Comment maîtriser l'inflation sans subventionner les banques

Lundi 6 Mars 2023

Pour combattre l'inflation, les principales banques centrales augmentent de manière agressive les taux d'intérêt, d'où une augmentation des intérêts qu'elles versent aux banques commerciales qui détiennent des comptes chez elles. C'est un transfert d'argent du secteur public vers les banques privées.


L'Eurosystème (la BCE et les 20 banques centrales nationales de la zone euro) versera cette année 107 milliards d'euros à titre d'intérêt (sur 4 300 milliards de dépôt) aux institutions financières. Ces intérêts s'élèveront à 129 milliards d'euros quand la BCE augmentera le taux de ses dépôts à 3% ce mois-ci comme elle s'y est engagée.

Aux USA, la Fed (la Réserve fédérale) a voté depuis peu une augmentation à 4,65 %  du taux d'intérêt sur les soldes de réserve qu'elle détient. Autrement dit, elle devra verser cette année 140 milliards de dollars à titre d'intérêt sur les quelques 3 000 milliards de dollars de réserves bancaires. Pour des raisons analogues, la Banque d'Angleterre devra verser des sommes tout aussi massives aux banques commerciales.

Le dernier cycle de resserrement monétaire se traduit par des pertes pour les banques centrales, et des profits pour les banques commerciales. Cela pose à nouveau la question de savoir si ces dernières doivent être rémunérées pour leurs réserves déposées auprès de la banque centrale. Le paiement d'intérêts sur les réserves est-il nécessaire à la politique monétaire ? Les banques centrales pourraient-elles augmenter les taux d'intérêt sans faire ce cadeau massif aux banques commerciales ?

De nombreux économistes considèrent comme acquis le paiement d'intérêts sur les réserves bancaires, néanmoins cette pratique est relativement récente ; avant 1999, la pratique générale était de ne pas payer d'intérêts sur les dépôts des banques. La BCE verse des intérêts sur les réserves excédentaires depuis le début de ses opérations en 1999, et le Congrès américain a autorisé la Fed à le faire en 2008.

De leur coté, les banques commerciales ne rémunèrent pas les dépôts à vue, alors que ces dépôts alimentent eux aussi en liquidités l'économie réelle. Pourquoi ces banques devraient-elles être rémunérées pour détenir des liquidités sur un compte dans une banque centrale, alors que chez elles les détenteurs de compte ne le sont pas ?

Il n'y a pas de véritable justification économique au paiement d'intérêts sur les réserves des banques centrales. Elles réalisent des profits parce qu'elles disposent du monopole de la création monétaire. Verser des intérêts aux banques commerciales revient pour elles à transférer le bénéfice de ce monopole à des institutions privées. Mais ce bénéfice, c'est essentiellement l'argent des contribuables - il devrait être rendu à l'Etat qui a accordé le droit de monopole, plutôt que d'être orienté vers les banques commerciales.

Nombreux sont les économistes à estimer que la rémunération des réserves bancaires est nécessaire à la politique monétaire. Les principales banques centrales sont confrontées à une surabondance de réserves en raison des années de relâchement monétaire. Du fait de cette offre excédentaire, le taux d'intérêt est bloqué à 0 % et la banque centrale ne peut pas augmenter le taux d'intérêt du marché, alors qu'elle doit le faire pour combattre l'inflation.

Dans ce contexte, les banques centrales poussent généralement les taux à la hausse en versant des intérêts sur les réserves massives versées sur leurs comptes par les établissements de crédit. Les banques commerciales ne prêtant pas sur le marché interbancaire à un taux d'intérêt inférieur au taux d'intérêt sur leurs dépôts auprès de la banque centrale, ce dernier sert de plancher pour le taux d'intérêt du marché. Une hausse de ce taux de dépôt se répercute sur l'ensemble des taux d'intérêt.

Une banque centrale dispose pourtant d'autres moyens pour faire monter les taux d'intérêt du marché sans transférer ses bénéfices aux banques commerciales. Elle peut par exemple vendre des bons du Trésor - une forme de relâchement monétaire que les grandes banques centrales mettent déjà en œuvre.

La réduction du bilan d'une banque centrale reste néanmoins un processus très lent. Il faudrait peut-être plus d'une décennie pour que le volume des réserves bancaires retrouve le niveau précédant la crise financière de 2008. C'est pourquoi la vente de bons du Trésor devrait s'accompagner d'une augmentation temporaire des réserves obligatoires.

A ce jour la BCE ne recourt pas à la vente de bons du Trésor, mais elle maintient l'obligation de réserve à 1 %, de son coté la Fed a entièrement supprimé cette obligation. Mais les responsables politiques devraient réexaminer cette question. Tout comme les banques centrales ont progressivement réduit leurs avoirs en bons du Trésor, les réserves obligatoires pourraient également être progressivement réduites.

En transformant les réserves excédentaires détenues par les établissements prêteurs en réserves obligatoires sur lesquelles aucun intérêt n'est versé, les banques centrales pourraient recréer le système qui existait avant la crise financière. À ce stade, la rareté des réserves signifierait que de petites manipulations de l'offre de réserves pourraient modifier le taux du marché monétaire, sans que les banques centrales aient besoin de verser des intérêts sur les dépôts.

Certains s'opposent à l'utilisation de réserves obligatoires au motif que cela équivaut à une taxe sur les banques et pourrait entraîner une distorsion économique. Mais toutes les taxes introduisent des distorsions ; la véritable question est de savoir si les avantages l'emportent sur les inconvénients.

L'avantage d'une réserve obligatoire est double : les autorités peuvent éliminer la distorsion due aux subventions massives dont bénéficient les banques privées, et les responsables politiques disposent d'un outil extraordinaire pour diminuer le bilan des banques centrales tout en maintenant la stabilité financière.

Les banques centrales peuvent augmenter leur taux d'intérêt sans subventionner massivement les banques privées. Les profits de ces dernières pourraient revenir à l'Etat. Ce sont les contribuables et non les banques privées qui doivent bénéficier de l'argent public.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Paul De Grauwe est responsable de la chaire d'économie politique européenne à l'Institut européen de la London School of Economics.
Yuemei Ji est professeur associé d'économie à l'University College de Londres.
© Project Syndicate 1995–2023
 
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