Le juste équilibre en matière de risque hypothécaire

Mardi 16 Septembre 2014

ABU DHABI – En commençant à bâtir son propre foyer il y a 14 000 ans, l’homme préhistorique conféra à la propriété sa marque de statut social et économique élevé. Aujourd’hui, les États-Unis se fondent sur une bureaucratie financière colossale afin de promouvoir la possession immobilière, tandis qu’économistes, banquiers, politiciens, et bien sûr propriétaires, suivent avec attention l’évolution des prix de l’immobilier. Mais si la propriété constitue pour beaucoup une fervente aspiration, ce rêve de possession peut rapidement se transformer en cauchemar économique lorsque les risques hypothécaires sont mal calculés. C’est ce que l’on a pu récemment observer.


Amit Tyagi est vice-président et responsable des divisions Risque de crédit et Gestion de portefeuille au sein de la National Bank of Abu Dhabi.
Amit Tyagi est vice-président et responsable des divisions Risque de crédit et Gestion de portefeuille au sein de la National Bank of Abu Dhabi.
L’endettement lié aux prêts hypothécaires est aujourd’hui devenu le plus lourd fardeau des ménages occidentaux. Au cours de la décennie ayant précédé la crise financière, l’endettement hypothécaire aux États-Unis a quasiment triplé, l’économie réelle n’enregistrant de son côté qu’une croissance d’un tiers. Lors de son pic de 2007, cet endettement représentait 10 600 milliards $  – soit plus de deux fois le PIB combiné de la Chine et de l’Inde.
Chacune des six crises bancaires survenues dans les pays développés depuis le milieu des années 1970 a clairement puisé sa source dans l’effondrement du prix de l‘immobilier. La chute brutale du prix des logements a également constitué l’une des principales causes des crises apparues sur les marchés émergents, telles que l’écroulement asiatique de 1997-1998. Les recherches  démontrent que les baisses de production constatées en période de récession se révèlent deux ou trois fois plus importantes lorsqu’elles s’accompagnent d’un effondrement de l’immobilier, par rapport à un contexte de maintien des prix dans le secteur. La chute de l’immobilier a par ailleurs tendance à prolonger de presque trois ans les périodes de récessions.
Face aux véritables catastrophes économiques et sociales que représentent les situations dans lesquelles un haut niveau d’endettement hypothécaire se heurte à un effondrement des prix de l’immobilier, on s’attendrait à ce que les régulateurs s’impliquent pleinement dans la problématique. Ce n’est malheureusement pas le cas. Bien que le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire – point d’ancrage majeur des réglementations bancaires internationales – ait proposé plusieurs réformes  à l’issue de la crise de 2008, destinées à consolider le système financier, peu de choses ont véritablement changé en matière de réglementation des prêts hypothécaires.
La clé de cette réglementation hypothécaire réside dans le concept de « pondération du risque, » c’est-à-dire dans une mesure augmentant en corrélation avec la probabilité de voir un emprunteur entrer en défaut. Un prêt octroyé à la société Microsoft, notée AAA, présentera par exemple une pondération de risque de 0 %, signifiant une quasi-impossibilité de manifestation du risque. Un prêt consenti au gouvernement indien s’accompagnera en revanche d’une pondération de 50%, celle-ci allant jusqu’à atteindre 150 % dans le cas de l’Argentine, considérée comme encore plus incertaine.
Dans le cadre des prêts hypothécaires, la pondération du risque se situe généralement aux alentours de 35 % (contre 50 % il y a dix ans). Les banques peuvent toutefois recourir à des modèles mathématiques internes pour calculer leurs propres pondérations, un peu comme si elles notaient leurs propres copies d’examen. Pas étonnant que la cote de risque des banques se présente le plus souvent comme favorable.
Imaginons par exemple l’octroi d’un prêt bancaire de 200 000 $, pour l’achat d’une maison de 235 000 $. Si la banque associe à ce prêt une pondération du risque de 10 %, le risque équivalent pondéré représente 20 000 $. Et si le montant du capital bancaire nécessaire à la couverture de ce risque pondéré s’élève à 10 %, la banque est alors seulement contrainte de faire intervenir 2 000 $ de ses capitaux propres pour financer le prêt hypothécaire, empruntant elle-même 198 000 $.
Il suffit alors d’une simple baisse de 16 % du prix du bien immobilier en question (passant de 235 000 $ à moins de 198 000 $) pour faire disparaître l’argent de la banque. Or, le prix de l’immobilier aux États-Unis – tel que mesuré par l’indice S&P/Case-Shiller sur les prix de l’immobilier résidentiel  – a chuté de plus de 30 % entre juin 2006 et mars 2009, tandis que plusieurs pays européens, parmi lesquels l’Espagne, l’Irlande et le Royaume-Uni, ont enregistré des baisses similaires voire encore plus défavorables.
Le problème, c’est que les banques continuent de consentir d’importants prêts hypothécaires sans avoir à « jouer leur propre peau. » Selon les estimations du FMI, la pondération moyenne du risque hypothécaire en Europe et en Asie se serait élevée respectivement à 14 % et 15 %, certaines banques n’appliquant qu’une pondération de 6 %.
Un certain nombre de régulateurs ont dernièrement exprimé leur opposition face à cette possibilité pour les banques de fixer leurs propres pondérations du risque. En 2012, les autorités britanniques ont demandé aux banques d’appliquer à leurs portefeuilles de prêts hypothécaires une pondération minimum temporaire de 15 %, cette directive ayant néanmoins expiré au mois de juillet. Les régulateurs suédois ont pour leur part appelé les prêteurs hypothécaires à rehausser leur seuil de pondération du risque de 15 % à 25 %.
Bien qu’il faille les saluer, ces démarches se révèlent insuffisantes. Plus important encore, elles manquent cruellement de flexibilité. Il pourrait être plus judicieux d’appliquer des seuils procycliques et variables en fonction du temps, qui contraindraient les banques à conserver davantage de capital en période de boom de l’immobilier. En outre, là où l’existence d’un seuil unique et fixe incite les banques à privilégier des prêts plus risqués et plus générateurs de rendement pour un même montant de capital, la mise en place d’un système dynamique permettrait l’application de moindres seuils pour les prêts les moins risqués, et de seuils supérieurs pour les prêts les plus incertains.
Par ailleurs, bien que la pondération du risque constitue un important outil macroprudentiel, il s’agirait d’en faire usage en parallèle d’autres outils dont disposent les régulateurs, parmi lesquels différents critères d’admissibilité aux prêts, de type ratios prêt-valeur ou prêt-revenus, ainsi qu’un provisionnement plus actif (en rehaussant les contraintes légales de réserves prêt-pertes en période de boom de l’immobilier). Il est essentiel de calibrer l’impact des pondérations du risque sur les cycles de l’immobilier par rapport à d’autres mesures, d’autant plus qu’une intervention excessive et redondante pourrait elle-même alimenter de dangereuses spirales.
Nulle part le recours de la réglementation bancaire moderne à la pondération du risque n’est plus prononcé que sur le marché hypothécaire. Si les régulateurs échouent à définir un juste équilibre, l’édifice tout entier pourrait à nouveau s’effondrer.
Les points de vue exprimés dans cet article n’engagent que son auteur, et n’illustrent en aucun cas ceux de la National Bank of Abu Dhabi.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Amit Tyagi est vice-président et responsable des divisions Risque de crédit et Gestion de portefeuille au sein de la National Bank of Abu Dhabi.
 
chroniques

chroniques | Editos | Analyses




En kiosque.














Inscription à la newsletter