SYSTEME DE RECEPISSE D'ENTREPOT : Cet actif financier inexploité

Lundi 30 Juin 2025

Que devient le Système de Récépissé d’Entrepôt (SRE), ce document qui permet aux opérateurs économiques de sécuriser leurs stocks et disposer ainsi d’un moyen d'accès aux financements des établissements de crédits ? Mis en place depuis 2017, ce « sésame » important dans le système de warrantage (ou tierce détention) représente pourtant une solution de financement adaptée aux parties spécifiques de la chaîne de valeur. C’est un levier essentiel pour améliorer l'accès des agriculteurs à des financements.


Le 15 mars 2025, le gouvernement sénégalais a « inauguré » une infrastructure de stockage, une chambre froide d’une capacité de 15 000 tonnes. Cette infrastructure vise à renforcer la capacité à réguler le marché et à réduire les pertes post-récolte. En réalité, elle est inscrite dans le Programme National de Relance de l’Horticulture (PNRH) qui est l’un des trois (03) programmes phares du ministère de l’Agriculture et de l’équipement rural, retenus dans le PAP 2A du Plan Sénégal Emergent (PSE) et approuvé en septembre 2020.
L’objectif était d’une part, d’apporter, une réponse urgente aux impacts négatifs de la pandémie sur les acteurs des différentes chaînes de valeur agricole, et d’autre part, aux éventuelles menaces qui pourraient peser sur la sécurité alimentaire et la croissance du Sénégal.

L’objectif ultime était d’accroître la production horticole (légumes et fruits de grande consommation) pour assurer la souveraineté alimentaire en produits horticoles (import-substitution), et sécuriser la croissance du secteur agricole. Ce programme était en fait, un processus dans l’objectif du gouvernement, conscient que l'accès au financement constitue un obstacle majeur au développement de l'activité privée. En effet, près de 80% des demandes de crédits bancaires sont refusées, en raison de garanties insuffisantes.  Doter les opérateurs économiques d’un moyen d'accès aux financements des établissements de crédits, et des systèmes financiers décentralisés participe de cet esprit. C’est dans ce sens qu’il a été mis en place un dispositif d'appui dénommé Système de récépissé d'entrepôt (SRE) de marchandises.

Entre 2014 et 2017, à l’instar du Ghana et de la Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest, le gouvernement du Sénégal à travers le Ministère du Commerce, en relation avec les acteurs de la chaîne de valeur riz, les représentants du secteur privé, notamment les banques et les institutions du système financier décentralisé, les représentants des administrations impliquées, avec l’appui de la Société Financière Internationale (SFI) du Groupe de la Banque mondiale, a conduit les travaux d’élaboration du cadre légal et réglementaire du SRE. Ces travaux ont abouti au vote de la Loi numéro 2017-29 du 14 juillet 2017 portant sur le Système de Récépissé d’Entrepôt (SRE) de Marchandises au Sénégal, ainsi que la préparation des deux décrets portant sur l’application de la loi et sur le fonctionnement de l’Organe de régulation du SRE, l’Organe de régulation du système de récépissé d’entrepôt (ORSE). Cette loi définit le cadre légal et les conditions d'ouverture, de fonctionnement et de cessation d'activités desdits entrepôts, par l'aménagement d'un régime d'agrément qui constitue la pierre angulaire du dispositif.

Autorité administrative indépendante, dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie de gestion, l’ORSRE a pour mission d’organiser, de contrôler et de promouvoir le SRE au Sénégal.

En somme, l’ORSRE est un pont entre d’une part, les producteurs agricoles et les institutions financières, pour faciliter le financement par récépissé d’entrepôt ; et d’autre part entre l’État et les acteurs du secteur agricole pour la valorisation effective des stocks et la surveillance de la sécurité alimentaire. En 2020, le Décret n°2020‐789 du 19 mars 2020 portant application de la loi n°2017‐29 du 14 juillet 2017 portant Système de Récépissé d’Entrepôt au Sénégal, est venu parachever le dispositif.
 
111 récépissés au profit de 35 coopératives
 
La mise en œuvre du SRE a permis, en 2022, de lever un financement global de 2,1 milliards de FCfa pour les acteurs des filières arachide et anacarde, grâce à la collaboration entre l’Organe de Régulation du Système de Récépissé d’Entrepôt (ORSRE) et des institutions financières telles que la La Banque Agriccole (LBA), PAMECAS et la Bank of Africa (BOA). A l'image de la lettre de change, du billet à ordre ou du bordereau de gage de stocks, le Système de récépissé d’entrepôts (SRE) est un mécanisme innovant de stockage et de promotion du financement agricole, qui a fait ses preuves dans plusieurs pays, tels que l'Inde, les Etats-Unis d'Amérique ou même l'Ethiopie. Le Système fonctionne sous deux leviers. D’abord, il y a l’infrastructure de stockage, qui permet à tout agriculteur détenteur de stock, de conserver sa marchandise sans se soucier de sa détérioration. Le stockage des productions agricoles dans les entrepôts SRE permet ainsi de réaliser des données fiables sur les flux des producteurs.

Quant au second levier, il est d’ordre financier car, avec ledit récépissé́ remis après le stockage d’une marchandise, le producteur peut disposer de liquidités juste après la récolte. Cela permet par la même occasion, de lutter contre le bradage des récoltes, souvent pratiqué sous la pression de besoins conjoncturels. Le SRE constitue ainsi pour les opérateurs économiques, un moyen d'accès aux financements des établissements de crédits et des systèmes financiers décentralisés, mais il peut également servir de sûreté aux fins de garantir les financements. 

Le système a connu plusieurs évolutions ces dernières années. Au Sénégal le gouvernement a travaillé à renforcer le cadre juridique et réglementaire du warrantage (système de crédit rural qui consiste, pour une organisation paysanne (OP) et/ou ses membres, à obtenir un prêt en mettant en garantie un produit agricole non périssable) pour sécuriser davantage ces opérations. Ainsi, des initiatives ont été mises en place pour étendre ce système à plus de filières agricoles (au-delà des filières traditionnelles comme l'arachide ou le riz). De même, des partenariats avec des institutions financières ont été développés pour faciliter l'accès au crédit pour les détenteurs de récépissés et enfin, des plateformes numériques ont été introduites dans certaines régions pour dématérialiser le processus et accroître la transparence.

La problématique du stockage a plusieurs fois été soulignée lors des concertations contre la vie chère. L’Etat du Sénégal s’est beaucoup investi pour booster la production horticole. En 2021, au cours de la campagne 2020-2021, l’ORSRE a agréé 41 entrepôts dans les régions de l’Est et du Centre du pays, destinés principalement aux producteurs d’arachide et d’autres céréales. La même année, le SRE a facilité l'octroi de 111 récépissés au profit de 35 coopératives ou entreprises, représentant un stock total de 3 731 tonnes d’anacarde et d’arachide, et cela a généré la création de 392 emplois dans les régions concernées


 
Promotion et encadrement
 
Les dispositions de l’Acte Uniforme relatif au droit commercial général de l’OHADA assurent l’encadrement juridique du SRE. Ce système dans sa mission, est ouvert à l’Agriculture, en ce sens que les agriculteurs peuvent stocker leur production d’arachide, de mil, etc. dans des entrepôts certifiés moyennant un récépissé.

Il est aussi ouvert au financement (accompagné d’un warrant, il peut être cédé à une banque pour obtenir un crédit de campagne ou de stockage), et au Commerce (les commerçants l’utilisent pour gérer leurs stocks et leur trésorerie de manière plus flexible).
Par ailleurs, aux termes de l’Acte Uniforme, le récépissé peut être transféré (donc cessible à un tiers),  gagé (servir de garantie sans livraison matérielle de la marchandise) ; et de ce point de vue est exécutoire (en cas de non-remboursement, le créancier peut faire vendre les marchandises).

En dépit de son utilité, les défis sont relatifs aux nombreuses difficultés liées au manque d’infrastructures d’entreposage agréées, à la faible connaissance de l’instrument par les acteurs économiques, mais aussi, aux problèmes de traçabilité et de transparence sans oublier les  difficultés d’exécution des garanties en cas de défaut de paiement.

Le gouvernement sénégalais, en lien avec des partenaires comme la Banque mondiale ou la BOAD, avait lancé plusieurs projets afin de moderniser les entrepôts et les faire agréer, de sensibiliser les acteurs économiques et faciliter l’accès au crédit à travers ce mécanisme. L’ORSRE a cependant œuvré pour une mise à l’échelle nationale du système, en développant des infrastructures de stockage froid, adaptées aux besoins des producteurs.

Des récépissés d’entrepôt ont été lancés dans des localités telles que Diourbel, Gandiaye (Kaolack) et Ziguinchor. Mais cela reste encore insuffisant. Il faudrait certainement impliquer davantage les investisseurs dans le financement des entrepôts, qui seront dédiés à la gestion des produits agricoles.

Des programmes de formation avaient été mis en place pour les relais communautaires, visant à renforcer leur compréhension du système et à promouvoir l’inclusion financière des producteurs agricoles. Le succès du système repose certainement sur des partenariats solides entre l’ORSRE, les banques, les entreposeurs agréés et les autorités locales, pour créer un environnement propice à la valorisation des stocks agricoles. Mais on en entend plus parler. Nos tentatives pour rencontrer le patron actuel de l’ORSE et obtenir des données actualisées sont restées vaines. Néanmoins, en janvier 2024, des agents de l’ORSRE auraient séjourné à Tambacounda (Est du pays) pour sensibiliser les agriculteurs sur les opportunités offertes par le Système. Même l’Association Professionnelle des Banques et Établissements Financiers du Sénégal (Apbef) a été imprégnée du système à travers des séances de travail avec les acteurs du Système, afin de mieux leur faire comprendre les mécanismes d’intervention et l’accès au financement.

En juillet 2023, l'ORSRE avait démarré une mission de travail en Espagne avec son partenaire Globaltec , une visite de travail qui entrait dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale d'implantation des entrepôts. La mission avait d’ailleurs été précédée de plusieurs missions de terrain conjointement   ORSRE et Globaltec, dans les zones d'intervention du SRE au Sénégal. Il était question d'effectuer plusieurs activités, notamment des visites d'installations de transformation, de stockage et de commercialisation de produits agricoles.
 
Mère de la future BMPA

En terre ivoirienne, ne dites pas ORSE mais plutôt ARRE (Autorité de régulation du système de récépissé d’entreposage). Là-bas, le Système de récépissé d’entrepôt est vu comme une « opportunité pour la transformation locale des matières premières . Créée en 2015, l’Arre a pour missions de mettre en place un système de contrôle des récépissés d’entreposage électroniques fiable et sécurisé, notamment en conformité avec les objectifs de la Bourse des matières premières agricoles (Bmpa), d’une part, de réguler et contrôler d’autre part, le fonctionnement du Sre, conformément à la réglementation en vigueur, pour en assurer l’efficacité, l’efficience, la transparence et l’intégrité. Avec ses importantes ressources agricoles, ce pays a pour ambition la transformation d'une très bonne partie de ses produits agricoles.

En développant le Système de récépissé et d’entreposage, la Côte d’Ivoire vise pour la chaîne de valeur ajoutée, d’assurer effectivement la transformation structurelle de son économie et de changer la vie des paysans et, bien entendu, de maintenir la sécurité alimentaire, en ce qui concerne les produits vivriers. Entre les deux économies (Sénégal-Côte d’Ivoire), on constate ainsi les mêmes objectifs mais pas la même ambition.

A la faveur de la Bourse des valeurs mobilières (BRVM) commune aux huit pays de l’UEMOA, la Côte d’Ivoire a lancé sa Bourse des matières premières agricoles (BMPA-CI), indépendante de la BRVM, mais avec un accompagnement technique de celle-ci,  à l’image du Ghana (Commodity Exchange (GCX)) et du Nigéria (Nigerian Commodities Exchange (NCX)) en Afrique de l’Ouest, ou encore de l’Ethiopie (Ethiopian Commodity Exchange (ECX)) en Afrique de l’Est. BMPA-CI fonctionne avec des marchés spot et à terme (noix de cajou, maïs, cola).

Selon ses initiateurs, elle devrait permettre de renforcer les revenus des producteurs qui auront la latitude de vendre leurs récoltes sur un marché, qui présente de nombreux avantages. Prenant l’exemple de l’Ethiopie (plus de 100 millions d’habitants), important producteur de café, lorsque les autorités de ce pays ont démarré la bourse des matières premières agricoles avec le café, près d’un million de personnes seraient sorties de la pauvreté dès la première année.

Démarré en juillet 2018, le projet de création et d'opérationnalisation d'un marché des matières premières agricoles en Côte d'Ivoire, vise à contribuer notamment, à améliorer le financement du secteur agricole, à stimuler la production, et à permettre au secteur agricole de jouer pleinement son rôle dans le développement économique. Un exemple que le Sénégal devrait pouvoir suivre dans le sillage du Système de récépissé d’entrepôt (SRE).
Lejecos Magazine (Mai 2025)
 
 
 
Actu-Economie


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