DETTE INTERNATIONALE DU CONTINENT : Le surendettement en règle

Vendredi 5 Décembre 2025

Entre 2022 et 2024, les pays en développement ont envoyé 741 milliards de dollars de plus en remboursements qu’ils n’ont reçu en financements nouveaux. Ce “gap de la dette” atteint un sommet historique et avec des taux d’intérêt prohibitifs, les prochains emprunts coûteront plus cher.


DETTE INTERNATIONALE DU CONTINENT : Le surendettement en règle
Pas de surprise lorsque la Banque mondiale rappelle que la dette n’est plus un levier de développement, mais un fardeau, du fait que le service de la dette (intérêts + principal) atteigne des niveaux records pour beaucoup de pays en développement. La Banque ne fait donc que confirmer ce que l’on savait déjà : « rembourser la dette grève les budgets (éducation, santé, infrastructures) réduisant la capacité d’investissement public ». Le surendettement n’est plus l’exception, c’est devenu la règle dans de nombreux pays. Le lien entre dette et faim n’a jamais été aussi explicite.

La dette extérieure combinée des pays à revenu faible et intermédiaire a atteint un niveau record de 8 900 milliards de dollars en 2024 (World Bank), avec une croissance qui a ralenti à seulement 1,1 % cette année-là. Le Rapport 2025 publié par la Banque mondiale, intitulé « International Debt Report », constate des flux négatifs record et, entre 2022 et 2024, les pays en développement ont payé 741 milliards de dollars de plus en principal et intérêts qu'ils n'ont reçu de nouveaux financements, soit l'écart le plus important depuis au moins 50 ans. Autrement dit, le “gap de la dette”, c’est-à-dire l’écart entre ce qu’il faut rembourser et ce qu’un pays peut mobiliser comme financement, a atteint 741 milliards de dollars sur la période 2022–2024. Un sommet historique.

Dans un contexte de coûts d’emprunts de plus en plus élevés, les économies en développement ont payé, pour 2024, un montant record de 415 milliards de dollars rien qu'en intérêts soit 2,4 fois plus qu’il y a dix ans. Ce du fait qu’après trois années de resserrement monétaire agressif, les taux d’intérêt internationaux ont atteint un sommet inédit depuis la crise financière de 2008. Les taux d’intérêt moyens sur les nouveaux prêts contractés en 2024 par les économies en développement auprès des créanciers publics et privés, se situent respectivement à leur niveau le plus élevé en 24 ans et 17 ans. Rien qu’en 2026–2027, l’Afrique doit honorer plus de 85 milliards de dollars de paiements. Le continent fait ainsi face à son niveau de remboursements le plus élevé en trois décennies, avec un accès aux marchés internationaux quasi verrouillé.

Cette hémorragie financière se traduit directement dans les assiettes : « Dans les 22 pays les plus endettés, une personne sur deux ne peut plus se payer une alimentation minimale saine ». Sous le poids du service de la dette, les pressions budgétaires sont telles qu’elles menacent les investissements dans les domaines prioritaires du développement comme l'éducation, les soins de santé primaires et les infrastructures essentielles.

Les bilatéraux replient

Certes, 2024 marque aussi un léger changement d’atmosphère. Les banques centrales, rassurées par le recul de l’inflation, ont commencé à desserrer l’étau. Les taux directeurs ne montent plus, certains commencent même à refluer. Mais ce frémissement n’a pourtant rien d’un soulagement durable : les taux restent perchés à des niveaux historiquement élevés, et les pays qui reviennent sur les marchés obligataires le font à 8,9 ou 10 % d’intérêt. Autrement dit, les conditions financières se détendent, mais sur un plateau très haut. C’est ce paradoxe qui fragilise les économies vulnérables : un début d’accalmie qui pourrait donner l’illusion d’un retour à la normale, alors que la charge réelle de la dette demeure écrasante.

Le Rapport de la Banque mondiale souligne cependant qu’au total, les pays ont procédé à la restructuration de 90 milliards de dollars de dette extérieure en 2024, un montant record depuis 2010.

Un changement structurel majeur, cependant : Les créanciers privés détiennent désormais 60 % de la dette publique extérieure de long terme des pays en développement. Les États n’empruntent plus d’abord auprès des institutions internationales, mais auprès d’un patchwork d’investisseurs : fonds spéculatifs, banques, détenteurs d’obligations… un écosystème éclaté qui complexifie et ralentit chaque restructuration.

Mais même si 2024 voit un regain d’appétit des investisseurs (+80 milliards de flux obligataires nets), les conditions sont coûteuses : taux autour de 10 %, soit le double des niveaux pré-2020.

Le rapport met ainsi en évidence, un repli de la part des créanciers bilatéraux publics (principalement des États et assimilés) après leur engagement dans une vague de restructurations. Des pays comme Haïti, le Ghana, la Somalie et le Sri Lanka, ont obtenu des accords qui ont réduit leur dette extérieure à long terme de 4 à 70 %. Les créanciers bilatéraux ont reçu des pays en développement 8.8 milliards de dollars de plus en principal et en intérêts qu’ils n’en ont versé en nouveaux financements.
 
L’autre éviction

Les possibilités de financement à faible coût s’amenuisant, de nombreux pays en développement se sont tournés vers des créanciers intérieurs — banques commerciales et institutions financières locales. Sur les 86 pays pour lesquels on dispose de données, plus de la moitié ont vu leur dette publique intérieure augmenter plus rapidement que la dette publique extérieure.
52 % des pays étudiés ont augmenté leur dette domestique plus rapidement que leur dette extérieure en 2024. Pourquoi ? Il y a moins de risque de change, plus de contrôle et des marchés locaux qui se sont renforcés. Mais ce repli a un coût : les banques prêtent moins au secteur privé, nourrissant un nexus banque-État risqué : plus l’État s’endette, plus il fragilise les banques qui achètent ses obligations.

Ce que confirme Haishan Fu, statisticienne en chef de la Banque mondiale et directrice de la cellule Données sur le développement.
Selon elle, « Si la propension grandissante de nombreux pays en développement à recourir à des sources de financement nationales est vue comme une réussite importante de l’action publique », des emprunts intérieurs massifs peuvent inciter les banques nationales à privilégier les obligations d’État, plutôt que de prêter au secteur privé local », déclare la statisticienne en chef de la Banque mondiale. Qui plus est, la dette publique contractée auprès de créanciers nationaux est en outre soumise à des échéances plus courtes, « ce qui peut augmenter le coût du refinancement. Les gouvernements doivent par conséquent veiller à ne pas en abuser », souligne la statisticienne en chef.
Malick NDAW
 
Actu-Economie

La rédaction

Nouveau commentaire :

Actu-Economie | Entreprise & Secteurs | Dossiers | Grand-angle | Organisations sous-régionales | IDEE | L'expression du jour | Banque atlatinque





En kiosque.














Inscription à la newsletter