Faut-il baisser les salaires dans le secteur public pour financer la lutte contre le coronavirus ?

Samedi 18 Avril 2020

Alors que, partout dans le monde, les gouvernements prennent des mesures d’urgence pour financer leur réponse à la pandémie de Covid-19, une question émerge dans le débat sur les politiques à mener : la masse salariale du secteur public, qui représente environ 8 % du PIB et 30 % des dépenses publiques des États au niveau mondial, devrait-elle être réduite pour financer une partie de cette riposte ? C’est une solution envisagée par les autorités du Brésil et de l’Uruguay, par exemple, et le Monténégro a déjà suspendu le versement de certaines indemnités à ses fonctionnaires. Est-ce une bonne idée ?


Dans de nombreux pays, les salariés du secteur public forment un groupe privilégié. Ils bénéficient d’une garantie de l’emploi et, en moyenne, ils perçoivent une rémunération de 20 % supérieure à celle des travailleurs du secteur privé . Il est donc tentant, pour les responsables politiques comme pour l’opinion publique, de penser qu’ils doivent faire des sacrifices pour le bien commun. Toutefois, avant toute décision de cet ordre, il convient de prendre en compte un certain nombre de considérations.

Premièrement, le secteur public est un employeur important et la protection de tous les emplois, publics et privés, est aujourd’hui une priorité. Selon les estimations de la Banque mondiale, le secteur public concentre environ 15 % de l’ensemble des travailleurs et 30 % des employés rémunérés   à l’échelle mondiale. Toute contraction de l’emploi ou des salaires d’une si grande partie de la main-d’œuvre mondiale provoquera un choc considérable. La masse salariale du secteur public constitue en elle-même une mesure anticyclique et elle doit être à ce titre préservée. Par ailleurs, compte tenu de la place prépondérante occupée par les femmes et les travailleurs peu qualifiés dans le secteur public, des baisses généralisées de leurs salaires auront un impact disproportionné sur les groupes qui ont le plus besoin de protection.

Deuxièmement, les salariés du public assurent une grande partie des services essentiels de première ligne en situation de crise. Par exemple, selon les données de la Banque mondiale, les enseignants et le personnel médical représentent respectivement quelque 30 % et 12 % des salariés du secteur public de dix pays d’Amérique latine. Près de la moitié des médecins de cette région travaillent dans des établissements publics. Il en va de même des ingénieurs, policiers, personnels des services sociaux, fonctionnaires du fisc, agents des services publics et vulgarisateurs agricoles pour lesquels il serait tout à fait justifié non pas de réduire les salaires, mais bien au contraire de verser des primes supplémentaires pour qu’ils continuent à travailler plus qu’en temps normal et à fournir des services indispensables à la société.      

Troisièmement, alors que les pays se heurtent à de graves pénuries de personnel essentiel pour répondre à la crise, les administrations devraient redéployer les effectifs présents, limiter les formalités pour permettre le télétravail et réorganiser les tâches et les responsabilités plutôt que d’imposer des compressions et des licenciements. Malheureusement, de nombreux gouvernements ne sont pas en mesure de redéployer rapidement leurs personnels, faute d’outils technologiques, de données fiables, de règles souples de gestion des ressources humaines ou de moyens de coordination. Dans ces circonstances, la priorité à court terme est de ne pas nuire à la situation, avant de renforcer, à moyen et long terme, la capacité institutionnelle à répondre aux urgences.

Enfin, la réduction des effectifs du secteur public pendant la crise sanitaire actuelle pourrait entraver le processus ultérieur de reprise, tant sur le plan économique que social. De nombreux services et fonctions de l’État, notamment l’éducation, devront rattraper le temps perdu et auront besoin d’un soutien et d’une meilleure gestion pour y parvenir. Et nous avons aussi appris des crises budgétaires passées que les mesures de court terme telles que la baisse des effectifs et des rémunérations créent des distorsions durables dans l’emploi et les salaires du secteur public, étant donné que les motivations politiques et bureaucratiques sous-jacentes ne changent pas.

La crise du coronavirus met en évidence toute l’importance d’institutions publiques efficaces pour protéger les vies et les moyens de subsistance de la population. Elle a également révélé de manière dramatique la vulnérabilité des capacités des États, tous niveaux de revenu confondus. 
Pour de nombreux pays, il s’agira demain de réformer en profondeur le secteur public afin d’être mieux préparés à gérer la prochaine crise. 

Par ZAHID HASNAIN, Banque mondiale
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