Le retour des investissements publics

Vendredi 22 Janvier 2016

L'idée que les investissements publics dans les infrastructures (routes, barrages, centrales électriques, etc.), sont un moteur indispensable de croissance économique a toujours fortement influencé les décideurs des pays pauvres. Elle était également à l'œuvre dans les premiers programmes d'aide au développement qui ont fait suite à la Seconde Mondiale, lorsque la Banque mondiale et les donateurs bilatéraux ont canalisé des ressources vers les pays nouvellement indépendants pour financer des projets à grande échelle. C'est cette même idée qui motive la nouvelle Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) dirigée par la Chine, qui entend réduire un écart d'infrastructure de la région de 8 mille milliards de dollars.


Le retour des investissements publics
Mais ce genre de modèle de croissance fondé sur les investissements publics (souvent appelé par dérision « fondamentalisme du capital »), a longtemps été à la mode parmi les experts du développement. Depuis les années 1970, les économistes ont conseillé aux décideurs de minimiser l'importance du secteur public, du capital physique et des infrastructures, pour mieux donner la priorité aux marchés privés, au capital humain (compétences et formation), ainsi qu'aux réformes en matière de gouvernance et d'institutions. De toute évidence, cela a eu pour effet de transformer en gros les stratégies de développement.
L'heure est peut-être venue de revoir ce changement. Si l'on examine les pays qui, malgré le renforcement des vents contraires de l'économie mondiale bénéficient toujours d'une croissance très rapide, on s'aperçoit qu'une grande partie de cette réussite peut être mise au crédit des investissements publics.
En Afrique, l'Éthiopie est la plus étonnante success story de la dernière décennie. Son économie a connu une croissance annuelle moyenne de plus de 10% depuis 2004, qui s'est traduite par une importante réduction de la pauvreté et par de meilleurs résultats dans le domaine de la santé publique. Le pays, pauvre en ressources, n'a pas bénéficié des booms des matières premières, contrairement à une grande partie de ses pairs continentaux. La libéralisation économique et les réformes structurelles, du type généralement recommandé par la Banque mondiale et par d'autres bailleurs de fonds, n'ont pas joué non plus un grand rôle.
Au lieu de cela, la croissance rapide a été le résultat d'une augmentation massive des investissements publics, de 5% du PIB dans les années 1990 à 19% en 2011 : soit le troisième taux le plus élevé du monde. Le gouvernement éthiopien s'est livré à une frénésie de dépenses, dans la construction de routes, de chemins de fer, de centrales électriques et dans système de conseil agricole qui a amélioré considérablement la productivité dans les zones rurales, où vivent la plupart des pauvres. Les dépenses ont été partiellement financées par l'aide étrangère et en partie par des politiques hétérodoxes (comme la répression financière) en canalisant l'épargne privée vers le gouvernement.
En Inde, la croissance rapide est également soutenue par une augmentation substantielle des investissements, qui se situe actuellement à environ un tiers du PIB. Une grande partie de cette augmentation provient de sources privées, ce qui témoigne d'une détente progressive des entraves qui pesaient sur le secteur des entreprises depuis le début des années 1980. Mais le secteur public continue de jouer un rôle important. Le gouvernement a dû intervenir suite à l'échec des investissements privés et de la croissance des salaires nominaux au cours des dernières années.
Ces derniers temps, ce sont bien les investissements publics qui aident à maintenir la dynamique de croissance de l'Inde. « Je pense que les deux secteurs qui freinent l'économie sont les investissements privés et les exportations, déclare  le Conseiller économique en Chef du gouvernement, Arvind Subramanian. Voilà pourquoi (...) les investissements publics vont combler cet écart. »
Si l'on se tourne vers l'Amérique latine, la Bolivie est l'un des rares exportateurs de minerai qui a réussi à éviter le sort des autres pays face au ralentissement actuel du cours des matières premières. La croissance annuelle du PIB est censée rester supérieure à 4% en 2015, dans une région où la production globale est en baisse (de 0,3%, selon les dernières prévisions  du Fonds monétaire international). Une grande partie de cela a à voir avec les investissements publics, que le Président Evo Morales considère comme le moteur de l'économie bolivienne. De 2005 à 2014, le total des investissements publics a plus que doublé  par rapport au revenu national de 6% à 13% et le gouvernement a l'intention de faire augmenter ce taux au cours des prochaines années.
Nous savons que bien trop souvent les hausses des investissements publics, tout comme les booms des matières premières, tournent mal. Les retombées économiques et sociales diminuent et l'argent se tarit, ce qui ouvre ainsi la voie à une crise de la dette. Une étude récente du FMI estime qu'après quelques premiers effets positifs, la plupart des efforts en investissements publics faiblissent.
Mais cela dépend beaucoup des conditions locales. Les investissements publics peuvent améliorer la productivité d'une économie pendant une période de temps considérable, pouvant aller jusqu'à une décennie ou davantage, comme dans le cas de l'Éthiopie. Cela peut également catalyser les investissements privés : il y a d'ailleurs quelques preuves  que cela se soit produit en Inde ces dernières années.
Les avantages potentiels des investissements publics ne se limitent pas aux pays en développement. En fait, aujourd'hui, ce sont peut-être les économies avancées d'Amérique du Nord et d'Europe occidentale qui ont le plus à gagner de la montée en puissance des investissements publics nationaux. Au lendemain de la Grande récession, il existe de nombreuses possibilités pour que ces économies fassent des dépenses publiques supplémentaires à bon escient : pour accroître la demande et l'emploi, pour restaurer l'effritement des infrastructures et pour stimuler la recherche et le développement, en particulier dans les technologies vertes.
Ces arguments sont généralement contrés dans les débats politiques par des objections liées à l'équilibre budgétaire et à la stabilité macroéconomique. Mais les investissements publics sont différents des autres types de dépenses publiques, comme les dépenses relatives dans les salaires du secteur public ou dans les prestations sociales. Les investissements publics servent à accumuler des avoirs, plutôt qu'à les consommer. Tant que le rendement de ces avoirs dépasse le coût des fonds, les investissements publics renforcent en fait le bilan du gouvernement.
Nous ne savons pas comment les expériences de l'Éthiopie, de l'Inde et de la Bolivie vont se terminer. La prudence est donc de mise avant que l'on puisse extrapoler à partir du cas de ces pays vers d'autres cas. Néanmoins tous les trois sont des exemples qui prouvent que d'autres pays, y compris les pays développés, doivent surveiller de près dans leur recherche de stratégies de croissance viables, dans un environnement économique mondial de plus en plus hostile.
Dani Rodrik, Professeur d'économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l'Université d'Harvard, auteur de Economics Rules: The Rights and Wrongs of the Dismal Science .
© Project Syndicate 1995–2016
 
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