
Personne n’en parle et pourtant sa mission est un enjeu national. Dès sa création en 1991 par la loi n° 91 21 du 16 février 1991, la Société nationale de recouvrement (SNR) a hérité de l’actif et du passif de la Banque nationale de Développement du Sénégal(BNDS), de la Société de Garantie, d’Assistance et de Crédit(SONAGA), de la Société Nationale de Banque (SONABANQUE), de la Société Financière Sénégalaise pour le Développement de l’Industrie et du Tourisme(SOFISEDIT), de la Société ASSURBANK, de l’Union Sénégalaise de Banque(USB) et de la Banque Sénégalo-Kowetienne(BSK) qui lui ont été transférés.
Sept établissements publics aux créances alors compromises et dont la liquidation avait conduit au gel des dépôts de beaucoup de sénégalais. Dans un contexte d’assainissement du système financier, la SNR s’est ainsi retrouvée avec un portefeuille de crédits non performants (NPL) d’un montant d’environ 144 milliards de Fcfa ( 450 millions USD), selon les chiffres recueillis d’une étude de 2021 de la Yale School Management- (Corey N. Runkel,un expert en stabilité financière et crises bancaires ) sur la SNR du Sénégal. L’objectif initial assigné alors par l’État du Sénégal à la SNR était de recouvrer 32 milliards de FCFA. Objectif atteint en 1993, selon ladite étude et, entre 1991 et 2014, la SNR a récupéré 30 milliards FCFA supplémentaires, portant le total de créances recouvrées à 62 milliards FCFA, soit un taux de recouvrement d’à peine 41 % du portefeuille initial.
De leur côté, les responsables de la SNR dégagent en touche et réfutent ces données, au cours d’une rencontre d’échanges tenue ce jeudi 12 juin 2025 à Dakar, avec la presse économique regroupée dans le Collectif des journalistes économiques du Sénégal(Cojes). Pourtant, un petit tour sur le portail-même de la SNR ( https://www.snr.gouv.sn/content/nos-r%C3%A9alisations), on peut lire : « La SNR a recouvré plus de soixante-cinq (65) milliards de francs CFA de créances, de sa création à la date du 31/12/2014.
Performance qui est la résultante d'actions soutenues menées à l'encontre des débiteurs, aussi bien au Sénégal qu'à l’étranger et durant la même période, elle a pu rembourser la quasi-totalité des dépôts qui étaient gelés dans les livres des banques liquidées. Ces résultats ont valu à la SNR d’être retenue par la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), suite à un appel d’offres international, pour le recouvrement des créances en souffrance de la Banque Régionale de Solidarité (BRS) dans l’espace UEMOA. » Qu’à cela ne tienne. En guise de précision, le Directeur financier et comptable de la SNR, M. Babacar Néné Mbaye, parle, lui, de « 78 milliards de FCFA de créances recouvrées par la SNR depuis sa création ». Sur la même période, la SNR a remboursé pour 39 milliards FCFA aux déposants, probablement sur les dépôts gelés par les banques d’État. Et d’ajouter que plus récemment, « Sur un portefeuille initial de 512 milliards de Fcfa de créances, l’État a décidé de transférer à la SNR quelque 120 milliards de Fcfa de créances au 31 décembre 2024 ». On se perd dans les chiffres mais pour justifier une performance, le Directeur général de la SNR, M. Babacar Ndiaye fait valoir « le recouvrement d’un montant de 2,5 milliards FCFA soit un taux de recouvrement de 11% en un trimestre seulement ».
Un montant important certes, mais qui représente tout de même une faible part du stock global évalué aujourd’hui par l’Association professionnelle des banques du Sénégal(APB), à 800 milliards FCFA, si l’on en croît les responsables de la SNR. Comparativement, toute proportion gardée, la Société Nationale de Recouvrement de Côte d’Ivoire, créée dans un contexte similaire, affiche des résultats légèrement plus favorables avec environ 150 milliards FCFA recouvrés jusqu’à la fin des années 2010, grâce à une meilleure communication et quelques réformes internes. Ce contraste souligne la nécessité pour la SNR sénégalaise de renforcer sa gouvernance et sa stratégie de recouvrement, pour mieux contribuer à l’assainissement des finances publiques.
Défis structurels
Le constat général c’est que les performances de la SNR sont plutôt limitées, mais cela s’explique par plusieurs facteurs relatifs notamment à la vétusté des créances, la faiblesse des garanties et les longues procédures judiciaires auxquelles la société est confrontée. En fait, la SNR fait face à plusieurs défis structurels qui freinent son efficacité. D’abord, le vieillissement des créances pose un problème majeur : plus les dettes restent impayées longtemps, plus leur recouvrement devient complexe, car les débiteurs peuvent disparaître, les garanties perdre de leur valeur, ou les preuves se dissiper. Ce stock ancien pèse lourd sur les capacités d’action de la société.
Ensuite, les procédures judiciaires longues et souvent inefficaces ralentissent considérablement le processus de recouvrement. Le système judiciaire, confronté à un grand nombre de dossiers, manque de ressources et d’outils adaptés pour accélérer ces litiges économiques. Cela crée un effet de goulot d’étranglement qui coûte cher en temps et en ressources. De plus, pour traiter efficacement un portefeuille aussi vaste, il faudrait renforcer les équipes de la SNR avec des experts spécialisés et moderniser les outils de gestion et de suivi des créances, notamment par la digitalisation.
Au-delà des chiffres, il y a aussi un enjeu de gouvernance. L’ « opacité » entourant les activités de la SNR – notamment l’absence de rapports d’exécution budgétaire réguliers – crée un climat d’incertitude, même si, à la décharge de la SNR, ses rapports sont transmis « à qui de droit » ! La balle est donc dans le camp de ce qui « droit ».
Il s’y ajoute qu’ « Aucun bilan de clôture n’a été fait pour les anciennes banques, ni de bilan d’ouverture pour la SNR », ce qui expliquerait selon le Directeur général, « toute la complexité de la mission ». Pour l’heure, face à la responsabilité des débiteurs publics : l’État devrait aussi s’imposer à lui-même.
La question du devenir
Au-delà des chiffres, il est aujourd’hui question d’une refonte de l'organisation de la SNR pour améliorer ses performances. Son Directeur général fait savoir que celle-ci est engagée dans une révision de sa loi de création, « Pour clarifier son statut et sécuriser son fonctionnement ». Cela est essentiel à plusieurs niveaux, et touche autant à l’efficacité économique qu’à la légitimité institutionnelle. En insistant sur le fait que « Nous sommes une institution publique, pas une société commerciale », le Directeur renseigne insciemment sur le caractère ambigu de la nature juridique de la SNR. Est-elle une entreprise publique commerciale, un bras administratif de l’État, ou un organe juridico-financier ? Aujourd’hui, la SNR cumule des fonctions quasi-juridictionnelles, commerciales et de service public, sans cadre clair ni lisibilité institutionnelle. Elle intervient parfois à la frontière du judiciaire et de l’administratif : négociation de moratoires, relances, poursuites… Or, pour être crédible face à des débiteurs puissants, elle doit avoir un statut légal solide et incontestable (comme une autorité indépendante ou une régie avec mandat clair) afin de sécuriser ses pouvoirs de recouvrement.
Par ailleurs, un statut flou est équivalent à une « zone grise budgétaire ». Qui contrôle la SNR ? Où vont les sommes recouvrées, même si ses autorités indiquent le Trésor public ? Qui les comptabilise ? Toujours est-il qu’une clarification permettrait non seulement un reporting clair au Parlement ou à la Cour des comptes, mais aussi une meilleure traçabilité des flux financiers entre elle et le Trésor. Il y va de la transparence et de la redevabilité.
En somme, à sa création, la SNR devait récupérer des créances issues des banques liquidées. Aujourd’hui, son mandat a évolué, mais sans réforme institutionnelle correspondante. C’est ce que confirme M. Bassirou Babou, Directeur du recouvrement et des affaires juridiques, qui déclare qu’un quart de siècle après sa création, « la question du devenir est d’actualité et s’il est unanimement reconnu que l’activité de recouvrement est une composante essentielle de l’économie, il faut admettre que la réactualisation ou réorientation de la mission de la SNR mérite réflexion. »
Compte tenu des nouveaux enjeux économiques et de la nécessité de capitaliser l’expérience acquise, la réflexion en question aurait formellement débuté en 2006 et fait l’objet de trois séminaires à l’occasion desquels, « Des réflexions approfondies et analyses jugées pertinentes ont abouti à des propositions de réformes des missions de la SNR, dans le but de redéfinir son périmètre d’intervention pour lui faire jouer un rôle plus globalisant notamment dans l’assainissement du secteur bancaire composé presque essentiellement de banques privées », estime M. Babou. Pour rappel, l’objet social de la SNR délimité par le Décret 91-2010 du 27 février 1991, lui confère une mission au service exclusif de l’État, des sociétés nationales et des personnes morales de droit public. Dès lors, un statut actualisé permettrait d’en faire un véritable instrument moderne de recouvrement de l’État, ou de recentrer sa mission si nécessaire. Enfin, la SNR pourrait jouer un rôle stratégique dans la dynamique de relance économique du pays. En optimisant le recouvrement des créances, elle pourrait libérer des ressources supplémentaires pour l’investissement public sans alourdir la pression fiscale sur les ménages et les entreprises. Cette perspective fait de la réforme et du renforcement de la SNR, un enjeu majeur pour la stabilité financière et la croissance économique du Sénégal.
Un long fleuve pas tranquille
La sécheresse du début des années 1980 et la détérioration des termes de l'échange ont fait chuter la valeur de nombreux prêts sénégalais. Les banques ont souvent fait ces prêts en raison de la faiblesse des contrôles internes, de l'ingérence excessive du gouvernement dans l'attribution des crédits et d'un système juridique mal équipé pour recouvrer les créances irrécouvrables. La Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) a prêté aux banques en difficulté alors que le pays travaillait avec la Banque mondiale pour améliorer son économie. Mais la mauvaise gestion des entreprises publiques a maintenu la valeur des prêts sénégalais à un niveau bas. Malgré cela, la BCEAO a continué à refinancer la dette des banques en difficulté jusqu'en 1988. La décision de la BCEAO de ne plus refinancer les banques sénégalaises, dont 49% des prêts étaient en défaut, a alors déstabilisé le secteur financier. Ces prêts non performants (NPL) représentaient près des trois quarts des prêts de huit banques sénégalaises.
Le pays s'est alors coordonné avec la Banque mondiale pour mener des réformes ambitieuses de sa politique commerciale et de ses entreprises publiques, appelées entités parapubliques. Les réformes se sont étendues au secteur financier sénégalais : la BCEAO a resserré les politiques de crédit et renforcé la supervision bancaire, tandis que le pays a commencé à restructurer et à liquider ses banques en difficulté, récupérant au passage les prêts non productifs.
Pour accélérer le processus, l'Assemblée nationale a adopté la loi 1991-21, créant la Société Nationale de Recouvrement (SNR) pour absorber les actifs non performants et certaines dettes. Le législateur a également défini la structure de gouvernance de la SNR en accord avec d'autres entités parapubliques afin d'éviter que les déposants ne saisissent les actifs de la SNR avant qu'elle ne puisse rembourser les autres créanciers. Le gouvernement a fourni la part initiale du capital de la SNR, soit 25 millions de francs CFA.
La SNR a conservé le personnel des banques liquidées pour gérer leurs anciens actifs. La loi 1991-21 a accordé à l'entreprise publique plusieurs pouvoirs pour accélérer la saisie des biens et le jugement contre les débiteurs. Le Sénégal a accepté plusieurs objectifs de recouvrement de la dette dans le cadre de son prêt de 1989 à la Banque mondiale, mais il n'a pas atteint la plupart d'entre eux. La création de la SNR a permis d'accélérer les recouvrements de dettes, mais ceux-ci ont encore progressé lentement.
En 2017, le SNR avait recouvré 62 milliards de francs CFA d'actifs, soit environ 43 % des 144 milliards de francs CFA initiaux.
À partir de 2020, les efforts de la SNR pour récupérer son portefeuille initial d'actifs non performants transférés se sont poursuivis. Le mandat de la société de gestion d'actifs s'est élargi pour inclure le recouvrement des actifs détenus par d'autres banques et entreprises publiques en faillite. Cependant, la contribution du SNR à ce succès est moins évidente.
Une réunion de l'Union monétaire ouest-africaine a abouti à « une refonte complète des mécanismes de supervision et de contrôle des banques » et à la fin des garanties bancaires des prêts aux entreprises publiques qui représentaient 20% des créances douteuses détenues par les banques en faillite (World Bank 1989). Ebrahimi (1996) a chiffré le coût de la réforme du secteur bancaire à 250 milliards de francs CFA, soit environ 17% du PIB.
Malick NDAW
Source
https://papers.ssrn.com/sol3/results.cfm?RequestTimeout=50000000
Sept établissements publics aux créances alors compromises et dont la liquidation avait conduit au gel des dépôts de beaucoup de sénégalais. Dans un contexte d’assainissement du système financier, la SNR s’est ainsi retrouvée avec un portefeuille de crédits non performants (NPL) d’un montant d’environ 144 milliards de Fcfa ( 450 millions USD), selon les chiffres recueillis d’une étude de 2021 de la Yale School Management- (Corey N. Runkel,un expert en stabilité financière et crises bancaires ) sur la SNR du Sénégal. L’objectif initial assigné alors par l’État du Sénégal à la SNR était de recouvrer 32 milliards de FCFA. Objectif atteint en 1993, selon ladite étude et, entre 1991 et 2014, la SNR a récupéré 30 milliards FCFA supplémentaires, portant le total de créances recouvrées à 62 milliards FCFA, soit un taux de recouvrement d’à peine 41 % du portefeuille initial.
De leur côté, les responsables de la SNR dégagent en touche et réfutent ces données, au cours d’une rencontre d’échanges tenue ce jeudi 12 juin 2025 à Dakar, avec la presse économique regroupée dans le Collectif des journalistes économiques du Sénégal(Cojes). Pourtant, un petit tour sur le portail-même de la SNR ( https://www.snr.gouv.sn/content/nos-r%C3%A9alisations), on peut lire : « La SNR a recouvré plus de soixante-cinq (65) milliards de francs CFA de créances, de sa création à la date du 31/12/2014.
Performance qui est la résultante d'actions soutenues menées à l'encontre des débiteurs, aussi bien au Sénégal qu'à l’étranger et durant la même période, elle a pu rembourser la quasi-totalité des dépôts qui étaient gelés dans les livres des banques liquidées. Ces résultats ont valu à la SNR d’être retenue par la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), suite à un appel d’offres international, pour le recouvrement des créances en souffrance de la Banque Régionale de Solidarité (BRS) dans l’espace UEMOA. » Qu’à cela ne tienne. En guise de précision, le Directeur financier et comptable de la SNR, M. Babacar Néné Mbaye, parle, lui, de « 78 milliards de FCFA de créances recouvrées par la SNR depuis sa création ». Sur la même période, la SNR a remboursé pour 39 milliards FCFA aux déposants, probablement sur les dépôts gelés par les banques d’État. Et d’ajouter que plus récemment, « Sur un portefeuille initial de 512 milliards de Fcfa de créances, l’État a décidé de transférer à la SNR quelque 120 milliards de Fcfa de créances au 31 décembre 2024 ». On se perd dans les chiffres mais pour justifier une performance, le Directeur général de la SNR, M. Babacar Ndiaye fait valoir « le recouvrement d’un montant de 2,5 milliards FCFA soit un taux de recouvrement de 11% en un trimestre seulement ».
Un montant important certes, mais qui représente tout de même une faible part du stock global évalué aujourd’hui par l’Association professionnelle des banques du Sénégal(APB), à 800 milliards FCFA, si l’on en croît les responsables de la SNR. Comparativement, toute proportion gardée, la Société Nationale de Recouvrement de Côte d’Ivoire, créée dans un contexte similaire, affiche des résultats légèrement plus favorables avec environ 150 milliards FCFA recouvrés jusqu’à la fin des années 2010, grâce à une meilleure communication et quelques réformes internes. Ce contraste souligne la nécessité pour la SNR sénégalaise de renforcer sa gouvernance et sa stratégie de recouvrement, pour mieux contribuer à l’assainissement des finances publiques.
Défis structurels
Le constat général c’est que les performances de la SNR sont plutôt limitées, mais cela s’explique par plusieurs facteurs relatifs notamment à la vétusté des créances, la faiblesse des garanties et les longues procédures judiciaires auxquelles la société est confrontée. En fait, la SNR fait face à plusieurs défis structurels qui freinent son efficacité. D’abord, le vieillissement des créances pose un problème majeur : plus les dettes restent impayées longtemps, plus leur recouvrement devient complexe, car les débiteurs peuvent disparaître, les garanties perdre de leur valeur, ou les preuves se dissiper. Ce stock ancien pèse lourd sur les capacités d’action de la société.
Ensuite, les procédures judiciaires longues et souvent inefficaces ralentissent considérablement le processus de recouvrement. Le système judiciaire, confronté à un grand nombre de dossiers, manque de ressources et d’outils adaptés pour accélérer ces litiges économiques. Cela crée un effet de goulot d’étranglement qui coûte cher en temps et en ressources. De plus, pour traiter efficacement un portefeuille aussi vaste, il faudrait renforcer les équipes de la SNR avec des experts spécialisés et moderniser les outils de gestion et de suivi des créances, notamment par la digitalisation.
Au-delà des chiffres, il y a aussi un enjeu de gouvernance. L’ « opacité » entourant les activités de la SNR – notamment l’absence de rapports d’exécution budgétaire réguliers – crée un climat d’incertitude, même si, à la décharge de la SNR, ses rapports sont transmis « à qui de droit » ! La balle est donc dans le camp de ce qui « droit ».
Il s’y ajoute qu’ « Aucun bilan de clôture n’a été fait pour les anciennes banques, ni de bilan d’ouverture pour la SNR », ce qui expliquerait selon le Directeur général, « toute la complexité de la mission ». Pour l’heure, face à la responsabilité des débiteurs publics : l’État devrait aussi s’imposer à lui-même.
La question du devenir
Au-delà des chiffres, il est aujourd’hui question d’une refonte de l'organisation de la SNR pour améliorer ses performances. Son Directeur général fait savoir que celle-ci est engagée dans une révision de sa loi de création, « Pour clarifier son statut et sécuriser son fonctionnement ». Cela est essentiel à plusieurs niveaux, et touche autant à l’efficacité économique qu’à la légitimité institutionnelle. En insistant sur le fait que « Nous sommes une institution publique, pas une société commerciale », le Directeur renseigne insciemment sur le caractère ambigu de la nature juridique de la SNR. Est-elle une entreprise publique commerciale, un bras administratif de l’État, ou un organe juridico-financier ? Aujourd’hui, la SNR cumule des fonctions quasi-juridictionnelles, commerciales et de service public, sans cadre clair ni lisibilité institutionnelle. Elle intervient parfois à la frontière du judiciaire et de l’administratif : négociation de moratoires, relances, poursuites… Or, pour être crédible face à des débiteurs puissants, elle doit avoir un statut légal solide et incontestable (comme une autorité indépendante ou une régie avec mandat clair) afin de sécuriser ses pouvoirs de recouvrement.
Par ailleurs, un statut flou est équivalent à une « zone grise budgétaire ». Qui contrôle la SNR ? Où vont les sommes recouvrées, même si ses autorités indiquent le Trésor public ? Qui les comptabilise ? Toujours est-il qu’une clarification permettrait non seulement un reporting clair au Parlement ou à la Cour des comptes, mais aussi une meilleure traçabilité des flux financiers entre elle et le Trésor. Il y va de la transparence et de la redevabilité.
En somme, à sa création, la SNR devait récupérer des créances issues des banques liquidées. Aujourd’hui, son mandat a évolué, mais sans réforme institutionnelle correspondante. C’est ce que confirme M. Bassirou Babou, Directeur du recouvrement et des affaires juridiques, qui déclare qu’un quart de siècle après sa création, « la question du devenir est d’actualité et s’il est unanimement reconnu que l’activité de recouvrement est une composante essentielle de l’économie, il faut admettre que la réactualisation ou réorientation de la mission de la SNR mérite réflexion. »
Compte tenu des nouveaux enjeux économiques et de la nécessité de capitaliser l’expérience acquise, la réflexion en question aurait formellement débuté en 2006 et fait l’objet de trois séminaires à l’occasion desquels, « Des réflexions approfondies et analyses jugées pertinentes ont abouti à des propositions de réformes des missions de la SNR, dans le but de redéfinir son périmètre d’intervention pour lui faire jouer un rôle plus globalisant notamment dans l’assainissement du secteur bancaire composé presque essentiellement de banques privées », estime M. Babou. Pour rappel, l’objet social de la SNR délimité par le Décret 91-2010 du 27 février 1991, lui confère une mission au service exclusif de l’État, des sociétés nationales et des personnes morales de droit public. Dès lors, un statut actualisé permettrait d’en faire un véritable instrument moderne de recouvrement de l’État, ou de recentrer sa mission si nécessaire. Enfin, la SNR pourrait jouer un rôle stratégique dans la dynamique de relance économique du pays. En optimisant le recouvrement des créances, elle pourrait libérer des ressources supplémentaires pour l’investissement public sans alourdir la pression fiscale sur les ménages et les entreprises. Cette perspective fait de la réforme et du renforcement de la SNR, un enjeu majeur pour la stabilité financière et la croissance économique du Sénégal.
Un long fleuve pas tranquille
La sécheresse du début des années 1980 et la détérioration des termes de l'échange ont fait chuter la valeur de nombreux prêts sénégalais. Les banques ont souvent fait ces prêts en raison de la faiblesse des contrôles internes, de l'ingérence excessive du gouvernement dans l'attribution des crédits et d'un système juridique mal équipé pour recouvrer les créances irrécouvrables. La Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) a prêté aux banques en difficulté alors que le pays travaillait avec la Banque mondiale pour améliorer son économie. Mais la mauvaise gestion des entreprises publiques a maintenu la valeur des prêts sénégalais à un niveau bas. Malgré cela, la BCEAO a continué à refinancer la dette des banques en difficulté jusqu'en 1988. La décision de la BCEAO de ne plus refinancer les banques sénégalaises, dont 49% des prêts étaient en défaut, a alors déstabilisé le secteur financier. Ces prêts non performants (NPL) représentaient près des trois quarts des prêts de huit banques sénégalaises.
Le pays s'est alors coordonné avec la Banque mondiale pour mener des réformes ambitieuses de sa politique commerciale et de ses entreprises publiques, appelées entités parapubliques. Les réformes se sont étendues au secteur financier sénégalais : la BCEAO a resserré les politiques de crédit et renforcé la supervision bancaire, tandis que le pays a commencé à restructurer et à liquider ses banques en difficulté, récupérant au passage les prêts non productifs.
Pour accélérer le processus, l'Assemblée nationale a adopté la loi 1991-21, créant la Société Nationale de Recouvrement (SNR) pour absorber les actifs non performants et certaines dettes. Le législateur a également défini la structure de gouvernance de la SNR en accord avec d'autres entités parapubliques afin d'éviter que les déposants ne saisissent les actifs de la SNR avant qu'elle ne puisse rembourser les autres créanciers. Le gouvernement a fourni la part initiale du capital de la SNR, soit 25 millions de francs CFA.
La SNR a conservé le personnel des banques liquidées pour gérer leurs anciens actifs. La loi 1991-21 a accordé à l'entreprise publique plusieurs pouvoirs pour accélérer la saisie des biens et le jugement contre les débiteurs. Le Sénégal a accepté plusieurs objectifs de recouvrement de la dette dans le cadre de son prêt de 1989 à la Banque mondiale, mais il n'a pas atteint la plupart d'entre eux. La création de la SNR a permis d'accélérer les recouvrements de dettes, mais ceux-ci ont encore progressé lentement.
En 2017, le SNR avait recouvré 62 milliards de francs CFA d'actifs, soit environ 43 % des 144 milliards de francs CFA initiaux.
À partir de 2020, les efforts de la SNR pour récupérer son portefeuille initial d'actifs non performants transférés se sont poursuivis. Le mandat de la société de gestion d'actifs s'est élargi pour inclure le recouvrement des actifs détenus par d'autres banques et entreprises publiques en faillite. Cependant, la contribution du SNR à ce succès est moins évidente.
Une réunion de l'Union monétaire ouest-africaine a abouti à « une refonte complète des mécanismes de supervision et de contrôle des banques » et à la fin des garanties bancaires des prêts aux entreprises publiques qui représentaient 20% des créances douteuses détenues par les banques en faillite (World Bank 1989). Ebrahimi (1996) a chiffré le coût de la réforme du secteur bancaire à 250 milliards de francs CFA, soit environ 17% du PIB.
Malick NDAW
Source
https://papers.ssrn.com/sol3/results.cfm?RequestTimeout=50000000