Airbnb, Uber, Lyft : de l'économie collaborative au business du partage

Lundi 18 Août 2014

Dormir chez l'habitant plutôt qu'à l'hôtel partager une voiture, emprunter à un particulier plutôt qu'à une banque : l'économie du partage se développe, au risque d'être récupérée.


Brian Chesky, créateur du site Airbnb qui vaut 7,5 milliards d'euros, presque autant que le groupe Accor
Brian Chesky, créateur du site Airbnb qui vaut 7,5 milliards d'euros, presque autant que le groupe Accor
Ne parlez pas à Jamie Wong d'économie collaborative ni d'économie du partage ! Le discours idéaliste et pseudo-désintéressé que véhiculent les sites internet d'échange de services de particulier à particulier, comme Airbnb ou Uber, a le don de l'horripiler.
La "sharing economy" ? prévient-elle. Ce n'est pas du partage. Il serait temps de nous débarrasser de ce romantisme de pacotille."
Cette brune énergique, qui déteste les bureaux et adore déménager, ne fait pas de sentiment en affaires. Elle cherche juste l'efficacité. Pourtant, elle a bien créé une start-up... d'économie collaborative. Vayable, sa plateforme, met en relation des touristes et des locaux prêts à jouer les guides amateurs dans 800 villes du monde, moyennant rémunération (entre dix et plusieurs centaines d'euros).
"Les guides sont souvent des créatifs, designers, écrivains, chefs, confie Jamie. Ils sont les héros anonymes des villes. Ils me bluffent." Jef Tastes, un New-Yorkais, propose ainsi un tour gastronomique multiethnique du quartier de Queens (trois heures, 44 dollars) : "Je suis un «insider» vivant dans cette communauté je vous ouvre ses secrets." Visiblement, Jef et ses copains font bien leur boulot : en 2013, le chiffre d'affaires de Vayable a été multiplié par cinq, et la start-up sera rentable en 2014. C'est bien son objectif.

Alternatif ou capitaliste ?

A travers le monde, de plus en plus de particuliers hébergent des internautes, covoiturent, échangent des services via internet, parfois gratuitement, en mode troc, mais le plus souvent contre paiement pour arrondir leurs revenus. C'est ce que l'on appelle l'économie collaborative. Elle a démarré comme une autre manière de consommer, plus solidaire, plus écolo, hors des circuits commerciaux et lucratifs.
Aujourd'hui, est-ce encore une expérience alternative ou une activité capitaliste de plus en plus banale ? La frontière, à écouter Jamie Wong, est tombée. Prenez l'exemple de la société Uber, que l'on cite souvent comme le porte-étendard de la sharing economy : "Ce n'est rien d'autre qu'une plateforme technologique qui connecte des chauffeurs professionnels expérimentés avec des consommateurs via un téléphone portable. Ce n'est pas de l'économie collaborative, affirme Giorgos Zervas, professeur assistant à la Boston University. En revanche, son service UberX ou encore la société Lyft, qui recourent à des particuliers utilisant leur voiture personnelle pour prendre en charge des passagers, sont très proches d'Airbnb [le site d'hébergement de particulier à particulier] ."
Impossible, donc, de planter un drapeau sur cette économie du XXIe siècle ou de la résumer d'un chiffre. Mais il suffit de voir l'importance qu'a prise une société comme Airbnb pour mesurer le poids croissant de l'économie collaborative.
Une révolution profonde, majeure. Airbnb affiche toujours cet évangile du partage qui énerve tant Jamie Wong : "Quelle que soit la façon dont chacun de nous a rejoint cette communauté [Airbnb], nous savons bien qu'il ne s'agit pas d'une transaction. C'est une connexion, qui peut durer toute une vie", écrit Brian Chesky, le PDG. Très baba cool, mais un peu loin de la réalité !
L'entreprise, créée fin 2008, est devenue une multinationale, et Chesky, un milliardaire sur le papier : 17 millions de personnes ont déjà utilisé la plateforme, dont 120.000 lors de la dernière Coupe du Monde de Football. Le 5 juillet, journée record d'activité, Airbnb a assuré le logement de 330.000 personnes dans le monde, dont 20.000 à Paris.
Airbnb n'est pas le seul mastodonte. En France, personne ou presque n'a entendu parler de la plateforme de crédit Lending Club, qui se concentre pour l'instant sur le marché américain. C'est pourtant une société qui pourrait être valorisée, lors de sa probable introduction en Bourse cet automne, à 3,7 milliards d'euros. Une entreprise dont le fondateur et PDG est un Français, Renaud Laplanche.
Cet ancien avocat, qui a déménagé en Californie après avoir vendu sa boîte de logiciels à Oracle, était en vacances à l'été 2006 quand il a eu son moment eurêka. "J'ai pris le temps de lire mon relevé de carte bancaire et j'ai été frappé de voir que si je reportais le solde dû au mois suivant, je devais payer un intérêt annuel de 18%. Le même jour, avec ma femme, nous avons regardé notre relevé de compte d'épargne : un peu moins de 1% de rémunération. Cela a fait tilt, l'écart était tellement important !"

Des prêts de particuliers à particuliers

Lancé en 2007, Lending Club facilite les prêts en peer-to-peer, de particulier à particulier, c'est-à-dire sans intermédiation bancaire, toujours selon le même principe : aucune garantie contre un défaut de paiement, mais une sélection rigoureuse des emprunteurs. La société annonce déjà 4 milliards de dollars de transactions.
Notre modèle utilise 180 critères pour l'obtention des prêts, explique Renaud Laplanche. En prenant en compte les risques de défaut, le rendement des prêts va de 5% à 9%."
Le cas de Lending Club est un bon exemple de la maturation rapide de l'économie collaborative. Au départ, c'est le développement technologique qui compte. L'outil - utilisation de bases de données, appréciations laissées par les utilisateurs, etc. - fait que "les gens acceptent davantage ce qui aurait pu paraître très risqué il y a seulement quelques années, en l'occurrence prêter de l'argent à des étrangers sur internet", note Laplanche.
L'expérience et l'affinement des critères utilisés par Lending Club permettent aujourd'hui de donner le feu vert à une demande de prêt sur cinq, contre 10% les premières années, avec le même rendement pour les prêteurs ! Ensuite, il y a un effet boule de neige : "Celui qui domine le marché devient le plus attrayant", explique le PDG.

Fonds de pension, assurances, hedge funds

Aujourd'hui, les prêteurs ne sont plus seulement des particuliers, mais aussi des fonds de pension, des assurances, des hedge funds et même... desbanques  !
Autre signe que l'économie du partage sort de son ghetto : elle crée des écosystèmes. Les grands du secteur attirent une multitude de sociétés qui gravitent autour de leur activité. "Ces six derniers mois, j'ai vu se créer au moins six boîtes de gestion immobilière au service des hôtes d'Airbnb, témoigne Lisa Gansky, "business angel" [investisseur à titre personnel] de la Silicon Valley et auteur de l'un des premiers livres sur la "sharing economy". Des sociétés d'économie collaborative peuvent aussi gérer le ménage et les repas."
Ecosystème, également, autour du prêt financier de particulier à particulier : Lending Robot, une ingénieuse startup cofondée par un autre Français, Emmanuel Marot, sélectionne pour les prêteurs, à l'aide d'algorithmes pointus, les meilleurs dossiers sur Lending Club, Prosper et autres plateformes.

Des chambres d'hôtel sur Airbnb !

Surtout, l'économie "normale" louche de plus en plus sur celle du partage. Le loueur de voitures Avis, par exemple, a racheté Zipcar. Et l'on trouve - mais oui ! - des chambres d'hôtel sur Airbnb. La récupération est en marche !
Dernier indicateur d'un succès épidémique : le nombre de sociétés d'économie collaborative explose dans tous les domaines. Notamment sur le partage du savoir-faire : pour quelques unités, dizaines ou centaines de dollars, Fiverr, TaskRabbit ou encore oDesk mettent à portée de clic les compétences de milliers de freelancers, pour traduire un texte, transcrire une interview ou réaliser une page web.
Un lieu d'échange et de collaboration idéal ? Pas si sûr. Finalement, ces sociétés jouent les intermédiaires pour des travailleurs indépendants non syndiqués, non protégés, souvent payés au lance-pierre (5 dollars le gig - le "petit boulot" - chez Fiverr !).
Une nouvelle prolétarisation ? Ce n'est pas ce que Lisa Gansky veut retenir. Pour elle, l'économie collaborative a un apport très positif. Elle cite l'exemple de Houzz, un site où les décorateurs peuvent montrer le travail qu'ils ont accompli. Ce sont des gens qui dépensaient auparavant des fortunes pour créer des sites web. Avec Houzz, leurs clients potentiels peuvent tout de suite voir leurs réalisations. Pour ces professionnels, c'est une place de marché très efficace."

"Une économie pour gens riches ou curieux"

Ce qui nous ramène à la question initiale : quel effet sur l'économie ? Question vertigineuse... Prenez Airbnb. Une étude coréalisée par Giorgos Zervas montre qu'un accroissement de 1% des chambres disponibles sur Airbnb au Texas se traduit par une diminution de 0,05% du chiffre d'affaires trimestriel de l'hôtellerie, l'impact se faisant surtout sentir dans les hôtels à bon marché.
Airbnb, de son côté, cite une étude indiquant qu'à New York, en 2012, la société a engendré 470 millions d'euros d'activité économique. Un chiffre qu'il faudrait corriger, disent ses détracteurs, du surcoût de logement pour les New-Yorkais, qui voient de plus en plus d'appartements réservés à la location courte !
Il n'y a pas que les taxis parisiens qui grognent contre cette nouvelle concurrence, qui court-circuite les intermédiaires, ne paie pas les mêmes taxes, fait fi des vieilles règles...
Certaines de ces critiques sont recevables, reconnaît Lisa Gansky. La question est de savoir quel degré de réglementation on impose à ces sociétés, et à quel stade, pour ne pas tuer l'innovation."
Pas facile, mais la réflexion mérite d'être creusée. Car l'économie collaborative, souligne Lisa Gansky, est encore dans une phase de puberté, "quelque part entre l'avant-garde des consommateurs et le marché de masse. Le fait de faire confiance à un parfait étranger pour partager un bien ou un service est quelque chose qui reste difficile pour la majorité de la population. En ce sens, l'économie collaborative est encore une économie pour les gens riches ou les curieux".
Mais tout cela va changer, à très grande vitesse. "D'ici trois à cinq ans, prédit Lisa, nous entrerons dans un monde où l'économie collaborative sera simplement l'économie." Toute l'économie.
Nouvelobs.com
 
 
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