Putin dans le déni

Mercredi 14 Janvier 2015

WASHINGTON, DC – Alors que 2014 touchait à sa fin, une énorme crise financière a éclaté en Russie. Les prix du pétrole avaient chuté de près de moitié depuis la mi-juin, et le rouble a plongé en décembre, terminé l'année par une diminution du même ordre de grandeur. Les réserves internationales de la Russie ont chuté de 135 milliards de dollars et l'inflation a atteint deux chiffres. Les choses ne vont faire qu'empirer.


La capacité de la Russie à traverser sa situation actuelle repose sur son puissant président, Vladimir Poutine
La capacité de la Russie à traverser sa situation actuelle repose sur son puissant président, Vladimir Poutine
Le prix actuel du pétrole va forcer la Russie à réduire ses importations de moitié – ce qui, avec la hausse continue de l'inflation, diminuera considérablement le niveau de vie des Russes. Si vous ajoutez à cela la corruption qui ne cesse de s’aggraver et un gel sévère de la liquidité, un effondrement financier, accompagné d'une baisse de 8 à 10% de la production, semble probable.
La capacité de la Russie à traverser sa situation actuelle repose sur son puissant président, Vladimir Poutine. Mais Poutine continue à refuser d’agir ; en fait, jusqu'à présent, il a prétendu qu'il n'y a aucune crise du tout. Dans ses deux grandes apparitions publiques en décembre, Poutine a simplement parlé de la « situation actuelle ». Dans son message de vœux du Nouvel An, il s’est vanté de l'annexion de la Crimée et du succès des Jeux olympiques d'hiver à Sotchi, en évitant soigneusement toute référence à l'économie.
Mais, alors que l'économie est en chute libre, Poutine ne pourra pas continuer à faire semblant. Et quand il reconnaîtra enfin la réalité, il aura peu de marge de manœuvre.
Bien sûr, Poutine pourrait retirer ses troupes de l'est de l'Ukraine, poussant ainsi les Etats-Unis et l’Europe à lever les sanctions économiques contre la Russie. Mais cela reviendrait à admettre la défaite – quelque chose que Poutine ne supporte pas.
De même, à moins d'initier une guerre majeure, Poutine a peu d'options pour faire augmenter les prix du pétrole. En outre, avant même que le prix du pétrole ne chute, le capitalisme de copinage avait stoppé la croissance – et tout effort sérieux pour changer le système déstabiliserait la base de son pouvoir.
En fait, l'approche de leadership de Poutine semble fondamentalement incompatible avec n’importe quelle solution aux difficultés économiques actuelles de la Russie. Bien que des statistiques exactes et à jour sur l'économie de la Russie – nécessaires pour guider des mesures efficaces pour lutter contre la crise – soient facilement disponibles au public en ligne, Poutine affirme ne pas utiliser Internet.
Au lieu de cela, le journaliste Ben Judah rapporte  que Poutine reçoit des mises à jour quotidiennes sur la politique du Kremlin, les affaires intérieures et les relations extérieures de la part de ses trois principales agences de renseignement. Ses actions suggèrent qu'il considère que les données économiques sont beaucoup moins importante que les informations de sécurité – ce qui est peut-être l'attitude naturelle d'un kleptocrate.
Que ce soit clair, il ne manque pas d'expertise économique parmi les décideurs russes. Au contraire, les institutions économiques clés de la Russie disposent de gestionnaires compétents. Le problème est que l'élaboration des politiques est concentrée dans les mains du Kremlin, où l'expertise économique fait défaut. En effet, le dernier des poids lourds économiques – tous des survivances des années 1990 – faisant partie du cercle personnel de Poutine était Alexeï Koudrine, qui a démissionné en tant que ministre des Finances en 2011. Contrairement aux États-Unis, aucun des dirigeants économiques de la Russie ne siège au Conseil national de sécurité.
Poutine a usurpé l'autorité non seulement de ses collègues les plus expérimentés, mais aussi du premier ministre, qui agissait traditionnellement comme décideur économique principal de la Russie. En effet, depuis que Poutine est revenu à la présidence en 2012, le Premier ministre Dmitri Medvedev a été totalement dépourvus de pertinence.
En bref, Poutine – qui n’est pas un expert économique - prend toutes les grandes décisions de politique économique en Russie, délivrant des ordres aux hauts dirigeants des entreprises publiques et aux ministres individuels lors de réunions ad hoc et en tête-à-tête. En conséquence, la politique économique russe est fragmentée et dysfonctionnelle.
Nulle part ailleurs ce manque de coordination n’est aussi évident que dans le sensible  marché des devises. En Russie, contrairement à la plupart des autres pays, la banque centrale ne dispose pas du droit exclusif d'intervenir. Lorsque le rouble a chuté en décembre, le ministère des Finances – qui détient près de la moitié des 169 milliards de dollars de réserves de change de la Russie, répartis dans deux fonds souverains de richesse – a jugé que l'intervention de la banque centrale était insuffisante. Il a donc annoncé qu'il allait vendre 7 milliards de dollars de ses réserves pour stimuler le rouble – une décision qui a provoqué une hausse excessive du taux de change.
Lorsque le taux de change a chuté à nouveau, le Kremlin a exhorté les cinq plus grandes entreprises exportatrices publiques d'échanger une partie de leurs actifs en roubles, ce qui conduit à une autre hausse excessive, suivie par une autre forte baisse. De toute évidence, de telles interventions non coordonnées exacerbent les turbulences sur le marché des changes, provoquant des fluctuations de la valeur du rouble de 5% - et jusqu'à 10% - en une seule journée.
La situation financière de la Russie, déterminée par la gestion du budget arbitraire de Poutine, n’est guère meilleure. Les priorités de Poutine sont claires : d’abord et avant tout l'armée, l'appareil de sécurité et l'administration de l'Etat ; ensuite viennent les grands projets d'infrastructure grâce auxquels lui et ses acolytes bâtissent leur fortune ; enfin, les dépenses sociales (principalement les pensions), qui sont nécessaires pour maintenir le soutien populaire. Soudain, les revenus pétroliers ne sont plus suffisants pour couvrir tous les trois.
Aussi dur que le ministère des Finances puisse essayer d'équilibrer les dépenses et les recettes, il manque le poids politique nécessaire. L'année dernière, le gouvernement central a délégué plus de dépenses d'éducation et de soins de santé à des organismes régionaux, sans allouer plus de ressources – et il n'y avait rien que l'on pouvait faire à ce sujet.
Si Poutine veut sauver l'économie de la Russie de la catastrophe, il doit changer ses priorités. Pour commencer, il doit suspendre certains grands projets d'infrastructure de long terme qu'il a promus énergiquement au cours des deux dernières années. Bien que la décision en décembre d’abandonner le projet de gazoduc South Stream est un pas dans la bonne direction, il est loin d'être suffisant.
De même, Poutine devrait suivre la recommandation raisonnable du ministre des Finances Anton Silouanov de réduire les dépenses publiques de 10% cette année, y compris dans les programmes sociaux et l'armée. Mais l'expérience montre qu’il est peu probable que Poutine suive ce conseil.
La Russie est confrontée à de graves problèmes financiers - qui ne font que s'intensifier. Mais son plus gros problème reste son leader, qui continue à nier la réalité, tout en poursuivant des politiques et des projets qui ne feront qu’empirer la situation.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Anders Åslund est senior fellow du Peterson Institute for International Economics à Washington, DC.
 
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