Pourquoi les enfants du millénaire rejetteront Donald Trump

Mercredi 8 Février 2017

Aux États-Unis, le principal clivage politique n’oppose pas les partis ou les États ; il oppose les générations. Les jeunes du nouveau millénaire (à savoir les 18-35 ans) ont voté massivement contre Donald Trump, et constitueront l’essentiel de la résistance opposée aux politiques du nouveau président. Bien que les Américains plus âgés se montrent plus divisés, l’assise électorale de Trump se situe chez les plus de 45 ans. Au fur et à mesure des problématiques soulevées, les jeunes électeurs rejetteront Trump, et le considéreront comme un acteur politique du passé plutôt que de l’avenir.


Bien entendu, les chiffres ici évoqués ne sont que des moyennes, et pas des valeurs absolues. Ils confirment néanmoins l’existence d’un fossé générationnel. D’après les sondages réalisés à la sortie des bureaux de vote, Trump a obtenu 53 % des votes chez les 45 ans et plus, 42 % chez les 30-44 ans, et seulement 37 % chez les 18-29 ans. Dans un sondage de 2014, 31 % des jeunes du millénaire s’identifiait comme libéraux, contre 21 % chez les baby boomers (âgés de 50 à 68 ans lors de cette étude), et seulement 18 % parmi la génération silencieuse (les 69 ans et plus).
Et il ne faut pas s’attendre à ce que les jeunes libéraux d’aujourd’hui deviennent tout simplement les vieux conservateurs de demain. La génération du millénaire est de manière générale beaucoup plus libérale que ne l’étaient les baby boomers et la génération silencieuse dans leur jeunesse. Elle se montre également nettement moins partisane, et entend soutenir ceux des acteurs politiques qui défendent ses valeurs et répondent à ses besoins, y compris les aspirants moins solidement établis.
Au moins trois différences majeures opposent les jeunes et les plus anciens dans le domaine de la politique. Premièrement, les jeunes se montre socialement plus libéraux que les générations antérieures. Aux yeux de cette jeunesse, la pluralité ethnique, religieuse et sexuelle croissante qui caractérise l’Amérique ne constitue pas un problème. Loin d’y voir un changement dramatique par rapport au passé, ces jeunes ont toujours connu une société multiculturelle faite de blancs, d’Afro-américains, de Latinos, d’Asiatiques, d’immigrants et de nouveaux arrivants nés dans le pays. Ils acceptent une diversité des orientations sexuelles et des genres – gays, lesbiennes, transsexuels, bisexuels, intersexués, pansexués, et autres – qui était essentiellement taboue, ou inconnue, pour la génération de leurs grands-parents (à laquelle appartient Trump).
Deuxièmement, les jeunes sont aujourd’hui confrontés à des défis économiques sans précédent, liés à la révolution de l’information. Ils entrent actuellement sur le marché du travail alors même que les rendements des marchés s’orientent rapidement vers le capital (robots, intelligence artificielle, et machines intelligentes de manière générale) et s’éloignent du travail. Par opposition, les riches seniors profitent d’un essor des marchés boursiers, engendré par cette même révolution technologique.
Trump défend une réduction de l’impôt sur les sociétés et sur les successions, vouée à ne bénéficier qu’à ces riches seniors (qui composent l’essentiel du son cabinet), au prix d’importants déficits budgétaires voués à peser sur la jeunesse. Or, les jeunes ont besoin d’une politique précisément inverse : hausse des impôts sur la richesse de la génération plus âgée, afin que puissent être financés l’enseignement supérieur, le formation professionnelle, les infrastructures relatives aux énergies renouvelables, et autres investissements nécessaires à l’avenir de l’Amérique.
Troisièmement, en comparaison avec leurs parents et grands-parents, les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus soucieux du changement climatique et des menaces qu’il fait naître. Là où Trump persuade la génération antérieure de s’en tenir encore un moment aux combustibles fossiles, les jeunes ne suivront pas cette voie. Ils aspirent à une énergie propre, et entendent lutter contre la destruction d’une planète dont eux-mêmes et leurs propres enfants hériteront.
Ce clivage générationnel autour de la question du changement climatique s’explique en partie par l’ignorance pure et simple de nombreux Américains plus âgés, dont Trump lui-même, quant au changement climatique et à ses causes. Ces anciens n’ont en effet jamais traité la question du changement climatique à l’école. Jamais ne leur a été expliquée la science fondamentale des gaz à effet de serre. C’est pourquoi ils n’ont aucune gêne à faire prévaloir leurs propres intérêts financiers à court terme sur les menaces considérables qui pèsent sur la génération de leurs petits-enfants.
Dans un sondage de juin 2015, 60 % des 18-29 ans affirment considérer l’activité humaine comme responsable du réchauffement climatique, contre seulement 31 % chez les 65 ans et plus. Un autre sondage publié en janvier  révèle que 38 % des répondants américains de 65 ans et plus font prévaloir le développement des combustibles fossiles sur celui des énergies renouvelables, contre seulement 19 % chez les 18-29 ans.
Les politiques économiques de Trump sont précisément façonnées pour cette Amérique plus âgée et plus blanche, pour ces Américains nés dans le pays. Le nouveau président privilégie les réductions d’impôts pour les seniors les plus fortunés, ce qui est synonyme d’une charge de la dette plus élevée pour les jeunes. Trump ne semble pas s’intéresser à la question du surendettement étudiant, qui représente pas moins de 1 000 milliards $. Il se concentre sur un débat des années 1990 portant sur l’ALÉNA et le libre-échange, plutôt que d’appréhender ce défi autrement plus important que soulèvent la robotique et l’intelligence artificielle pour l’emploi au XXIe siècle. Il s’entête à vouloir grappiller quelques années de profits supplémentaires grâce aux gisements américains de charbon, de pétrole et de gaz, au prix d’une possible catastrophe environnementale future.
Ce manque de vision d’avenir, certains l’attribueront sans doute à l’âge du nouveau président. À 70 ans, Donald Trump et le plus vieux candidat à avoir élu président des États-Unis (Ronald Reagan est un peu plus jeune lorsqu’il accède à la présidence en 1981). Mais la question de l’âge ne peut constituer ici le seul facteur. Esprit certainement le plus novateur de tous les candidats à la présidentielle de 2016, et véritable héros des jeunes électeurs du millénaire, Bernie Sanders a en effet 75 ans. Quant au pape François, 80 ans, il enchante les foules les plus jeunes, car il parvient à inscrire leurs préoccupations – pauvreté, difficultés liés à l’emploi, ou encore vulnérabilité face au changement climatique – dans un cadre précisément moral, plutôt que de les balayer d’un cynique revers de la main comme le font Trump et ses acolytes.
Au cœur du sujet intervient tout simplement l’état d’esprit et l’orientation politique, plus que les considérations d’âge. Trump entrevoit l’horizon temporel le plus court (et dispose du niveau d’attention le plus faible) parmi tous les chefs d’État présents dans la mémoire collective. Il est par ailleurs totalement déconnecté des difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes dans le monde réel, à l’heure où cette jeunesse est aux prises avec les nouvelles technologies, les changements sur le marché du travail, ainsi qu’une dette étudiante colossale. La perspective d’une guerre commerciale contre le Mexique et la Chine, ou le prononcé d’une tragique interdiction d’entrée des migrants musulmans, sont loin de répondre à leurs attentes réelles.
La victoire politique et le mandat de Trump ne constituent qu’un mauvais moment à passer, et absolument pas un virage majeur. Forts d’un point de vue axé sur l’avenir, les enfants du millénaire ne tarderont pas à dominer la politique américaine. Les États-Unis seront alors un pays pleinement multiethnique, socialement libéral, soucieux du climat, et beaucoup plus juste dans le partage des profits économiques liés aux nouvelles technologies.
Trop d’observateurs se focalisent sur les divisions traditionnelles entre les partis du Congrès américain, plutôt que sur des changements démographiques profonds, qui se révéleront bientôt décisifs. Sanders n’est pas passé loin d’une désignation en tant que candidat démocrate à la présidentielle (à laquelle il aurait probablement triomphé), grâce à une plateforme qui a considérablement séduit les jeunes du millénaire. L’heure de la victoire approche pour cette jeunesse, sans doute incarnée par le candidat qu’elle soutiendra en 2020.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Jeffrey D. Sachs est professeur de développement durable, professeur en politique et gestion de la santé, et directeur du Earth Institute de l’Université de Columbia. Il est également directeur du Réseau des solutions pour le développement durable auprès des Nations Unies.
 
 
chroniques

chroniques | Editos | Analyses




En kiosque.














Inscription à la newsletter