouer dans les exportations de produits agricoles. Les produits comme la tomate, les haricots verts, les mangues, le Bissap (Dry Hibiscus), la gomme arabique, les fleurs coupées, présentent un fort potentiel de pénétration du marché américain.
 
Mais, le problème ne se situe pas vraiment au niveau des débouchés. La question pertinente c’est la compétitivité Qualité-Prix.L’autre question importante c’est la connaissance du marché américain et ses mécanismes de fonctionnement.
 
Comme j’ai l’habitude de le dire, commercer avec les Etats-Unis relève d'un sport de haut niveau. C'est une entreprise de la haute compétition qui requiert donc une préparation sérieuse et méthodique. Tous les pays du monde veulent vendre leurs produits sur le marché américain. De l'Afghanistan au Zimbabwe, en passant par la Chine, la France, l'Allemagne, le Nigeria, le Ghana pour ne citer que ceux-là. Tous ces pays développent leurs stratégies de pénétration du marché américain ; ce qui est de bonne guerre puisque l'adoption d'un seul produit par le consommateur américain se traduirait par un impact financier capable de changer toute la dynamique et même la structure de l'économie nationale concernée.
 
Il nous faut donc apprendre à mieux connaitre l'Amérique ; non plus exclusivement sous l'angle politique, sportive ou de Hollywood mais sous l'angle du business-marketing. Qui est ce consommateur américain ? Comment il forme ses décisions de consommation ? Quelles sont les tendances de consommation du marché Américain ? Comment pourrait-on nous positionner sur le marché Bio des produits naturels ? Pour répondre à ces questions, nous avons besoin de la participation du secteur universitaire et des écoles de formation en business, commerce international et autres.
 
Encore une fois, le marché américain est un marché extrêmement ouvert sur le monde extérieur. En 2011, ce pays a importé de par le monde, plus de 2 trillions dollars c'est-à-dire, à peu près 1 million de milliards de FCFA. Sur cette astronomique somme, la part du Sénégal n'a été que de 3 milliards en 2012 selon les chiffres de l'Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD). L’Afrique toute entière n’explique que 4.2% de ce chiffre.
 
En termes de stratégie de pénétration du marché américain ou d’innovations, il n’y a pas vraiment de secret. Il faut identifier et organiser l’offre exportable, défragmenter les productions nationales et sous régionales pour gagner en économie d’échelle et en compétitivité, apprendre à mieux connaitre le marché américain et ses tendances en insistant sur  les rapports qualité-prix. Une intéressante innovation consisterait à outiller la Diaspora Sénégalaise des USA et en faire le premier canal de distribution des produits « Origine Sénégal ». Supposons qu’il y a 20 mille ménages sénégalais aux USA, ce qui est vraisemblable. A raison de dépenses moyennes annuelles par ménage de $500 (250,000 FCFA) sur des produits du Sénégal, on en arrive à 5 milliards de FCFA. Ce qui dépasse de très loin le montant que nous exportons sous AGOA.Il faudra aussi songer à favoriser les joint-ventures entre entreprises sénégalaises/africaines et entreprises américaines.
       L’AGOA, quels enseignements faut-il en tirer après des années d’application ?
Permettez-moi de faire un petit rappel de ce qu’est l’AGOA. On en parle souvent dans la presse et dans les salons feutrés, mais les vrais acteurs n’en connaissent pas vraiment les tenants et les aboutissants. L’AGOA est une loi américaine unilatérale signée par le Président Bill Clinton le 18 Mai 2000. C’est une loi qui offre des avantages aux économies Africaines pour qu'elles continuent leurs efforts d'ouverture et d'insertion sur le marché mondial. L'AGOA est devenue le point central de la politique Africaine des Etats-Unis en matière d'échanges commerciaux et d'investissements ; elle est aussi devenue un important vecteur de la politique africaine des Etats-Unis.
 
L'AGOA, en résumé, c'est une liste de 6400 produits que les pays africains éligibles peuvent exporter aux Etats-Unis sans droits de douanes ni quota.
 
Il est cependant à noter qu'il revient à la charge des états africains, éligibles à l'AGOA, de mettre en place les conditions idoines pour tirer le maximum de profit des opportunités ainsi créées.
 
Depuis le lancement de la loi, les exportations africaines sous AGOA sont passées de $8.15 billion de dollars en 2001 à $53.8 milliards de dollars en 2011 soit une augmentation absolue de 560%.  Celles des Etats-Unis sont passées de $7 milliards en 2001 à $21 milliards en 2011 soit une augmentation de 200%.
 
On notera cependant que les produits pétroliers représentent près de 91% de ces performances.
La valeur des exportations de produits non pétroliers quant à elle est passée de $1.2 billion à $4.5 billion.
 
En considérant qu’avec ou sans AGOA, les produits pétroliers trouveraient preneur aux USA, on peut considérer que le bilan est mitigé. L’Afrique ne représente que 4% des importations Américaines. Il faudra encore au niveau Africain, beaucoup d’efforts pour défragmenter les marchés et apprendre à mutualiser les efforts de production pour prétendre améliorer nos performances sous AGOA.
         On parle beaucoup aujourd’hui de diplomatie économique. Que faut-il comprendre à travers ce concept ? Et pour les USA, qu’est –ce qui est entrain d’être déroulé pour intensifier les échanges entre les deux pays ?
On parle beaucoup de la diplomatie économique parce-que nous vivons à l’heure de la mondialisation. L’interconnexion des économies, la compétition plus en plus accrue dans les différents marchés, la multiplicité et la complexité des différents acteurs poussent les Etats à outiller leurs représentations diplomatiques et consulaires dans les sphères de la promotion des intérêts économiques de leur pays. C’est ainsi que, de plus en plus, les Ambassadeurs et ConsulsGénéraux sont appelés à jouer les premiers rôles dans les stratégies d’attraction des Investissements Directs Etrangers et la promotion des échanges entre pays. Pour le cas du Sénégal, certaines ambassades sont renforcées par des bureaux économiques dont le rôle principal est de promouvoir l’attractivité du Sénégal comme destination d’investissements.
Aux Etats-Unis, l’ambassade par exemple est très impliquée dans les négociations pour le renouvellement de l’AGOA qui expire en 2015. Elle participe dans le groupe technique Africain chargé de mener les négociations avec la partie américaine. Dans le cadre de la promotion des investissements, son Excellence l’Ambassadeur Cheikh Niang et le Chef du Bureau Economique ont organisé ou animé plusieurs rencontres sur les opportunités d’Investissements au Sénégal. Au mois de Mai 2013, le Bureau Economique en relation avec Africa Trade Development Center a organisé à Miami un forum sur « Doing Business in Senegal » animé par son excellence l’ambassadeur Cheikh Niang. A la suite de ce forum, un accord a été conclu entre l’Ambassade du Sénégal et le Board of County Commissioners de Miami-Dade de travailler ensemble pour créer un « Gateway » entre l’aéroport de Miami et l’aéroport de Dakar. Sur frais du gouvernement de Miami-Dade, une étude de faisabilité sera bientôt lancée. Comme autres retombées, on peut citer la signature au mois de Mars d’une lettre d’intention entre le Sénégal et la compagnie américaine First Step qui envisage de créer une zone économique spéciale ou « Parc Industriel » à vocation agricole. A l’initiative du Bureau Economique, trois groupes d’investisseurs se sont rendus au Sénégal en mission exploratoire. L’un des groupes s’intéresse à la production d’électricité à partir des ordures ménagères qui entre autres réglerait le problème de « Mbeubeuss ».
Les opportunités d’échanges avec les Etats-Unis sont énormes, malheureusement, notre pays n’est pas encore aussi agressif qu’il devrait l’être.
Le Sénégal a une belle carte à jouer avec son option de s’engager vers une diplomatie économique. C’est ainsi qu’une conférence des Ambassadeurs et Consuls Généraux portant sur le thème de la diplomatie économique, initiée par le Ministère des Affaires Etrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, se tiendra à Dakar les 26, 27 et 28 Décembre 2013.
Il faudra cependant évaluer les coûts d’une véritable diplomatie économique, rationnaliser les efforts, élaborer des contrats de performance et doter les différents postes de moyens adéquats pour réussir leurs missions.
      Quelles sont les contraintes au niveau des échanges entre les deux pays.
On peut citer au moins trois contraintes majeures. La première contrainte est liée aux économies d’échelle. Le marché américain est un marché gigantesque pendant que nos marchés de production sont trop fragmentés. Rien que la mise à disposition d’échantillons à tester poserait d’énormes problèmes aux candidats les plus sérieux à l’exportation vers les USA. La deuxième contrainte majeure c’est un problème de compétitivité à la fois prix et qualité. Le consommateur américain est un consommateur extrêmement difficile et regardant sur ce qu’il achète. La troisième contrainte est à mon avis une méconnaissance des mécanismes et règles de fonctionnement du marché américain sans parler des gouts et préférences du consommateur américain. Cette dernière contrainte est à mon avis inexcusable. Beaucoup de pays de la sous-région sont entrain de fournir d’énormes efforts en passant notamment par le canal de leur Diaspora établie aux Etats-Unis. Il faudrait aussi que les autorités en charge de la promotion des échanges soient beaucoup plus portées par des actions sur le terrain en impliquant davantage les acteurs. Il faut identifier l’offre exportable et organiser beaucoup de « trade mission » avec les exportateurs sénégalais les plus prêts à affronter le marché américain.
Une autre solution consisterait à promouvoir les joint-ventures entre les entreprises sénégalaises et américaines. Cela positionnerait les entreprises américaines à plus s’occuper du marketing du produit à l’intérieur des USA et mieux utiliser les canaux de distribution qu’une entreprise sénégalaise aurait du mal à maitriser.  Elle permettrait aussi de favoriser l’attraction d’un volume d’Investissements Directs Etrangers (IDE) massifs, gage d’une croissance économique forte, durable, porteuse d’emplois, solution pérenne à la fameuse demande sociale.
Entretien réalisé par Ismaila Ba à Washington



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