Entre autres grosses contraintes du secteur agricole sénégalais, on relève aujourd’hui l’accès au crédit, qui constitue un obstacle majeur avec la problématique de la garantie, à côté de celle du stockage et aussi de la logistique. Toutes ces contraintes pourraient être levées en intégrant le secteur agricole sénégalais au marché des capitaux.
Prenons l’exemple de l’arachide, dont la commercialisation pose régulièrement problème, entre le gouvernement (à travers la Sonacos) qui n’achète que très peu de graines, ou à des prix qui n’intéressent pas les producteurs, lesquels préfèrent se précipiter pour répondre à l’appel d’acheteurs chinois qui proposent de meilleurs prix.
Le récépissé d'entrepôt serait donc une solution puissante pour améliorer la commercialisation de l'arachide au Sénégal. Toutefois il doit être accompagné d'infrastructures, de financements et d'une bonne gouvernance pour réussir pleinement. Les mêmes conditions sont valables pour une éventuelle transaction boursière de l’arachide, avec cependant les avantages que procurerait l’agrément de la bourse par le récépissé, qui devient ainsi un actif négociable pour le producteur d’arachide, pour accéder à de meilleurs prix (plus transparents, parce que déterminés par l’offre et la demande) ; et accéder au crédit en mettant en garantie son récépissé. Dès lors le circuit serait purgé de tous intermédiaires non réglementés.
Une Bourse Agricole Sénégalaise
Si on considère le cas de figure où la Bourse Agricole Sénégalaise (BAS) existe déjà, à travers par exemple une plateforme au niveau de la BRVM. Alors, le producteur pourrait s’enregistrer auprès de celle-ci, directement auprès de la bourse (l’antenne locale ; ou Via une organisation paysanne, coopérative ou agrégateur partenaire ; ou encore via une application mobile (si disponible dans sa région). Le producteur d’arachide pourrait ainsi choisir de mettre lui-même en vente (via un agent BAS ou en ligne s’il est formé), ou laisser la BAS vendre au meilleur prix à un moment stratégique et les acheteurs (entreprises, transformateurs, traders) enchérissent. Une fois le produit vendu, le paiement est effectué dans un délai de 24 à 48 heures et le producteur est payé par mobile money, virement bancaire ou espèces, selon ses préférences. Il n’a pas besoin alors de chercher un acheteur ou négocier seul (avec les problèmes que l’on sait), pour avoir des prix plus justes et transparents, et bénéficier ainsi d’une réduction des pertes post-récolte grâce aux entrepôts.
Préalables incontournables
Une réelle volonté politique est cependant nécessaire pour transformer l’essai, pour une meilleure inclusion du secteur agricole dans les marchés financiers. Au Sénégal, le secteur bancaire est déjà familier avec les récépissés d'entrepôt (ou bons d’entrepôt), qui pourraient représenter un pilier essentiel d’un marché boursier des matières premières agricoles. Le contexte sénégalais s’y prête bien, avec le potentiel agricole existant, et ses produits phares comme l’arachide, le mil, le maïs, le riz, l’oignon, la pastèque, la mangue, etc. Une forte activité agricole se déploie dans des zones comme le bassin arachidier, la Casamance ou le fleuve Sénégal, où il existe de plus en plus de centres de stockage. De plus des acteurs mobilisables comme la Der, l’APIX, les banques, les fintechs, les producteurs, etc... qui soutiennent les chaînes de valeur, constituent autant d’opportunités.
De plus, le Sénégal est un leader en services numériques agricoles en Afrique de l’Ouest. Cependant, il y a des défis structurels qui ont pour noms saisonnalité, informel, volatilité des prix ; besoins de financement : campagne, post-récolte, transformation ; limites du crédit agricole classique.
Un fort soutien politique et institutionnel, ainsi qu’un cadre réglementaire clair, soutenus par des sessions de formation organisées, sont un préalable indispensable, à travers un partenariat public-privé (PPP). A la clé, le Sénégal pourrait tirer le bénéfice d’une amélioration des revenus agricoles, une diminution des pertes post-récolte, un financement rural innovant et une stabilisation des prix. A l’instar de la Côte d’Ivoire (BMPA) voisine qui s’est concentré sur le négoce de produits, tels que la noix brute de cajou, le maïs et la noix de cola fraîche, au Sénégal, un projet pilote sur une ou deux filières (ex : arachide, oignon) pourrait être lancé avant extension. L’exemple inspirant du Ghana Commodity Exchange (GCX), dont le modèle repose entièrement sur un système moderne de Warehouse Receipts, est illustratif de ce bénéfice, avec des producteurs qui gagnent +30% de revenu en moyenne et plus de 100 000 tonnes de produits agricoles sont échangés grâce à ce mécanisme.
Il faut souligner que chez les francophones (Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso...), on parle de récépissé d’entrepôt, mais à l’international (ex : documents d’exportation, contrats commerciaux), le terme "Warehouse Receipt" est le terme standard. Entre les deux, il y a cependant une légère différence de sophistication le Warehouse Receipt qui peut être dématérialisé (certificat électronique) dans certains pays, est beaucoup plus développé. En revanche, en Afrique francophone, le récépissé d'entrepôt est encore souvent en version papier et moins intégré aux marchés. Mais le Sénégal, en développant son système de récépissé d'entrepôt, pourrait s'aligner avec les standards des Warehouse Receipts internationaux et évoluer rapidement dans le sens de la dématérialisation. . Mais il faut le faire avec attention...
La condition d’une régulation forte
En effet à partir des années 2010, plusieurs fraudes massives ont été découvertes dans le système des Warehouse Receipts utilisés à grande échelle en Inde. Récépissés fictifs procèdent ainsi : des entrepôts émettaient plusieurs récépissés pour la même marchandise ; les stocks déposés étaient très dégradés, sans que les banques ou les acheteurs ne soient avertis ; et certains producteurs et gestionnaires d'entrepôts s'arrangeaient pour soutirer des prêts bancaires sans réelle garantie. Cela avait à l’époque, constitué le plus grand scandale financier en Inde.
Les leçons sont à tirer de ce crash du côté des pays africains favorables à l’établissement d’un tel système. Il s’agit d’abord de mettre en place une régulation indépendante, forte et bien financée, ensuite l’émission du reçu doit correspondre à un dépôt physique vérifiable à tout moment et s’assurer de cela. Enfin, procéder à un audit régulier des stocks et à la digitalisation des récépissés , et bien sûr, comme préalable, assurer la formation de tous les acteurs (producteurs, banques, entrepôts).
De plus, compte tenu des enjeux financiers et des risques encourus par le circuit financier, un tel dispositif devrait d’abord, et avant tout, être encadré par la Banque centrale, le ministère des Finances et bien sûr l’autorité de régulation des marchés financiers (AMF-UEMOA) et le ministère en charge l’Agriculture et celui du Commerce.
La Côte d’Ivoire est en avance en exigeant des tiers détenteurs une licence et une assurance contre le vol, l’incendie et le dommage. De plus le collatéral manager doit disposer d’un capital minimum de 500 000 dollars (287 750 000 Fcfa) pour le café et le cacao et 160 000 dollar (92 080 000 FCfa) pour la noix de cajou. Il faut aussi une garantie bancaire de 170 000 dollars (402 850 000 FCfa) pour les deux premiers produits et approximativement 85 000 dollars ( 48 917 500 FCfa) pour la noix de cajou.
En définitive, le Système de récépissé d’entrepôt est à la fois un outil juridique sécurisé, et un levier économique puissant pour transformer l'agriculture de subsistance en agriculture commerciale moderne.
En perspectives pour 2025, des chantiers stratégiques sont en cours au niveau de la BRVM, notamment le développement des marchés de dérivés et de matières premières. Avec ces initiatives, la bourse, qui regroupe les huit pays de l’UEMOA, entend diversifier son offre de produits financiers pour répondre à une demande croissante de sophistication des investisseurs sur un marché où la liquidité reste encore faible et les bases d’investisseurs limitées.
Lejecos Magazine (Mai 2025)
(Sources: https://www.brvm.org/ ; https://www.financialafrik.com/ ; http://www.commerce.gouv.ci/)
Prenons l’exemple de l’arachide, dont la commercialisation pose régulièrement problème, entre le gouvernement (à travers la Sonacos) qui n’achète que très peu de graines, ou à des prix qui n’intéressent pas les producteurs, lesquels préfèrent se précipiter pour répondre à l’appel d’acheteurs chinois qui proposent de meilleurs prix.
Le récépissé d'entrepôt serait donc une solution puissante pour améliorer la commercialisation de l'arachide au Sénégal. Toutefois il doit être accompagné d'infrastructures, de financements et d'une bonne gouvernance pour réussir pleinement. Les mêmes conditions sont valables pour une éventuelle transaction boursière de l’arachide, avec cependant les avantages que procurerait l’agrément de la bourse par le récépissé, qui devient ainsi un actif négociable pour le producteur d’arachide, pour accéder à de meilleurs prix (plus transparents, parce que déterminés par l’offre et la demande) ; et accéder au crédit en mettant en garantie son récépissé. Dès lors le circuit serait purgé de tous intermédiaires non réglementés.
Une Bourse Agricole Sénégalaise
Si on considère le cas de figure où la Bourse Agricole Sénégalaise (BAS) existe déjà, à travers par exemple une plateforme au niveau de la BRVM. Alors, le producteur pourrait s’enregistrer auprès de celle-ci, directement auprès de la bourse (l’antenne locale ; ou Via une organisation paysanne, coopérative ou agrégateur partenaire ; ou encore via une application mobile (si disponible dans sa région). Le producteur d’arachide pourrait ainsi choisir de mettre lui-même en vente (via un agent BAS ou en ligne s’il est formé), ou laisser la BAS vendre au meilleur prix à un moment stratégique et les acheteurs (entreprises, transformateurs, traders) enchérissent. Une fois le produit vendu, le paiement est effectué dans un délai de 24 à 48 heures et le producteur est payé par mobile money, virement bancaire ou espèces, selon ses préférences. Il n’a pas besoin alors de chercher un acheteur ou négocier seul (avec les problèmes que l’on sait), pour avoir des prix plus justes et transparents, et bénéficier ainsi d’une réduction des pertes post-récolte grâce aux entrepôts.
Préalables incontournables
Une réelle volonté politique est cependant nécessaire pour transformer l’essai, pour une meilleure inclusion du secteur agricole dans les marchés financiers. Au Sénégal, le secteur bancaire est déjà familier avec les récépissés d'entrepôt (ou bons d’entrepôt), qui pourraient représenter un pilier essentiel d’un marché boursier des matières premières agricoles. Le contexte sénégalais s’y prête bien, avec le potentiel agricole existant, et ses produits phares comme l’arachide, le mil, le maïs, le riz, l’oignon, la pastèque, la mangue, etc. Une forte activité agricole se déploie dans des zones comme le bassin arachidier, la Casamance ou le fleuve Sénégal, où il existe de plus en plus de centres de stockage. De plus des acteurs mobilisables comme la Der, l’APIX, les banques, les fintechs, les producteurs, etc... qui soutiennent les chaînes de valeur, constituent autant d’opportunités.
De plus, le Sénégal est un leader en services numériques agricoles en Afrique de l’Ouest. Cependant, il y a des défis structurels qui ont pour noms saisonnalité, informel, volatilité des prix ; besoins de financement : campagne, post-récolte, transformation ; limites du crédit agricole classique.
Un fort soutien politique et institutionnel, ainsi qu’un cadre réglementaire clair, soutenus par des sessions de formation organisées, sont un préalable indispensable, à travers un partenariat public-privé (PPP). A la clé, le Sénégal pourrait tirer le bénéfice d’une amélioration des revenus agricoles, une diminution des pertes post-récolte, un financement rural innovant et une stabilisation des prix. A l’instar de la Côte d’Ivoire (BMPA) voisine qui s’est concentré sur le négoce de produits, tels que la noix brute de cajou, le maïs et la noix de cola fraîche, au Sénégal, un projet pilote sur une ou deux filières (ex : arachide, oignon) pourrait être lancé avant extension. L’exemple inspirant du Ghana Commodity Exchange (GCX), dont le modèle repose entièrement sur un système moderne de Warehouse Receipts, est illustratif de ce bénéfice, avec des producteurs qui gagnent +30% de revenu en moyenne et plus de 100 000 tonnes de produits agricoles sont échangés grâce à ce mécanisme.
Il faut souligner que chez les francophones (Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso...), on parle de récépissé d’entrepôt, mais à l’international (ex : documents d’exportation, contrats commerciaux), le terme "Warehouse Receipt" est le terme standard. Entre les deux, il y a cependant une légère différence de sophistication le Warehouse Receipt qui peut être dématérialisé (certificat électronique) dans certains pays, est beaucoup plus développé. En revanche, en Afrique francophone, le récépissé d'entrepôt est encore souvent en version papier et moins intégré aux marchés. Mais le Sénégal, en développant son système de récépissé d'entrepôt, pourrait s'aligner avec les standards des Warehouse Receipts internationaux et évoluer rapidement dans le sens de la dématérialisation. . Mais il faut le faire avec attention...
La condition d’une régulation forte
En effet à partir des années 2010, plusieurs fraudes massives ont été découvertes dans le système des Warehouse Receipts utilisés à grande échelle en Inde. Récépissés fictifs procèdent ainsi : des entrepôts émettaient plusieurs récépissés pour la même marchandise ; les stocks déposés étaient très dégradés, sans que les banques ou les acheteurs ne soient avertis ; et certains producteurs et gestionnaires d'entrepôts s'arrangeaient pour soutirer des prêts bancaires sans réelle garantie. Cela avait à l’époque, constitué le plus grand scandale financier en Inde.
Les leçons sont à tirer de ce crash du côté des pays africains favorables à l’établissement d’un tel système. Il s’agit d’abord de mettre en place une régulation indépendante, forte et bien financée, ensuite l’émission du reçu doit correspondre à un dépôt physique vérifiable à tout moment et s’assurer de cela. Enfin, procéder à un audit régulier des stocks et à la digitalisation des récépissés , et bien sûr, comme préalable, assurer la formation de tous les acteurs (producteurs, banques, entrepôts).
De plus, compte tenu des enjeux financiers et des risques encourus par le circuit financier, un tel dispositif devrait d’abord, et avant tout, être encadré par la Banque centrale, le ministère des Finances et bien sûr l’autorité de régulation des marchés financiers (AMF-UEMOA) et le ministère en charge l’Agriculture et celui du Commerce.
La Côte d’Ivoire est en avance en exigeant des tiers détenteurs une licence et une assurance contre le vol, l’incendie et le dommage. De plus le collatéral manager doit disposer d’un capital minimum de 500 000 dollars (287 750 000 Fcfa) pour le café et le cacao et 160 000 dollar (92 080 000 FCfa) pour la noix de cajou. Il faut aussi une garantie bancaire de 170 000 dollars (402 850 000 FCfa) pour les deux premiers produits et approximativement 85 000 dollars ( 48 917 500 FCfa) pour la noix de cajou.
En définitive, le Système de récépissé d’entrepôt est à la fois un outil juridique sécurisé, et un levier économique puissant pour transformer l'agriculture de subsistance en agriculture commerciale moderne.
En perspectives pour 2025, des chantiers stratégiques sont en cours au niveau de la BRVM, notamment le développement des marchés de dérivés et de matières premières. Avec ces initiatives, la bourse, qui regroupe les huit pays de l’UEMOA, entend diversifier son offre de produits financiers pour répondre à une demande croissante de sophistication des investisseurs sur un marché où la liquidité reste encore faible et les bases d’investisseurs limitées.
Lejecos Magazine (Mai 2025)
(Sources: https://www.brvm.org/ ; https://www.financialafrik.com/ ; http://www.commerce.gouv.ci/)