Le renminbi, un danger pour le Droit de tirage spécial du FMI

Vendredi 27 Novembre 2015

La campagne de la Chine visant à inclure sa devise, le renminbi, dans l'actif de réserve du FMI semble sur le point de réussir. La semaine dernière, le FMI a formellement recommandé de l'ajouter au panier de devises qui détermine la valeur de son Droit de tirage spécial (DTS).


Ce panier comporte déjà le dollar, l'euro, la livre et le yen. Inclure le renminbi ajouterait au prestige de la Chine, et surtout irait dans le sens de la politique chinoise visant à internationaliser sa devise. Pourtant ce serait une erreur. La recommandation en ce sens n'a pas de véritable justification sur le plan économique ; elle est de nature politique, et ses conséquences à long terme seront sans doute regrettables.
Sur le plan technique, l'inclusion du renminbi dans le panier de devises du DTS est contestable. Jusqu'à présent le FMI insistait sur deux critères : le pays émetteur de la devise doit être un grand pays exportateur et sa devise doit pouvoir être utilisée et négociée à grande échelle.
En tant que premier exportateur mondial, la Chine remplit de toute évidence la première condition, mais pas encore la seconde. Le renminbi est loin d'être dans la même catégorie que les quatre devises qui constituent aujourd'hui le panier du DTS. En 2014 la devise chinoise n'était qu'en 7° place dans les réserves des banques centrales, en 8° place en matière d'émission d'obligations au niveau international et en 11° place pour les transactions en devises. Par ailleurs, le renminbi reste non convertible pour la plupart des transactions financières. Les marchés financiers chinois sont rudimentaires et ce sont encore les autorités monétaires qui fixent quotidiennement les marges de négociation relatives au taux de change.
Encore récemment, en août, le FMI faisait preuve de scepticisme  quant à l'introduction du renminbi dans le panier du DTS. Il soulignait qu'un "travail significatif" était encore nécessaire et suggérait qu'il serait préférable d'attendre 2016 pour prendre une décision, de manière à ce que la transition se fasse "en douceur".
Alors pourquoi a-t-il changé d'avis ? La réponse est évidente : la Chine a déployé les grands moyens pour cela. En août, elle a relâché légèrement le régime de taux de change de sa devise. Elle a émis des obligations d'Etat libellés en renminbi à Londres et a prévu de créer de nouvelles plateformes de négociation pour sa devise dans plusieurs centres financiers européens. Et elle a fait savoir qu'elle réagirait mal en cas de décision négative.
La pression chinoise a été efficace. Les uns après les autres, les pays occidentaux s'orientent vers le renminbi, malgré ses limitations pratiques. Le FMI a reçu le message 5 sur 5 et prend les mesures voulues. Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, est très favorable  à l'introduction du renminbi et le conseil d'administration du Fonds devrait prendre sa décision à la fin du mois.
On pourrait croire qu'il s'agit d'une évolution positive. Il est vrai que cela calmera les dirigeants chinois et les incitera à continuer à travailler dans le cadre du régime monétaire international existant.  En Occident on craint parfois que certaines initiatives récentes de la Chine (notamment la création de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures) ne traduisent la volonté de l'empire du Milieu de créer de nouvelles institutions internationales destinées à concurrencer celles dominés par l'Occident, comme le FMI. La décision d'intégrer le renminbi au panier de devises du DTS pourrait éloigner au moins provisoirement ce danger.
Néanmoins cela pourrait constituer un précédent inquiétant, car cela introduit des considérations politiques dans un domaine où seules interviennent en principe des considérations économiques objectives. A long terme le succès de la campagne chinoise pourrait inciter d'autres pays à faire eux aussi pression pour introduire leur devise dans le panier du DTS. Pourquoi par exemple ne pas y inclure le franc suisse ou le dollar canadien, ou encore le rouble russe ou la roupie indienne ? Ce qui était jusqu'à présent un domaine réservé à des devises qui constituaient manifestement une élite pourrait devenir un champ de bataille désordonné entre d'autres devises pour accéder à ce même statut.
On peut toujours dire que ce n'est qu'une question de temps avant que le renminbi ne remplisse toutes les conditions requises pour rejoindre les devises composant le DTS, d'autant que son utilisation sur le plan international est en croissance exponentielle. Mais il faut tenir compte de l'incertitude liée à une extrapolation linéaire de cette tendance et ne pas surestimer les perspectives du renminbi.
De la même manière, le renminbi va sans doute être utilisé de plus en plus fréquemment dans les transactions avec la Chine. Mais il est bien moins prometteur en terme de véhicule d'investissement ou d'actif constitutif des réserves, ceci en raison du contrôle des capitaux qui encore strict en Chine et du faible niveau de son développement financier.
Et contrairement à ce que l'on croit souvent, l'inclusion du renminbi dans le panier de devises du DTS n'ajoutera pas grand chose à son internationalisation. Certaines banques centrales pourraient suivre le mouvement et inclure des actifs supplémentaires libellés en renminbi à leurs réserves, pour qu'elles reflètent la composition du DTS. Mais cet ajout sera minime, quelques 40 milliards de dollars au cours des prochaines années d'après les calculs du FMI. La totalité des réserves s'élevant à plus de 10 000 milliards de dollars, ce ne seront que quelques miettes dans le panier.
Les raisons politiques d'inclure le renminbi dans le DTS ne sont que trop claires. Malheureusement, les risques de l'opération sont bien moins apparents.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Benjamin J. Cohen est professeur d'économie politique internationale à l'université de Californie à Santa Barbara. Il a écrit un livre intituléCurrency Power: Understanding Monetary Rivalry .
 
Actu-Economie


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