Les contradictions du capitalisme chinois à la sauce communiste

Mardi 21 Juillet 2015

Le récent plongeon étourdissant de la Bourse de Shanghai et de Shenzhen constitue un test sans précédent pour les responsables du parti communiste chinois (PCC). Aussi longtemps que la Bourse chinoise était à la hausse, le paradoxe du développement capitaliste à tous crins dans un pays sous la houlette du parti communiste le plus fort et le plus important de la planète n'a surpris que les universitaires et les marxistes orthodoxes. Quand les dirigeants du PCC et leurs proches, des institutions financières étrangères et quelques petits investisseurs chinois (grâce à des prêts avec appel de marge) gagnaient en Bourse, personne ne se préoccupait de comprendre de quelle étrange créature mutante ils tiraient leurs bénéfices.


Mais aujourd'hui, alors que l'on réalise que la Bourse chinoise ne va pas monter indéfiniment, le PCC prend des mesures désespérées, si ce n'est maladroites, pour amortir le choc. Il a suspendu les introductions en Bourse, ainsi qu'une grande partie des opérations boursières. Il a également  demandé à la Banque centrale d'être aux cotés de la China Securities Finance Corporationl'un des principaux fonds souverains chinois, pour encourager les investisseurs à acheter des actions (dans le but de stabiliser la Bourse), et il a incité les autres fonds souverains à faire de même.
Mais contrairement à ce qui se passe dans les autres pays capitalistes, l'argent n'est pas le seul outil dont disposent les autorités. En Chine si votre courtier en Bourse vous conseille de vendre, il doit faire attention à ne pas donner l'impression de répandre une rumeur, au risque d'être sanctionné par les autorités. Il se dit que les ventes réalisées par de grosses sociétés peuvent donner lieu à des enquêtes. Susciter le désordre ou une instabilité financière peut constituer une infraction grave en Chine où abondent les théories conspirationnistes sur les étrangers qui chercheraient à affaiblir l'économie.
Les responsables chinois veulent d'une Bourse sans risque de pertes importantes susceptibles d'ébranler la crédibilité du PCC et son contrôle sur le pays. Mais la Bourse sans risque reste à inventer.
Le spectacle d'un régime communiste qui essaye de relancer une Bourse considérée comme un casino n'est que l'une des nombreuses contradictions qui s'accumulent dans presque tous les secteurs de l'économie et de la politique chinoise, au point de devenir un fardeau difficilement supportable pour le PCC.
La composition même du PCC est en elle-même une contradiction. Ce sont aujourd'hui des hommes d'affaires, des étudiants et des cadres qui dominent le parti révolutionnaire des paysans et des travailleurs. Publié à Shanghai, le rapport Hurun sur la richesse montre qu'un tiers des Chinois les plus riches sont membres du PCC. En moyenne, le patrimoine des 70 membres les plus riches du Congrès national du peuple, le Parlement chinois, dépasse largement le milliard de dollars. A titre de comparaison, les 70 membres les plus riches du Parlement indien ou même du Congrès américain ne sont pas aussi riches.
Il est vrai que la récente politique anticorruption du président Xi Jinping inquiète nombre des ploutocrates du PCC. Mais les accusations de corruption contre les "tigres" ne sont peut-être qu'une simple feuille de vigne qui masque une purge des plus classiques des rivaux de Xi au sein du Parti et de l'armée.
La population chinoise soutient majoritairement la politique anti-corruption, c'est elle qui en général pointe du doigt les responsables malhonnêtes et manifeste contre la corruption. Mais si ses manifestations se font trop bruyantes, le plus souvent ce sont leurs instigateurs qui sont réprimés, plutôt que les responsables de la corruption. Ainsi lors du tremblement de terre de 2008 dans le Sichuan, des milliers d'écoliers sont morts dans l'effondrement de bâtiments scolaires qui présentaient des défauts de construction. Les médias officiels ont parlé des problèmes de corruption durant une période, mais finalement ce sont les protestataires, les parents et les maîtres des enfants décédés, qui ont été arrêtés ou harcelés par les autorités.
Le PCC ne reconnaît pas que son monopole sur le pouvoir politique l'empêche d'éradiquer la corruption. Sans une opposition organisée et des institutions issues de la société civile qui puissent fonctionner sans entrave, certains dirigeants continueront à utiliser leur position pour s'enrichir. Le troisième plénum du 18° Congrès du Parti a insisté sur l'importance de l'économie de marché, mais ainsi que l'a souligné un banquier chinois  dans un contexte analogue il y a quelques années, "il est difficile de gagner s'il faut jouer contre l'arbitre."
Cette remarque s'applique aussi à la place de la loi et au constitutionalisme. Sous Xi, le PCC répète que le respect du droit est une "valeur socialiste fondamentale" et il s'est engagé en faveur du respect de la Constitution. Pourtant les références à la Constitution par les citoyens chinois (notamment son article 35 qui garantie la liberté d'expression, la liberté de la presse, la liberté de réunion et d'association) sont généralement censurées et les avocats qui évoquent la Constitution devant un tribunal sont souvent arrêtés.
Dans un texte bien connu de 1937, Mao spéculait sur la nature des contradictions : "La loi de la contradiction des choses, autrement dit la loi de l'unité des contraires, constitue la loi fondamentale de la nature et de la société." On peut néanmoins se demander s'il aurait pu gérer, ou seulement appréhender, les contradictions du capitalisme à la sauce communiste.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Pranab Bardhan est professeur à l'université de Californie à Berkeley. Ses derniers livres s'intitulent Globalization, Democracy and Corruption: An Indian Perspective  et Awakening Giants, Feet of Clay: Assessing the Economic Rise of China and India .
© Project Syndicate 1995–2015
 
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