MOODY’S DEGRADE A NOUVEAU LE SENEGAL : Le "Dividende de Confiance" épuisé

Mardi 14 Octobre 2025

La note 'Caa1' attribuée par l’Agence internationale de notation Moody’s au Sénégal est un signal d'alarme maximal pour le gouvernement et les marchés. Une chute significative qui fait basculer le Sénégal de la zone de risque "très spéculatif" vers la zone de risque "substantiel" ou de "risque de défaut très élevé". Le Sénégal est bien dans l'antichambre du défaut de paiement.


C’est la troisième fois en moins d'un an que l’Agence internationale de notation Moody's dégrade la note du Sénégal, montrant ainsi une détérioration rapide et sérieuse de la perception du risque de crédit.

« Le Sénégal est dans l’antichambre du défaut de paiement ». La note Caa1 attribuée par Moody's est précisément le signal d'alerte qui justifie cette expression. Historiquement, une note dans la catégorie 'Caa' ou en dessous est considérée comme étant la zone précédant immédiatement le défaut de paiement effectif. C'est, à tout le moins, le plus grand défi de crédibilité du Sénégal auprès des marchés depuis qu'il est régulièrement noté. La note 'Caa1' fait basculer le pays de la zone de risque "très spéculatif" vers la zone de risque "substantiel" ou de "risque de défaut très élevé". Autrement dit, Caa1 signifie que le risque de crédit est très élevé et que l'obligation (la dette du Sénégal) est de faible qualité et soumise à un risque de défaut important. Ce n'est pas seulement la lettre de la note qui est en cause, mais les faits économiques qui la soutiennent.

Le ratio de la dette de l'administration centrale estimé à plus de 100% du PIB place le Sénégal dans une situation où l'endettement est supérieur à sa capacité de production annuelle de richesse. Les besoins de financement bruts élevés (autour de 26% du PIB) pour l'année en cours et 2026 signifient que le Sénégal doit trouver des milliards de FCFA chaque année, et ce, à un coût de plus en plus élevé en raison de la dégradation de la note.

Mais il y a surtout le Facteur Temps car, l'absence de finalisation rapide d'un accord avec le FMI laisse planer un doute sur la capacité du gouvernement à rétablir la crédibilité budgétaire à court terme.
 
Signal brouillé

Une note abaissée signifie que les investisseurs perçoivent un risque de défaut plus élevé. Pour compenser ce risque, ils exigent des taux d'intérêt beaucoup plus élevés lorsque l'État ou les entreprises publiques (comme Senelec) cherchent à emprunter sur les marchés internationaux. Dès lors, l'accès aux capitaux étrangers devient plus difficile, voire impossible, forçant le pays à se tourner davantage vers le marché intérieur ou des partenaires bilatéraux, ou le FMI. Or, l'augmentation des taux d'intérêt alourdit le service de la dette et réduit la marge de manœuvre budgétaire pour les dépenses sociales et d'investissement.

Moody's a exprimé ses inquiétudes concernant la lenteur des négociations formelles avec le Fonds Monétaire International (FMI). Un accord avec le FMI est crucial, car il débloque des fonds et sert de signal de confiance pour l'ensemble des autres bailleurs de fonds et des investisseurs privés. Moody's n'anticipe un accord sur un programme qu'au milieu de l'année 2026, ce qui prolonge l'incertitude. Celle-ci est davantage accrue par le signal brouillé des autorités sénégalaises qui « dansent » un tango à deux temps entre le président de la République qui tend la main au FMI qui attend toujours l’établissement d’une base de travail (« les vrais chiffres ») et le premier Ministre qui la « repousse » à travers ses déclarations.
 
Confusion programmatique

Aujourd'hui, l'inquiétude des bailleurs et l'explication de la dégradation de la note par Moody's résident précisément dans la rupture de cette confiance et la confusion programmatique. Le fait de se retrouver avec plusieurs "programmes" ou cadres de référence mal définis et qui se chevauchent est l'une des raisons principales du brouillage de signal pour le FMI et les bailleurs. C'est un facteur d'incertitude qui justifie la prudence, voire la dégradation, des agences de notation.

Pour le FMI, l'évaluation de la santé économique d'un pays repose sur la clarté et la crédibilité d'une feuille de route unique et quantifiée (le programme économique). Lorsque plusieurs cadres coexistent ou que les anciens sont simplement rejetés sans être remplacés, cela crée trois problèmes majeurs :
1. Absence de Base de Référence Commune (Ancrage)
Le FMI a l'habitude de négocier sur la base d'un programme existant, comme l'était le Plan Sénégal Émergent (PSE). Toutefois, les nouvelles orientations ne sont pas encore formalisées en un document technique avec des cibles macroéconomiques claires pour les cinq prochaines années (déficit, croissance, endettement). Le FMI ne peut donc pas engager de prêt ni de programme d'aide (qui sont basés sur des conditionnalités et des cibles) tant qu'il n'a pas un document gouvernemental stable et chiffré comme point d'ancrage.
 
2. Le Problème de la "Double Référence"
Aujourd'hui, les acteurs externes (FMI, Banque Mondiale, investisseurs) entendent des objectifs qui ne sont pas toujours alignés ou qui n'ont pas encore été traduits en chiffres budgétaires. C’est le cas orientations Politiques avec le discours sur la souveraineté alimentaire, la réduction du coût de la vie, la renégociation de contrats. Ces objectifs sont légitimes mais demandent des subventions, des investissements ou des coupes budgétaires qui doivent être explicitées. Or, les exigences habituelles du FMI (réduction du déficit, retour à des critères communautaires, rationalisation des dépenses) s'opposent potentiellement à la réalisation rapide de certaines promesses politiques.
Ce décalage entre le discours politique et les chiffres techniques rend l'évaluation du risque de non-respect du programme (le compliance risk) extrêmement élevée pour les bailleurs.
3. Allongement des Délais de Négociation
Chaque incertitude ou chaque nouveau "programme" partiel doit être examiné, ce qui allonge inévitablement les délais de négociation. Moody's a notamment relevé que l'attente d'un accord formel avec le FMI jusqu'à la mi-2026 est une source de risque majeure. Tant que le nouveau cadre n'est pas validé par le FMI, les autres financements multilatéraux et les investisseurs privés restent en "mode attente", ce qui aggrave les problèmes de liquidité et de besoin de financement du Sénégal.
Le danger est que le Sénégal doive dévier une part trop importante de son budget vers le paiement des intérêts de la dette, au détriment des investissements cruciaux pour la croissance.
En résumé, la multiplicité de signaux et l'absence d'un programme économique post-PSE clair, chiffré et endossé techniquement par le gouvernement sont la principale raison du brouillage de signal, pénalisant la crédibilité et le coût de la dette du pays.
 
 
Un socle jadis solide

Même durant les décennies difficiles (années 80, 90, et début 2000), le Sénégal a toujours maintenu une relation privilégiée et constructive avec les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque Mondiale). C'est pourquoi le pays était souvent loué pour sa tradition de bonne gouvernance institutionnelle et sa capacité à élaborer et à respecter des programmes économiques viables.
La note Caa1 marque un plancher historique récent pour le Sénégal dans le système moderne de notation des agences internationales. Ces dernières, rappelons-le, n'ont commencé à attribuer des notes souveraines régulières à de nombreux pays africains qu'à partir des années 1990 ou 2000. Jusqu'à récemment, la note du Sénégal oscillait dans la catégorie 'B' (souvent B1, B2, ou B3) qui est déjà considérée comme "spéculative" mais qui est standard pour de nombreux marchés émergents et frontaliers.

Historiquement, le Sénégal bénéficiait d'un "dividende de confiance" qui lui permettait d'éviter le pire, même en cas de mauvaise passe. Ce soutien était basé sur la continuité Institutionnelle à travers des réformes qui, même douloureuses, étaient généralement menées à terme. De plus, les interlocuteurs et les objectifs macroéconomiques étaient clairs pour le FMI (réduction du déficit, maîtrise de la dette). Cette crédibilité a longtemps permis au Sénégal d'accéder aux marchés financiers sous-régionaux (UEMOA) et internationaux dans des conditions plus favorables que de nombreux pays de la sous-région.

Aujourd'hui, ce socle est ébranlé par les révélations de la Cour des comptes sur la base des données de l’Inspection Générale des Finances (IGF) sur la dette « cachée » ou non-consolidée, qui remettent fondamentalement en cause la fiabilité des données budgétaires. Et les agences de notation ainsi que les bailleurs ne savent pas encore quelle sera la "trajectoire" réelle du Sénégal.
Les pays notés Caa dépendent fortement d'un environnement économique et financier favorable pour éviter le défaut. La solution passe impérativement par la finalisation rapide d'un accord avec le FMI et la mise en œuvre de l'agenda de transformation économique et de consolidation budgétaire annoncé par le gouvernement.

Mais tant que le gouvernement n'aura pas finalisé et présenté un programme économique post-PSE clair, chiffré et endossé par le FMI, l'incertitude demeurera, les taux d'intérêt resteront élevés, et le spectre de la dégradation aura tendance à persister. Seule une action politique et budgétaire forte (accord FMI, consolidation des finances, recettes pétrolières et gazières) peut écarter ce scénario.
Malick NDAW
Actu-Economie


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