La reprise mondiale faiblit

Mardi 10 Octobre 2023

L'économie mondiale est en perte de vitesse : en effet, ses principaux moteurs de croissance ralentissent et une confluence de facteurs à court terme et de contraintes à long terme commencent à se faire sentir : tensions géopolitiques, niveaux élevés de dette publique et vieillissement de la population.


La dernière mise à jour des indices de suivi pour la reprise économique mondiale (TIGER) publiés par Brookings-Financial Times montre que l'activité économique s'affaiblit de manière générale. Malgré des résultats relativement favorables sur les marchés financiers en début d'année, la confiance des consommateurs et des entreprises a sérieusement été mise à l'épreuve.

Alors que les États-Unis continuent d'afficher une croissance régulière de leur PIB, d'autres économies avancées sont dans un état alarmant, confrontées à des perspectives de croissance lamentables, voire même au bord de la récession. Les économies de marché émergentes sont généralement en meilleure forme, la Chine montrant quelques signes de stabilisation et l'Inde continuant à maintenir son avancée.

Heureusement, les pressions inflationnistes s'atténuent partout dans le monde, mais la hausse des prix de l'énergie et les fissures géopolitiques croissantes pourraient freiner ces progrès et entraver la croissance. Les marchés boursiers se sont rétablis pendant quelques mois, en partie grâce à l'optimisme quant aux gains de productivité découlant de l'innovation technologique, mais les préoccupations concernant les perspectives de croissance ont commencé à peser sur leurs résultats.
L'économie américaine s'est révélée remarquablement résistante, après avoir fait face à des taux d'intérêt élevés, à une dette publique croissante, à des dysfonctionnements politiques et à d'autres difficultés. La consommation des ménages et la création d'emplois sont restées vigoureuses, même si elles connaissent un certain ralentissement. À son crédit, la Réserve fédérale américaine s'est remise de sa crise précoce et est maintenant en train d'apprivoiser l'inflation sans faire basculer le pays dans une récession. Mais des tensions commencent à se manifester, en particulier sur les marchés financiers et la dynamique de fin de cycle de l'économie est en perte de vitesse.

La zone euro s'est adaptée quant à elle aux retombées négatives de la guerre en Ukraine et les pressions inflationnistes se sont atténuées dans le bloc, bien que l'engagement de la Banque centrale européenne à atteindre son objectif d'inflation va maintenir en place un contexte de rigueur monétaire. Mais la croissance reste inégale, certaines économies du centre et de la périphérie étant en difficulté. L'Allemagne, la plus grande économie d'Europe, connaît une croissance très faible, après avoir été durement touchée par la faiblesse de la demande extérieure et par la concurrence croissante des industries étrangères. L'Italie se trouve dans une situation similaire, tandis que la France s'en sort légèrement mieux. La Grèce et l'Espagne, en revanche, ont été soutenues par la demande intérieure et par la résurgence du tourisme.
Ailleurs dans le monde développé, après un rebond post-COVID, la croissance au Royaume-Uni a été freinée par les conflits sur le marché du travail et les hausses des taux d'intérêt pour contenir l'inflation. L'économie japonaise a été stimulée quant à elle par la dépréciation du yen, tandis que la demande intérieure reste limitée. La Banque du Japon semble tolérer une monnaie faible et une inflation supérieure à l'objectif, ce qui continuera de soutenir la croissance.

Bien qu'elle soit secouée par divers facteurs internes et externes défavorables, l'économie chinoise a montré des signes de stabilisation, grâce à des mesures de relance budgétaire et monétaire destinées à soutenir le marché immobilier. Pour l'instant, la déflation des prix à la consommation a été évitée, bien que la demande intérieure continue de haleter et que les exportations fléchissent.

Mais le ralentissement du secteur immobilier, qui représente une part importante du PIB et de la richesse des ménages chinois, a suscité de sérieuses inquiétudes et accru les risques financiers. La confiance dans le secteur privé a chuté, nuisant à la consommation des ménages ainsi qu'aux investissements. Étant donné que le secteur immobilier reste dans les limbes malgré le soutien du gouvernement et que la diminution de la main-d'œuvre et les tensions géopolitiques ne font qu'ajouter à l'incertitude, maintenir la croissance, même dans une fourchette de 4 à 5 % sera difficile dans les années à venir.

Pendant ce temps, l'Inde voisine a consolidé son statut d'économie majeure à la croissance la plus rapide du monde, soutenue par des exportations et des investissements intérieurs robustes. Le pays bénéficie d'une main-d'œuvre jeune et croissante, de politiques budgétaires et monétaires disciplinées et de gains d'efficacité découlant de la numérisation. En outre, l'Inde est bien placée pour tirer parti des changements dans les modèles mondiaux du commerce et des investissements, qui découlent des réalignements géopolitiques. Par ailleurs, elle attire déjà des capitaux étrangers considérables. Cependant le niveau élevé de la dette publique, l'insuffisance des infrastructures (même si cette tendance s'améliore) et l'inachèvement des réformes du marché du travail, de la banque et de la gouvernance publique pourraient rendre difficile la réalisation de ce potentiel.

Le Brésil et le Mexique s'en tirent également haut la main, car la baisse de l'inflation et la hausse des exportations ont stimulé leurs perspectives, tandis que le Nigeria reste un pays très performant. La Russie a résisté aux sanctions occidentales après son invasion de l'Ukraine et, malgré les fortes pressions que la guerre exerce sur son économie, elle connaît une croissance faible, alimentée principalement par les exportations d'énergie.

Le dollar fort a infligé des coûts énormes à de nombreuses économies émergentes et à faible revenu, dont certaines, comme l'Argentine, ont également été assaillies par l'incertitude politique intérieure et par une mauvaise gestion des politiques. La coopération sera essentielle entre créanciers bilatéraux et multilatéraux, en vue d'accélérer la restructuration de la dette des pays en développement confrontés à l'augmentation des coûts du service de la dette et au resserrement des conditions de financement.

En résumé, les tensions géopolitiques et les facteurs structurels qui se sont aggravés, tels que la démographie défavorable et le niveau élevé de la dette, ont pesé sur la confiance des ménages et des entreprises dans le monde entier et ont freiné la demande du secteur privé. Le spectre d'une inflation élevée recule, bien qu'il soit prématuré de déclarer victoire – sur ce point les banques centrales devront rester vigilantes. Le défi pour les gouvernements du monde entier consiste à rétablir la confiance et à améliorer la productivité en utilisant efficacement la politique budgétaire et en prenant des mesures pour améliorer le fonctionnement des marchés du travail, des marchandises et des marchés financiers. Cela reste le point crucial pour remettre la reprise mondiale sur la bonne trajectoire.
Caroline Smiltneks a co-rédigé ce commentaire.
Eswar Prasad, professeur d'économie à l'Université Cornell, chercheur principal à la Brookings Institution et auteur de The Future of Money:  How the Digital Revolution Is Transforming Currencies and Finance  (Harvard University Press, 2021).
© Project Syndicate 1995–2023
 
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