SÉNÉGAL: Une universitaire analyse la montée en puissance des acteurs du nettoiement

Mercredi 25 Juin 2014

La signature mardi d'une convention collective dédiée au secteur du nettoiement, vient consacrer la montée en puissance des agents bénéficiaires, qui ont réussi à s'imposer en acteurs majeurs de la citoyenneté urbaine en se jouant des rivalités politiques suscitées par diverses "tentatives de manipulation et de mainmise" dont ils ont toujours fait l'objet, selon l'analyse de la chercheuse américaine Rosalind Fredericks.


Dans sa contribution à l'ouvrage collectif sur "Les arts de la citoyenneté au Sénégal. Espaces contestés et civilités urbaines" (juin 2013), dont elle a assuré la coordination avec l'historien sénégalais Mamadou Diouf, l'auteur décrit la manière dont les travailleurs du nettoiement se sont employés à devenir des acteurs incontournables de la gestion de la cité. 

Selon l'universitaire américaine, "devant la précarité de leurs conditions de travail depuis une dizaine d'années et les nombreuses tentatives de manipulation et de mainmise sur le secteur par plusieurs structures de l'Etat, les travailleurs du nettoiement de Dakar ont pu se constituer en un puissant pourfendeur de l'action gouvernementale et représentent un réel défi à l'autorité de l'Etat".

"Illustrant le rôle de la saleté comme force créatrice, les grèves des travailleurs du secteur et les +révoltes+ des ordures, menées par des habitants de Dakar déversant des poubelles sur la voie publique, déploient tout le pouvoir de la saleté pour contester les paradigmes de l'ordre, dans une affirmation forte de leur droit à la ville", écrit-elle.

"La présence des ordures dans l'espace public de Dakar contemporain représente donc l'expression la plus visible au cœur de la citoyenneté urbaine", analyse Rosalind Fredericks, assistante au Gallatin School of Individualized Study à l'université de New York. 

Elle rappelle que dans un contexte de tension, au sortir des élections de 1988, "la mise en place d'un secteur du nettoiement +participatif+ permit d'ouvrir le champ politique à de nouveaux acteurs, les jeunes activistes, perçus comme le sang neuf de la nation et le symbole de son développement harmonieux".

"En 1995, ils constituaient déjà la cheville ouvrière du secteur que Mamadou Diop (maire de Dakar à cette époque) se faisait un point d'honneur de gérer personnellement", signale Fredericks, notant que les travailleurs du nettoiement "ont décrit leur travail pendant l'ère Diop comme extrêmement politisé, avec à la clé une pression injustifiée pour militer dans le PS (Parti socialiste) afin d'être payé régulièrement".

"À l'opposé de la modernité à laquelle aspire la capitale sénégalaise et des valeurs musulmanes d'hygiène et de propreté, la crise des ordures constitue une manifestation douloureuse des luttes politiques qui se jouent autour des questions du travail, de l'aménagement urbain et du pouvoir politico-institutionnel", explique cette universitaire.

"Aussi la mobilisation des travailleurs du nettoiement et leurs actes rebelles salissants se sont-ils avérés très efficaces dans leur revendication au droit à la citoyenneté", analyse l'auteur, dont les centres de recherche concernent l'économie politique du développement et les identités postcoloniales en Afrique.

"Comme on a pu le constater avec le calcul politique inauguré par le maire Mamadou Diop et destiné à caporaliser le set/setal dans les années 1990, le contrôle du secteur des ordures est demeuré au cœur de la lutte des politiciens et des partis politiques pour le pouvoir. Il s'agissait, en d'autres termes, d'un bras de fer entre les collectivités locales et l'Etat", analyse-t-elle encore.

"La dissolution du CUD (Communauté urbaine de Dakar), l'un des tout premiers actes du président Wade, était une stratégie destinée non seulement à démanteler la chasse gardée d'un des plus sérieux rivaux militant au Parti socialiste, le maire de Dakar, mais aussi à recadrer le pouvoir politique et à l'ôter des mains d'une puissante structure relevant d'une collectivité locale", explique la chercheuse.

"Tout comme Mamadou Diop, qui avait à l'époque parfaitement compris que le secteur était d'une importance capitale dans la gestion des populations urbaines et en usait pour juguler le poids croissant de leurs revendications, le président Wade et Khalifa Sall (actuel maire de Dakar) semblaient eux aussi tout à fait conscients de la sensibilité qui prévalait autour de la gestion des travailleurs du secteur des ordures", soutient l'universitaire. 

"Aussi, argumente l'auteur, la tentative de Wade de complètement escamoter le rôle des travailleurs du nettoiement pendant la dernière campagne électorale (de févier-mars 2012), en faisant appel à une +nouvelle+ jeunesse pour des actions de nettoyage, augure-t-elle déjà d'un chapitre nouveau dans la manipulation du secteur du nettoiement de la ville de Dakar".

"Les grèves des ordures représentaient en fait un parfait exemple de la montée significative de la protestation et de la mobilisation sociale qui ont commencé avec l'alternance" politique intervenue au Sénégal en mars 2000, conclut Rosalind Fredericks.
APS
Actu-Economie


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