Le FMI a besoin de plus de Lagarde

Jeudi 21 Janvier 2016

Christine Lagarde a déclaré qu'elle était ouverte à un autre mandat de cinq ans, au poste de Directrice Générale du Fonds Monétaire International. Elle a de bonnes chances de l'obtenir. Le FMI n'a jamais eu de meilleur leadership et son Conseil d'administration devrait lui donner l'occasion de terminer le travail qu'elle a commencé.


Lorsque Lagarde a pris les rênes en juillet 2011, elle a hérité d'une institution en crise. La crise financière mondiale de 2008 et ses répliques économiques avaient discrédité les bailleurs de fonds multilatéraux dirigés par l'Occident et le « Consensus de Washington » du marché libre. Le leadership de Lagarde contribue à restaurer la réputation du FMI.
Ses qualités personnelles attirent beaucoup l'attention, à juste titre. Elle est franche, énergique, chaleureuse et engageante. Les nombreux dirigeants mondiaux qui l'ont rencontrée, souvent dans des circonstances délicates, évoquent son art de dire les vérités difficiles à entendre ainsi que son talent d'auditrice sensible. Ce sont des qualités importantes pour la dirigeante d'une institution qui doit négocier, plutôt que de dicter, les termes d'un accord.
Les Européens n'ont pas beaucoup apprécié que Lagarde leur dise que leurs banques devaient être restructurées. Ils n'ont pas aimé non plus s'entendre dire qu'ils devaient construire un pare-feu pour se protéger de la contagion financière. Ils ont pourtant suivi ses conseils dans ce sens. De même, elle a lancé des appels courageux en vue de fournir l'aide du FMI à certains pays (par exemple, la Grèce, le Pakistan, la Tunisie et l'Ukraine), qui sont cruciaux pour la stabilité mondiale.
Mais il y a bien plus. On associe rarement le FMI avec la créativité et la compassion. Lagarde a commencé à y remédier. En ce sens, elle a donné un visage humain à une institution, souvent perçue comme un docteur qui prescrit une pilule dure à avaler.
Aider à gérer la crise des réfugiés du Moyen-Orient, par exemple, ne fait pas une partie des obligations prévues au sein du mandat du FMI. Pourtant sous sa direction, le FMI a ajusté un programme afin que le gouvernement de la Jordanie puisse dépenser davantage pour aider les personnes déplacées par le conflit en Syrie et en Irak (plus d'un million d'entre elles sont hébergées dans des camps au sein des frontières de la Jordanie).
De même, lorsqu'Ebola a frappé l'Afrique de l'Ouest en 2014, Lagarde a demandé au FMI d'utiliser sa trésorerie disponible pour acheter un allégement de la dette pour les pays en crise, ce qui leur a permis de payer davantage de médecins et d'infirmières : une première en termes d'utilisation du capital par le FMI.
En outre, Lagarde a relevé trois des plus importants défis du monde et a fait porter son action sur eux. Tout d'abord, elle a défendu avec énergie l'introduction de davantage de femmes dans la vie active. Elle est un exemple de l'importance d'avoir des femmes dans les postes de direction. Dans des pays aussi différents que l'Arabie saoudite et le Japon, elle a exhorté les dirigeants à cesser de gaspiller tant de talents humains et à mieux tirer parti de leurs économies.
En second lieu, sous sa direction, le FMI a également abordé la question plus large de l'inégalité des revenus. Il ne s'agit pas simplement d'une question d'équité fondamentale. Une étude du FMI a mis en évidence le lien direct entre la réduction de l'écart entre les riches et les pauvres, et une plus forte croissance économique. Le FMI n'est pas la première institution à plaider cette cause, mais sa stature lui donne une place plus importante à cette affaire et à son urgence. L'engagement personnel de Lagarde à bien faire comprendre ce point a été essentiel à la promotion de l'argument.
En troisième lieu, Lagarde a effectué d'importants travaux pour aider le monde à commencer à comprendre toutes les implications des évolutions technologiques (certaines d'entre elles étant terriblement déstabilisantes). Par exemple, l'automatisation continuera à rendre l'industrie plus efficace et moins coûteuse. Mais l'automatisation s'assurera également que la croissance économique génère moins d'emplois que par le passé. Les conséquences politiques, économiques et sociales de cette réalité émergente méritent d'être reconnues et de faire l'objet d'une étude sérieuse. Lagarde a placé le FMI au centre de cette tâche.
Les critiques diront que l'heure est venue d'avoir un dirigeant du FMI qui représente le monde en développement. Lagarde est, après tout, la 11ème Européenne consécutive à occuper le poste, un privilège qui est devenu difficile à justifier dans le monde actuel. D'autres diront que le refus de reconnaître la totalité des effets d'austérité approuvés par le FMI sur les citoyens grecs, prouve qu'elle a perdu tout contact avec les personnes ordinaires. D'autres soutiendront par ailleurs que les charges auxquelles elle doit faire face dans le cadre d'un scandale financier en France vont la distraire des affaires du FMI. Après le scandale affreux autour de Dominique Strauss-Kahn, son prédécesseur au FMI, le FMI, insisteront les critiques, ne peut se permettre une telle distraction.
Prenons ces objections une par une. Le FMI (et la Banque mondiale) doivent accueillir favorablement un leadership provenant d'au-delà de l'Europe et des États-Unis. Mais l'intention de mettre fin à ce privilège de l'Occident consiste à faire que le processus de sélection du leadership soit fondé sur le mérite et non pas sur des considérations politiques. Lagarde est la meilleure candidate pour le poste et les puissances des pays émergents comme les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ne sont pas fédérés sous une alternative. Le leadership d'une Directrice Générale européenne a probablement facilité la décision du FMI l'an dernier, d'ajouter le renminbi chinois au panier de monnaies qui sous-tendent ses droits de tirage spéciaux.
En outre, Lagarde affiche une impressionnante dextérité politique à convaincre enfin les Républicains et les Démocrates du Congrès américain d'adopter des réformes de gouvernance, qui non seulement renforcent la puissance de feu du FMI dans sa lutte contre les crises financières, mais reflètent également plus précisément l'évolution dynamique de l'économie mondiale. Les pays du BRIC, par exemple, figurent à présent parmi les dix premiers actionnaires du FMI.
Sur la Grèce, Lagarde a fait quelques particulièrement directs (certains diront maladroits), l'année dernière. Mais elle n'est pas en tête de liste des personnes responsables de la douleur économique subie par les Grecs et son mandat au FMI rend tout à fait clair qu'aucun Directeur Général dans l'histoire n'a fait plus qu'elle pour diriger le FMI dans ses efforts visant à alléger les souffrances des personnes en situation de crise.
Enfin, les accusations contre Lagarde par la France ont été déposées malgré l'opposition du Procureur général du pays et son implication dans l'affaire apparaît au mieux indirecte.
Le monde a grand besoin d'un leader dévoué à rendre le monde plus sûr et plus prospère. Lagarde a montré qu'elle est était un leader de cette trempe, engagée à faire correspondre le FMI au XXIème siècle. Elle mérite une chance de finir ce qu'elle a commencé.
Ian Bremmer , Président d'Eurasia Group et auteur de Every Nation for Itself: Winners and Losers in a G-Zero World .
 
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