MODERNISATION DE LA GESTION FONCIERE : SGF fige les fragilités

Lundi 29 Décembre 2025

Le Système de Gestion Foncière (SGF) est une avancée décisive, et le PROCASEF (Projet Cadastre et Sécurisation Foncière) son socle technique. Cartographie, bases de données, dématérialisation : tout semble enfin en place pour mettre de l’ordre dans l’un des secteurs les plus conflictuels du pays. Et pourtant, le malaise persiste.


Le SGF est avant tout une base de données. Il permet à l’administration d’enregistrer les parcelles, de suivre les dossiers fonciers et de conserver la trace des décisions prises. Une avancée notable dans un secteur longtemps dominé par les registres papier, les archives dispersées et les procédures difficiles à reconstituer.
Sur le principe, l’outil répond à un besoin réel : mettre de l’ordre dans l’information foncière. Dans un pays où les conflits liés à la terre sont fréquents, la possibilité de retracer l’historique d’une parcelle apparaît comme un progrès évident. Mais le SGF n’est pas une réforme foncière. Il ne distribue pas les terres, ne règle pas les litiges et ne remet pas en cause les choix administratifs. Il se contente d’enregistrer ce qui a été décidé ailleurs.

C’est pourtant sur lui que repose une grande partie de la promesse de dématérialisation. Sans SGF, pas de procédures numériques crédibles, pas de suivi en ligne des dossiers, pas d’interconnexion entre services des domaines, cadastre et collectivités territoriales. L’outil devient ainsi la colonne vertébrale technique de la réforme annoncée.

Un problème de pouvoir

En théorie, tout est cohérent. Sur le papier, l’architecture est logique : Procasef produit la donnée foncière fiable, cartographie, identifie les parcelles, reconnaît les droits existants ; SGF organise cette donnée, l’inscrit dans la durée et permet le suivi administratif. Dans ce schéma idéal, il n’y a pas de faille technique majeure. Mais cette cohérence masque une réalité plus inconfortable : on numérise un système juridiquement flou et politiquement sensible sans l’avoir clarifié.

Le SGF repose sur le PROCASEF, mais tous deux reposent sur un compromis non assumé sur la terre. Ni l’un ni l’autre, ne tranchent la question foncière. Et c’est là que le bât blesse.

Car le problème du foncier au Sénégal n’a jamais été seulement un problème de fichiers mal rangés ou de cartes imprécises. C’est un problème de pouvoir, d’arbitrage et de choix politiques. Un système informatique n’est jamais meilleur que les données qu’on y entre et le numérique, aussi sophistiqué soit-il, ne tranche rien de tout cela.

Car que fait réellement le SGF ? Il enregistre des décisions. Il ne les questionne pas. Il sécurise la procédure, pas nécessairement l’équité. Une affectation contestable, une décision prise sous pression, une injustice locale, deviennent, une fois saisies, des données “officielles”. Le risque est là : transformer l’arbitraire en information certifiée.

La question de l’accès est tout aussi centrale. Pour l’instant, le SGF demeure largement un outil interne à l’administration. Le citoyen, lui, continue souvent de naviguer à l’aveugle, sans possibilité réelle de consulter les informations foncières qui le concernent. Sans transparence, ni accès public minimal, la dématérialisation risque de renforcer l’asymétrie entre l’administration et les usagers.
 
Le premier nœud
 
Derrière l’apparente neutralité technique du SGF se joue donc un enjeu éminemment politique : celui du contrôle de l’information foncière. Rendre les décisions traçables, c’est limiter l’arbitraire. Mais encore faut-il accepter cette traçabilité, l’assumer et la rendre opposable.

On attend alors du numérique ce que le politique n’a pas voulu affronter. On lui demande de réduire les conflits, de moraliser la gestion foncière, de restaurer la confiance. Mais aucun logiciel ne peut dire qui a légitimement droit à la terre lorsque le statut du domaine national reste ambigu, lorsque les droits coutumiers sont reconnus sans être pleinement intégrés, lorsque les communes sont à la fois juges et parties.

La dématérialisation est nécessaire. Elle est même inévitable. Le SGF peut être un levier puissant de modernisation, mais elle devient dangereuse lorsqu’elle sert de raccourci : efficace dans les rapports, mais peu perceptible sur le terrain. Entre ces deux trajectoires, la différence ne se fera pas dans le logiciel, mais dans l’usage qui en sera fait.

Un système numérique sans transparence réelle, sans accès citoyen, sans mécanismes de recours clairs, peut renforcer l’asymétrie entre l’administration et les populations, au lieu de la corriger.

Mais le premier nœud réside dans le Procasef qui, faut-il le souligner, est limité dans le temps (un projet), limité dans l’espace (136 communes), dépendant de campagnes de terrain. Or le foncier est permanent, évolutif, conflictuel par nature.

Résultat : le SGF est censé gérer un système vivant, mais il s’appuie sur des données produites par un projet ponctuel. Ce qui se passe après la fin des opérations Procasef devient flou : qui met à jour ? qui corrige ? avec quels moyens ?

En définitive, le problème n’est pas le Procasef ni le SGF pris isolément. Le problème est dans l’articulation entre les deux… et dans ce qu’on leur demande de faire.
Malick NDAW
 
 
Actu-Economie

La rédaction

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