Jusqu'où un État peut-il exercer sa souveraineté sans violer les engagements contractuels ou internationaux ? La question pose plusieurs problématiques et ouvre plusieurs perspectives qui sont apparues au cours de la première édition des Rencontres africaines du droit international (RADI qui s’est tenue, ce 19 juin 2025 à Dakar. Organisée conjointement par la Société sénégalaise de droit international (SSDI) et l’African Center of International Law Practice (ACILP), la rencontre qui a réuni universitaires, praticiens du droit, magistrats, responsables d’agences étatiques (APIX, Petrosen, Somisen), représentants du secteur privé et des institutions internationales, a permis d’échanger sur la problématique de la « Souveraineté économique et droit international de l’investissement : défis et enjeux pour le Sénégal ».
Un thème loin d’être fortuit au regard du contexte actuel qui prévaut dans le secteur extractif notamment le gaz et le pétrole au Sénégal. Problématique centrale dans le droit de l’investissement, notamment en Afrique, la « tension « entre la protection des investisseurs et la souveraineté économique révèle une asymétrie historique dans le droit de l’investissement international. Aussi, beaucoup des intervenants au Forum ont plaidé pour une réforme en profondeur du régime juridique des investissements, aux fins de concilier souveraineté économique et respect des engagements internationaux. Le président de la SSDI et directeur des programmes de l’ACILP, Me Aboubacar Fall, lui, est allé en profondeur en soutenant qu’« Il faut revisiter les TBI, le Code des investissements et s’inspirer du Code panafricain des investissements ainsi que du protocole de la ZLECAF. »
Concrètement sur la question des TBI (Traités bilatéraux d’investissement), le président de l’ACILP, Dr Mouhamadou Madana Kane, en a identifié les limites à travers notamment celui conclu par le Sénégal avec les Etats-Unis et qui, souligne-t-il, « interdit les prescriptions de résultats et les contraintes de performance. » Pour lui, « Ces dispositions peuvent entrer en contradiction avec la loi sur le contenu local, conçue pour favoriser les entreprises sénégalaises dans des secteurs stratégiques », indique M. Kane, pour y déceler une « brèche » dans laquelle les investisseurs sont susceptibles de s’engouffrer devant des juridictions arbitrales internationales. Ce à quoi renchérit Mme Suzy Nikiema, directrice de l’Institut du droit des investissements à Genève, qui soutient que, tel qu’il a été conçu dans les années 60, « Le régime des TBI n’a pas tenu ses promesses en matière de développement, tout en engendrant surtout des contentieux coûteux. »
Un exercice plutôt délicat
Et le Sénégal dans tout ça ? « Le Sénégal demeure attaché à ses engagements internationaux tout en affirmant une volonté de maîtriser ses politiques économiques », selon Mme Marième Touré Lô, Conseillère spéciale, représentant l’Etat. En soulignant la « nécessité d’un équilibre entre stabilité juridique et capacité d’adaptation, entre protection des investisseurs et souveraineté économique », elle a passé en revue les réformes en cours relatives, entre autres, à la révision du Code des investissements et à la réforme de la justice économique.
Dans son déroulé, le forum sur le droit international de l’investissement s’inscrit dans une acception plus large qui intègre le contexte de bon nombre de pays africains confrontés à la problématique de la conciliation entre les nécessités d’attractivité de l’investissement et les marges de manœuvre des Etats dans les limites du droit international. Le caractère épineux se trouve dans la question, par exemple au Sénégal : « Dans quelles conditions le contenu local peut-il être mis en œuvre sans enfreindre les engagements au droit international » ?
L’exercice s’avère plutôt délicat entre doter les Etats africains d’instruments juridiques leur permettant de défendre efficacement leurs intérêts, tout en restant attractifs pour les investisseurs. Cependant, une « africanisation du droit de l’investissement » est de plus en plus incontournable, comme l’a rappelé Me Aboubacar Fall, président de la SSDI et directeur des programmes de l’ACILP.
« Africanisation » : une dynamique déjà amorcée
L'idée d'une « africanisation » du droit de l’investissement est à la fois pertinente, ambitieuse et en partie en cours, bien que confrontée à plusieurs défis. Mais qu’entend-on par « africanisation » ? Généralement, il est question de repenser le droit de l’investissement à partir des réalités socio-économiques, historiques et culturelles africaines, de renforcer la souveraineté juridique des États africains face aux normes dominantes imposées par les institutions financières internationales ou les investisseurs étrangers, de promouvoir un cadre équilibré qui protège à la fois les investisseurs et les intérêts des populations locales (droits sociaux, environnement, retombées économiques). Cela paraît quasi insurmontable comme objectifs et pourtant, certaines initiatives à travers des réformes régionales en cours montrent que c’est possible.
Bien que généraliste, l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) offre un socle juridique régional pour sécuriser les investissements avec une certaine africanité juridique. De même, à travers son protocole sur l’investissement (adopté en 2023), la ZLECAF (Zone de Libre-Échange Continentale Africaine) pose les bases d’un droit africain des investissements, en rupture avec le modèle des anciens accords bilatéraux. Sans oublier l’adoption du Code Panafricain des Investissements (CPAI), entreprise dès 2015 par L’Union Africaine (UA), comme le rappelle Me Aboubacar Fall, Directeur des programmes de l’ACILP. Dans une récente tribune (https: www.ifriqiyia.com/post/vers-une-africanisation-du-droit-international-de-l-investissement ) , Me Fall prenait fait et cause pour le CPAI qui, selon lui, « marque une nette rupture avec les modèles traditionnels des traités d’investissement internationaux (TII), tout en préservant le nécessaire équilibre entre les intérêts des investisseurs et ceux des Etats-hôtes ».
Un thème loin d’être fortuit au regard du contexte actuel qui prévaut dans le secteur extractif notamment le gaz et le pétrole au Sénégal. Problématique centrale dans le droit de l’investissement, notamment en Afrique, la « tension « entre la protection des investisseurs et la souveraineté économique révèle une asymétrie historique dans le droit de l’investissement international. Aussi, beaucoup des intervenants au Forum ont plaidé pour une réforme en profondeur du régime juridique des investissements, aux fins de concilier souveraineté économique et respect des engagements internationaux. Le président de la SSDI et directeur des programmes de l’ACILP, Me Aboubacar Fall, lui, est allé en profondeur en soutenant qu’« Il faut revisiter les TBI, le Code des investissements et s’inspirer du Code panafricain des investissements ainsi que du protocole de la ZLECAF. »
Concrètement sur la question des TBI (Traités bilatéraux d’investissement), le président de l’ACILP, Dr Mouhamadou Madana Kane, en a identifié les limites à travers notamment celui conclu par le Sénégal avec les Etats-Unis et qui, souligne-t-il, « interdit les prescriptions de résultats et les contraintes de performance. » Pour lui, « Ces dispositions peuvent entrer en contradiction avec la loi sur le contenu local, conçue pour favoriser les entreprises sénégalaises dans des secteurs stratégiques », indique M. Kane, pour y déceler une « brèche » dans laquelle les investisseurs sont susceptibles de s’engouffrer devant des juridictions arbitrales internationales. Ce à quoi renchérit Mme Suzy Nikiema, directrice de l’Institut du droit des investissements à Genève, qui soutient que, tel qu’il a été conçu dans les années 60, « Le régime des TBI n’a pas tenu ses promesses en matière de développement, tout en engendrant surtout des contentieux coûteux. »
Un exercice plutôt délicat
Et le Sénégal dans tout ça ? « Le Sénégal demeure attaché à ses engagements internationaux tout en affirmant une volonté de maîtriser ses politiques économiques », selon Mme Marième Touré Lô, Conseillère spéciale, représentant l’Etat. En soulignant la « nécessité d’un équilibre entre stabilité juridique et capacité d’adaptation, entre protection des investisseurs et souveraineté économique », elle a passé en revue les réformes en cours relatives, entre autres, à la révision du Code des investissements et à la réforme de la justice économique.
Dans son déroulé, le forum sur le droit international de l’investissement s’inscrit dans une acception plus large qui intègre le contexte de bon nombre de pays africains confrontés à la problématique de la conciliation entre les nécessités d’attractivité de l’investissement et les marges de manœuvre des Etats dans les limites du droit international. Le caractère épineux se trouve dans la question, par exemple au Sénégal : « Dans quelles conditions le contenu local peut-il être mis en œuvre sans enfreindre les engagements au droit international » ?
L’exercice s’avère plutôt délicat entre doter les Etats africains d’instruments juridiques leur permettant de défendre efficacement leurs intérêts, tout en restant attractifs pour les investisseurs. Cependant, une « africanisation du droit de l’investissement » est de plus en plus incontournable, comme l’a rappelé Me Aboubacar Fall, président de la SSDI et directeur des programmes de l’ACILP.
« Africanisation » : une dynamique déjà amorcée
L'idée d'une « africanisation » du droit de l’investissement est à la fois pertinente, ambitieuse et en partie en cours, bien que confrontée à plusieurs défis. Mais qu’entend-on par « africanisation » ? Généralement, il est question de repenser le droit de l’investissement à partir des réalités socio-économiques, historiques et culturelles africaines, de renforcer la souveraineté juridique des États africains face aux normes dominantes imposées par les institutions financières internationales ou les investisseurs étrangers, de promouvoir un cadre équilibré qui protège à la fois les investisseurs et les intérêts des populations locales (droits sociaux, environnement, retombées économiques). Cela paraît quasi insurmontable comme objectifs et pourtant, certaines initiatives à travers des réformes régionales en cours montrent que c’est possible.
Bien que généraliste, l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) offre un socle juridique régional pour sécuriser les investissements avec une certaine africanité juridique. De même, à travers son protocole sur l’investissement (adopté en 2023), la ZLECAF (Zone de Libre-Échange Continentale Africaine) pose les bases d’un droit africain des investissements, en rupture avec le modèle des anciens accords bilatéraux. Sans oublier l’adoption du Code Panafricain des Investissements (CPAI), entreprise dès 2015 par L’Union Africaine (UA), comme le rappelle Me Aboubacar Fall, Directeur des programmes de l’ACILP. Dans une récente tribune (https: www.ifriqiyia.com/post/vers-une-africanisation-du-droit-international-de-l-investissement ) , Me Fall prenait fait et cause pour le CPAI qui, selon lui, « marque une nette rupture avec les modèles traditionnels des traités d’investissement internationaux (TII), tout en préservant le nécessaire équilibre entre les intérêts des investisseurs et ceux des Etats-hôtes ».
Par ailleurs, on note une contestation croissante des tribunaux d’arbitrage étrangers et, plusieurs pays (Afrique du Sud, Tanzanie, Algérie, etc.) se sont retirés de traités d’investissement, ou ont renégocié leurs accords pour favoriser la justice locale ou régionale. De plus, il y a une volonté manifeste d’en finir avec l’ISDS (Investor-State Dispute Settlement), jugé déséquilibré et défavorable aux États africains. Pour mémoire, l'ISDS est un mécanisme de règlement des différends qui permet aux investisseurs étrangers de poursuivre des États devant un tribunal international en cas de litige. Ce système est souvent inclus dans les accords commerciaux et d'investissement pour protéger les droits des investisseurs contre des actions gouvernementales qui pourraient nuire à leurs investissements. Un système qui suscite des débats sur son impact sur la souveraineté des États et sur les politiques publiques.
Les raisons d’un bouclier
L’« africanisation » du droit de l’investissement bute cependant sur pas mal d’obstacles tel que la dépendance juridique externe. La majorité des contrats d’investissement restent régis par le droit international ou des systèmes étrangers (common law, arbitrage CIADI, etc.). De plus, peu d’universités africaines et de centres d’arbitrage produisent du savoir juridique autonome sur ces questions. Il s’y ajoute l’épineuse hétérogénéité des systèmes juridiques africains, avec la coexistence du droit civil, du common law, du droit coutumier, du droit musulman… Comment dans ces conditions, arriver à une uniformisation rapide d’un droit continental, d’autant plus que la faible capacité de négociation constitue un obstacle majeur, beaucoup d’États africains manquant encore de cadres techniques, juridiques et financiers formés pour négocier équitablement avec des multinationales puissantes ?
Néanmoins, en matière de réalisme économique, c’est une histoire d’intérêts souvent divergents et chaque partie est en droit de tirer la couverture à elle. Dans les jeux d’intérêts, on ne peut dénier à un investisseur qui, au demeurant, prend tous les risques notamment dans le domaine extractif, la velléité d’optimiser son investissement. D’autant plus qu’en tant qu’acteur privé, il est vulnérable face à des pouvoirs souverains qui ne justifient pas tout et n’importe quoi, comme on le voit souvent en Afrique, surtout dans des contextes politiquement instables, avec les risques d’expropriation ou de nationalisation, de changement imprévisible du cadre juridique ou fiscal voire d’instabilité politique, judiciaire et administrative.
En somme, les investisseurs veulent se protéger des États non pas parce qu’ils les considèrent comme ennemis, mais parce qu’ils en redoutent la puissance juridique, politique et administrative qui peut être utilisée de manière imprévisible ou injuste.
Le chantier est vaste, mais il est ouvert sur un nouveau paradigme : celui d’un équilibre à construire, dans lequel les investisseurs sont protégés sans que cela n’entrave le droit légitime des États à réguler, redistribuer et défendre leurs intérêts stratégiques.
Malick NDAW
En somme, les investisseurs veulent se protéger des États non pas parce qu’ils les considèrent comme ennemis, mais parce qu’ils en redoutent la puissance juridique, politique et administrative qui peut être utilisée de manière imprévisible ou injuste.
Le chantier est vaste, mais il est ouvert sur un nouveau paradigme : celui d’un équilibre à construire, dans lequel les investisseurs sont protégés sans que cela n’entrave le droit légitime des États à réguler, redistribuer et défendre leurs intérêts stratégiques.
Malick NDAW