Pour un secteur financier qui voit au-delà de sa raison d’être

Jeudi 28 Février 2019

Mesdames et Messieurs,
Je suis honorée d’avoir été invitée à prononcer le discours Tacite dans ce lieu magnifique qu’est le Guildhall. J’ai aussi la chance de me trouver parmi de nombreux amis, dont d’anciens collègues, qui savent que j’ai un faible pour les histoires.
Je commencerai donc par une histoire concernant Hollywood. Comme vous le savez peut-être, Disney a dû récemment relever le défi d’inventer une suite à la version originale de Mary Poppins, qui enchante enfants et adultes depuis plus d’un demi-siècle.


Les producteurs du nouveau film ont recréé la gouvernante aux pouvoirs magiques des livres de P.L. Travers, mais aussi introduit une nouvelle série de personnages, dont un méchant capable de flanquer une peur bleue à tout le monde. Ce méchant, vous l’avez deviné, est un banquier doucereux qui accumule une fortune par des manigances. À la fin, bien sûr, il est vaincu par la grâce d’un brin de magie.
La question qui se pose est la suivante : pourquoi le banquier est-il le méchant ? Après tout, une économie saine a besoin d’un secteur financier sain au service des gens qui cherchent à améliorer leur vie et celle de leurs enfants.
Vous pourriez appeler cela la « magie quotidienne » de la finance : aider les familles à acquérir un logement ou à épargner en vue de la retraite, aider les entreprises à obtenir des capitaux pour soutenir la croissance et l’emploi, et aider les gens ordinaires à gérer les risques et à se préparer à des jours difficiles. C’est ce que la plupart des professionnels de la finance font tous les jours avec application et un sentiment de fierté.
Malgré ces aspects positifs, la caricature du « méchant banquier » fait mouche depuis l’aube de la civilisation. Sa version la plus récente, que connaissent des millions d’enfants dans le monde entier, illustre le profond malaise actuel à l’égard du rôle de la finance.
Nul besoin de magie pour faire remonter l’essentiel de cette frustration à la crise financière mondiale, qui a eu de douloureuses conséquences économiques et psychologiques pour des millions de gens. Nous savons aussi que beaucoup s’indignent des révélations à n’en plus finir sur les scandales financiers et les dérèglements qui se produisent partout dans le monde.
Assurément, la mondialisation financière a été l’un des principaux facteurs de ce que Théodore Roosevelt appelait « l’accumulation démesurée de fortunes par quelques-uns » , un nouvel Âge doré caractérisé par une forte inégalité économique et une faible mobilité sociale. À Wall Street, par exemple, le niveau général des rémunérations a atteint des records [[2]]url:https://www.imf.org/fr/News/Articles/2019/02/21/sp022819-md-the-financial-sector-redefining-a-broader-sense-of-purpose#_ftn2  et on assiste dans d’autres centres financiers à une tendance similaire à revenir aux niveaux d’avant la crise.
Il n’est pas étonnant que tous les courants politiques manifestent une inquiétude croissante à propos de la finance — qui concerne non seulement les problèmes du moment, mais la raison d’être de ce secteur. Dans de trop nombreux cas, celui-ci s’est éloigné de sa noble vocation initiale. De plus, il s’est trop souvent efforcé de servir ses propres intérêts plutôt que ceux de la population et de l’économie en général.
Il doit sûrement y avoir une meilleure voie à suivre à l’avenir — et cela nous amène au thème de mon intervention :
J’ai la conviction que nous pouvons travailler à bâtir un meilleur secteur financier — un secteur plus sûr, plus viable et conforme à l’éthique. Un secteur financier qui voit plus loin que sa seule raison d’être.
L’objectif ne se justifie pas seulement sur le plan moral, mais aussi sur le plan économique. Pourquoi ? Parce qu’un meilleur secteur financier est plus que jamais nécessaire pour obtenir ce dont notre XXIe siècle a tant besoin : un plus haut niveau d’emploi, une croissance plus verte et un bon niveau de vie pour tous.
Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de remodeler la finance pour qu’elle corresponde mieux aux valeurs sociétales et soit davantage axée sur les intérêts de toutes les parties prenantes : clients, travailleurs, actionnaires, communautés locales et générations futures.
Pour y parvenir, le fameux parapluie de Mary Poppins ne suffira pas. Deux questions se posent :
· Premièrement, comment pouvons-nous rendre le système plus sûr — pour encourager le bon, et non le mauvais, côté de la finance ?
· Deuxièmement, comment le secteur financier peut-il concourir à une croissance à long terme plus viable et plus solidaire ?
1. Comment pouvons-nous rendre le système plus sûr ?
Permettez-moi de commencer par une observation simple : pour que la finance devienne plus sûre et plus digne de confiance, elle devra s’appuyer sur de bonnes innovations, de meilleures réglementations et un sens plus large de la responsabilité.
a) De bonnes innovations
Les étudiants en histoire nous diront que ces problèmes se posent depuis toujours. D’abord, l’incidence de l’innovation financière sur le progrès humain est remarquable. Pensez à son rôle dans le développement de l’écriture, des mathématiques, de la comptabilité et de la théorie de la probabilité.
Pensez à l’introduction de la monnaie-papier chinoise au IXe siècle ou à la vogue des prestiti, les premières véritables obligations d’État, à Venise au XIIIe siècle . Et songez au fil conducteur qui relie les premiers marchés boursiers, à Anvers et à Amsterdam, et les applis d’investissement modernes qui mettent les marchés financiers mondiaux à notre portée.
L’étude de l’histoire nous révèle aussi les boums du crédit insoutenables et les bulles spéculatives issues de brillantes innovations financières.
Dans la Rome antique, en l’an 33 de notre ère, les prix fonciers s’effondrèrent après que des familles nobles eurent contracté des emprunts pariant sur l’augmentation constante de ces prix. L’administration de l’empereur Tibère n’eut d’autre choix que de renflouer les investisseurs en leur accordant des prêts budgétaires sans intérêts sur trois ans. Nous savons ceci parce que Tacite lui-même décrivit brièvement cette crise financière dans ses derniers ouvrages .
Il ne s’agit que d’un exemple parmi tant d’autres. Au XVIIsiècle, lors de la « tulipomanie », ce fut l’apparition d’un marché de contrats à terme. Au XVIIIe siècle, lors de la bulle des mers du Sud, ce fut la promesse d’un nouveau monde mythique. Aux XIXe et XXe siècles, ce furent souvent de nouvelles technologies allant de la « folie des chemins de fer » jusqu’à la bulle de l’Internet .
Puis, bien sûr, dans la période précédant la crise financière mondiale, ce fut l’ingénierie financière qui contribua à une frénésie de prises de risques inconsidérées. Aussi, quand Lehman Brothers a fait faillite, les responsables de la politique économique ont été confrontés à un moment que j’ai qualifié d’incroyable.
Ce qui nous a alors frappé le plus a été l’étonnante fragilité de tant de banques des pays avancés. Le cœur même de ces entreprises avait été affaibli par une insuffisance de fonds propres, des modèles d’activité défectueux et l’aveuglement des puissants — une combinaison toxique qui a mis sur le dos des contribuables la responsabilité de procéder à des renflouements massifs de banques.
Aujourd’hui, la question est de savoir si les systèmes financiers sont plus sûrs. Pour dire les choses brièvement, ils sont effectivement plus sûrs, mais pas assez.
b) De meilleures réglementations
La bonne nouvelle, c’est que, depuis une dizaine d’années, les pays travaillent ensemble à la réforme des règles financières mondiales afin de rétablir la confiance et la santé financière. Cette initiative ambitieuse, à laquelle le CSF, le FMI, le G-20 et beaucoup d’autres institutions participent, a sensiblement amélioré les choses.
Les banques ont beaucoup plus de fonds propres et de liquidité. Les plus grandes sont soumises à une réglementation plus stricte et leur endettement est moindre. Dans tous les pays importants et dans de nombreux pays émergents, il est devenu beaucoup plus facile d’interrompre progressivement l’activité des banques en difficulté. En outre, une grande part du marché des produits dérivés est nettement plus transparente.
Tout cela est satisfaisant, mais non encore suffisant.
Nous devons faire davantage pour parer aux dangers éventuels du principe « trop grand pour faire faillite », car les banques s’agrandissent et deviennent plus complexes. Aux États-Unis, par exemple, les cinq premières détiennent quelque 45 % des actifs bancaires contre environ 40 % en 2007 [[6]]url:https://www.imf.org/fr/News/Articles/2019/02/21/sp022819-md-the-financial-sector-redefining-a-broader-sense-of-purpose#_ftn6 .
Dans ce contexte, des économistes éminents et des experts du secteur réclament une nouvelle augmentation des fonds propres, allant au-delà des obligations actuelles, pour s’assurer que les banques puissent résister à une éventuelle crise.
D’autres ne sont pas convaincus, parce que cette nouvelle hausse pourrait avoir des effets secondaires négatifs tels qu’une réduction du crédit. Jusqu’à présent, les données disponibles indiquent qu’une hausse des fonds propres aurait un coût relativement faible.
Nous devons nous préoccuper avant tout des pressions croissantes pour revenir sur certaines règles adoptées après la crise. Il faut que les pays y résistent. En fait, ils doivent aller plus loin, car on aura besoin de plus de travail et de volonté politique pour appliquer pleinement les réformes existantes.
Alors même que les responsables continuent à assimiler les leçons de la dernière crise, ils doivent faire preuve de vigilance à l’égard de nouveaux risques. Ainsi, le FMI a récemment estimé que les cyberattaques pourraient faire perdre jusqu’à 350 milliards de dollars au système bancaire mondial .
Pensons aussi à un ajustement brutal des prix d’actifs de nature à ébranler le secteur bancaire parallèle qui se développe rapidement. Dans cette partie du monde de la finance, il y a de nombreuses lacunes réglementaires auxquelles il conviendrait de remédier. Nous croyons, par exemple, que les pays devraient réglementer les normes de souscription sur les marchés de dette à haut risque, notamment pour les emprunts avec effet de levier.
Bien sûr, de bonnes innovations et une meilleure réglementation ne suffisent pas à rendre la finance plus sûre et plus digne de confiance. On a aussi besoin d’une conception plus large de la responsabilité individuelle et collective.
b) Une responsabilité élargie
Les comportements responsables reposent largement sur les incitations, en particulier de nature monétaire. Il est indéniable que les politiques de rémunération pratiquées dans le secteur bancaire ont conduit à des prises de risques inconscientes avant la crise financière.
Comme le disait un expert  : « Utilisez aussi peu de fonds propres que possible ; promettez un rendement élevé ; liez les primes à la réalisation à court terme de cet objectif et veillez à ce que le moins possible de ces gains soit retiré en cas de catastrophe. »
Nous savons comment cela s’est terminé. Nous savons aussi que beaucoup ont l’impression que les responsables de la crise n’en ont pas subi les conséquences, alors qu’elle a coûté cher aux gens ordinaires. Aux yeux du grand nombre, cela a vraiment constitué l’atteinte ultime à la confiance du public.
Qu’est-ce qui a changé depuis ? Pour commencer, les réformes adoptées après la crise ont sensiblement modifié les conditions en faisant mieux correspondre les rémunérations individuelles à la santé de l’entreprise.
Ici, dans la City, si vous êtes un banquier chevronné, 40 % à 60 % de votre rémunération variable sera versée dans 3 à 7 ans. En outre, elle peut être réduite, annulée ou retirée en cas de résultats médiocres ou de conduite inappropriée.
En d’autres termes, les banquiers risquent plus. Au Royaume-Uni, les banquiers et les traders de haut niveau doivent aussi se conformer à ce que l’on appelle le régime des cadres dirigeants et de certification (« Senior Manager and Certification Regime »), qui a accru la responsabilisation et aide les entreprises à adopter un comportement éthique au sommet de la hiérarchie.
Sur ce point, j’aimerais féliciter mon ancienne collègue du FMI, Minouche Shafik, qui, dans le cadre de ses fonctions de sous-gouverneur de la Banque d’Angleterre, a tant fait pour promouvoir des codes de conduite à l’intention des marchés financiers.
On peut certainement faire plus : en rapprochant les procédures de retrait de primes dans les différents pays, en communiquant davantage au sein des entreprises sur les actions disciplinaires et en créant un code de conduite mondial.
Et n’oublions pas l’importance de la responsabilité pénale et civile. Dans les principaux centres financiers, nous assistons à une poursuite plus déterminée des manquements individuels. Toutefois, les principales conséquences des contentieux (des milliards de dollars d’amendes) sont supportées par les entreprises financières, qui les considèrent trop souvent comme de simples coûts liés aux aléas du monde des affaires.
Valeurs et éthique
Il est vrai que même les sanctions juridiques les plus dures ainsi que les règles de rémunération et de gouvernance les plus intelligentes ne peuvent se substituer à une forte responsabilité individuelle fondée sur des valeurs et sur l’éthique. En effet, c’est non seulement le « comportement moral au sommet », mais aussi la « réponse de la base », qui créent une culture d’entreprise meilleure et plus digne de confiance.
C’est pourquoi le secteur financier a besoin de ce que j’appelle une « mise à jour éthique ». Qu’est-ce que j’entends par là ? Pour les professionnels de la finance, cela signifie simplement bien se comporter — même quand personne ne les surveille. Cela paraît si simple et pourtant c’est peut-être ce qu’il y a de plus difficile.
Souvenons-nous que « crédit » vient du mot latin « confiance », concept qui constitue le socle du système financier. Or, la confiance ne peut être fabriquée ou imposée. Il faut la gagner par un comportement vertueux à motivation intrinsèque — même en l’absence de surveillance, je le répète.
On pourrait ici s’inspirer d’Aristote, qui soutenait que nous sommes tous guidés par une finalité. Nous pouvons l’atteindre en développant des vertus comme la justice, le courage, la maîtrise de soi, la prudence, la générosité et l’honnêteté. Le philosophe pensait que c’était la clé du véritable bonheur.
Cet état d’esprit peut aussi contribuer à une carrière bancaire ayant du sens ainsi qu’à l’avènement d’un système financier plus sûr et suscitant davantage la confiance. Mais ce n’est pas tout. Selon Aristote, la finalité individuelle doit toujours être liée à la finalité sociale, c’est-à-dire au bien commun.
Ce principe s’applique à tous les aspects de la vie, y compris au monde de l’entreprise en général et aux entreprises financières. La « fin » d’une société ne peut se cantonner à ses intérêts financiers. Elle doit englober une responsabilité collective plus large.
Il n’est donc pas surprenant d’assister à une multiplication des débats sur la nature des entreprises modernes et le concept de maximisation de la valeur actionnariale.
Comme l’a dit l’économiste britannique Colin Mayer  : « Pendant presque la totalité de son histoire vieille de 2.000 ans, l’entreprise a conjugué finalité publique et activités commerciales. C’est seulement pendant les 60 dernières années qu’est apparue l’idée selon laquelle le bénéfice serait sa finalité unique ».
Je pense qu’il est plus important que jamais d’encourager une responsabilité partagée plus large — à l’égard des parties prenantes actuelles mais aussi des générations futures.
D’où ma seconde question : comment le secteur financier peut-il contribuer à une croissance à long terme plus viable et plus solidaire ?
2. Comment la finance peut-elle contribuer à une croissance viable et solidaire ?
Permettez-moi de commencer par donner un chiffre. Pendant les quinze prochaines années, les « milléniaux » hériteront d’un patrimoine de 24.000 milliards de dollars et ils sont deux fois plus susceptibles que les autres générations d’investir dans des sociétés ou des fonds qui cherchent à obtenir des résultats sociaux ou environnementaux.
Le secteur financier a saisi cette occasion pour proposer diverses formes d’investissements à impact social, des obligations vertes et une large gamme de produits de fonds de placement qui tiennent compte des problèmes environnementaux, sociaux et de gouvernance (« ESG »).
L’investissement durable est à l’évidence en plein essor, mais cela renvoie à une question plus profonde : que vous soyez banquier, gestionnaire de fonds ou entrepreneur fintech, vous vous demandez probablement comment adopter une approche plus viable qui soit à la fois économiquement saine et éthique.
C’est l’occasion ou jamais de redéfinir la magie de la finance pour qu’elle tende plus loin que sa seule raison d’être actuelle.
a) La Fintech
La priorité immédiate doit être d’encourager la technologie financière de pointe, c’est-à-dire de créer des produits fintech beaucoup plus abordables et accessibles. Il s’agit de servir les clients et les communautés selon des modalités nouvelles et améliorées. Cela implique aussi de repenser le modèle économique du secteur financier lui-même.
Aux États-Unis, par exemple, le coût unitaire de l’intermédiation financière n’a pratiquement pas changé depuis un siècle, alors que les revenus des activités financières et la valeur des actifs financiers ont évolué de concert . Cela indique qu’il y a une forte extraction de rentes.
La réponse de la fintech consiste à intensifier la concurrence, à réduire les inefficiences et à abaisser les coûts supportés par les personnes physiques et les petites entreprises. De cette façon, la fintech peut contribuer à une « révolution de l’inclusion ».
Au Kenya et en Chine, les systèmes de paiement mobile ont permis à des millions de gens auparavant non bancarisés d’accéder au système financier. En Lettonie, au Brésil et ailleurs, les prêts de pair à pair constituent de nouvelles sources de crédit pour les petites entreprises. Dans le monde entier, la technologie des chaînes de blocs permet d’effectuer des transactions plus rapidement et à moindre coût — cela va du négoce de titres à l’envoi de fonds à des parents habitant à l’étranger. Et ce n’est que le début.
N’oublions pas qu’au Royaume-Uni 1,5 million  d’adultes n’ont toujours pas de compte en banque et qu’aux États-Unis quelque 33 millions de ménages sont sous ou non bancarisés  — et ces chiffres sont bien plus élevés dans les pays émergents et en développement.
Il est donc largement possible d’encourager l’inclusion financière qui, comme nous le savons, mène à une croissance plus forte et à une hausse de l’emploi. Il faut pour cela disposer d’écosystèmes numériques dynamiques, comme à Londres où se trouve le plus grand pôle européen de jeunes pousses de la fintech.
Mais la fintech ne suffit pas. Il faut également une meilleure réglementation et une supervision plus intelligente pour garantir que les nouvelles sources de crédit n’encouragent pas à trop emprunter et que les données personnelles sont protégées des intrusions et des délinquants.
En d’autres termes, il faut soumettre les services fintech de nature bancaire à la réglementation bancaire, en particulier lorsque la protection des consommateurs est en jeu. Pour les nouvelles entreprises, cela signifie de travailler avec les régulateurs pour exploiter l’énorme potentiel de la fintech tout en gérant les risques.
C’est l’objectif du Programme Fintech de Bali, lancé en octobre dernier par le FMI et la Banque mondiale . Il formule des principes essentiels, notamment en matière de promotion de la concurrence et de la capacité de choix des consommateurs ainsi que de lutte contre le blanchiment des capitaux, à même de contribuer à guider nos actions communes à l’avenir.
b) Les femmes dirigeantes
La révolution de l’inclusion va bien sûr au-delà de la fintech. Elle englobe aussi l’impératif de diversifier le personnel dirigeant dans la finance.
Je dis cela pour deux raisons. D’abord, une plus grande diversité aiguise toujours la réflexion tout en réduisant le risque d’un conformisme de groupe. Ensuite, elle entraîne toujours un surcroît de prudence et de meilleures décisions.
Nos propres recherches  le confirment : la présence d’une plus grande proportion de femmes dans les conseils des banques et des agences de supervision financière va de pair avec davantage de stabilité financière, ce qui favorise une croissance plus forte et plus durable.
Il reste beaucoup à faire en ce domaine. Dans le monde,2 % seulement des PDG de banque et moins d’un cinquième des membres des conseils d’administration ou de direction sont des femmes . Ici, au Royaume-Uni, le rapport Hampton–Alexander a exhorté les plus grandes sociétés cotées à porter la proportion de femmes dans les conseils d’administration à au moins un tiers d’ici 2020 .
Des quotas changeraient-ils la situation ? La réponse est « oui » à condition qu’ils soient bien conçus et appliqués. Un bon exemple est la Norvège où, en cinq ans, les quotas obligatoires ont contribué au quadruplement du pourcentage de femmes dans les conseils des sociétés .
À l’évidence, il est indispensable d’augmenter le nombre de femmes exerçant le pouvoir — et pas seulement au niveau le plus élevé des entreprises, mais comme consommatrices de services financiers. Partout dans le monde, elles se font de plus en plus entendre en ce qui concerne l’investissement de leur propre argent.
Ainsi, des enquêtes récentes montrent que les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’effectuer des investissements durables. En outre, elles sont à l’origine de la demande de nouveaux produits tels que les fonds ciblant l’égalité femmes hommes dans les sociétés.
Cet état d’esprit est parfaitement représenté par la statue de la « fille sans peur »située à Wall street — ce qui m’amène au thème final.
c) Investir pour le bien public mondial
J’ai la conviction que des initiatives courageuses et des idées nouvelles sont plus que jamais nécessaires pour investir dans l’intérêt du bien commun mondial.
Un exemple : il faudra mobiliser des milliers de milliards de dollars d’investissements privés pour faire face au changement climatique et atteindre les objectifs de développement durable (ODD) — qui visent à éliminer la pauvreté d’ici 2030, et, plus encore, à faire de la planète un lieu de vie plus accueillant pour nos enfants et petits-enfants.
Ces objectifs — entérinés par la communauté mondiale — constituent un redoutable défi, mais aussi une formidable opportunité — en particulier pour le secteur financier.
Il y a seulement quelques années, le secteur financier considérait le risque climatique comme une menace lointaine. Selon la fameuse formule du gouverneur Mark Carney, c’était la « tragédie à un horizon lointain » .
Cet horizon temporel s’est beaucoup rapproché depuis.
Les ouragans particulièrement violents dans les Caraïbes, les incendies en Californie et les graves inondations dans certaines régions du Royaume-Uni ne sont que quelques-uns des signaux d’alarme à propos d’une menace économique qui perturbe déjà les vies de trop de gens et de communautés.
En outre, le débat économique prend de l’ampleur sur les effets probables du changement climatique sur la productivité, les revenus, la stabilité financière — et même la politique monétaire, sans parler des pressions migratoires.
Quelles sont les conséquences pour le secteur financier ? Il doit passer à un mode opératoire plus durable, fondé sur une meilleure gestion du risque et une vision à plus long terme. Il lui faut également mobiliser plus de capitaux pour investir dans les personnels et les infrastructures.
Ainsi, le FMI a récemment estimé les dépenses supplémentaires nécessaires pour que les pays à faible revenu atteignent les ODD — dans des secteurs essentiels comme la santé, l’éducation et les infrastructures à faible émission de carbone — à quelque 520 milliards de dollars par an en 2030 .
On ne pourra couvrir ce besoin de financement qu’en faisant appel à une conjonction de ressources publiques et privées allant des prêts bancaires, aux financements de grands projets et à ce que l’on appelle les « financements mixtes » — qui mêlent dons, financements concessionnels et financements commerciaux.
Il est essentiel que les investissements publics et privés se complètent, mais ne se substituent pas l’un à l’autre. Ils doivent aller de pair pour créer les conditions propices à l’investissement. Il s’agit de politiques économiques saines, de cadres juridiques solides, d’une bonne gouvernance et de la tolérance zéro à l’égard de la corruption — que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public.
Et il faut garder à l’esprit que les ODD ne concernent pas seulement les pays en développement. Ils sont conçus pour favoriser une croissance mondiale plus forte, plus équitable et bonne pour l’environnement.
Pour que les ODD accomplissent cette promesse, il nous faudra aussi exploiter la dynamique du secteur de l’investissement durable — qui représente déjà 23.000 milliards de dollars, soit 26 % des actifs mondiaux sous gestion .
Comment y parvenir ? Les gestionnaires de fonds pourraient, par exemple, lancer de nouveaux produits d’investissement encourageant les entreprises à conformer leurs modèles d’activité aux ODD. Ils pourraient aussi travailler avec les responsables de la politique économique pour établir des normes internationales en matière de comptabilisation et de communication de la durabilité — cela développerait beaucoup la transparence et renforcerait la crédibilité de l’investissement durable.
Comme je l’ai dit, nous sommes à un moment de l’histoire où il est absolument indispensable de prendre des mesures courageuses, où les idées innovantes peuvent nous aider à changer de paradigme et où nous conjuguons nos efforts pour œuvrer au bien commun mondial.
Conclusion
Permettez-moi de conclure en revenant à Mary Poppins. Souvenez-vous de la scène où le « gentil banquier » fait la leçon à ses enfants sur la finalité. Il soutient qu’ils doivent suivre son exemple et chante le couplet suivant [...n’ayez crainte, je ne chanterai pas] :
« Une banque britannique est gérée avec précision. C’est ce qu’il faut à un ménage britannique ! Tradition, discipline et règles sont de rigueur. Faute de quoi, c’est le désordre ! Le chaos ! L’effondrement moral ! Bref, l’horreur ! » 
Bon, c’est une manière d’exprimer les choses... Mais la question est de savoir si les jeunes d’aujourd’hui devraient envisager d’aller travailler dans le secteur financier. Pour nombre d’entre eux, la réponse revient à trouver une raison d’être— comme Mary Poppins.
La grandeur de son caractère est de servir autrui — avec dignité, bon cœur, honnêteté et un sens de l’humour malicieux. Je pense que c’est une bonne description de ce que le secteur financier devrait être.
Être au service des autres et non de soi-même — c’est la réelle magie de la finance.
Je vous remercie.
Par Christine Lagarde, directrice générale du FMI 
Tacitus Lecture — Guildhall, Londres

 
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