La mort de l'OPEP

Mercredi 3 Août 2016

L'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole est morte. L'Arabie Saoudite l'a tuée. L'OPEP n'est plus qu'un zombie édenté, qui attire l'attention, mais sans avoir d'impact sur les vivants.


Peu de personnes ont remarqué la disparition de l'OPEP pour une raison simple : c'est qu'elle n'a jamais véritablement eu l'impact qu'elle était censée avoir selon l'opinion commune. Elle n'a jamais été réellement un cartel doté d'un pouvoir de marché monopolistique. Quiconque était d'un autre avis imputait à tort ce pouvoir de marché à l'Arabie saoudite.
Et le pouvoir de l'Arabie saoudite est expansif. Il reste le principal producteur sur les marchés pétroliers mondiaux et ses décisions politiques et économiques donnent le ton de l'économie énergétique mondiale. Cet impact va prendre de l'ampleur si le Royaume ressuscite Arab Lightcomme le brut de référence mondial.
Bien sûr, de nouveaux acteurs dans le jeu de la production d'énergie pourraient éventuellement mettre à mal l'Arabie saoudite. Mais jusqu'à présent le Royaume a réussi à éviter les blessures graves.
La révolution du gaz de schiste aux États-Unis, par exemple, a eu une grande influence internationale, bien plus forte que prévu. Le Bassin Atlantique a eu un surplus de pétrole (une production supérieure à sa consommation), pour la première fois en un demi-siècle, alors que le Bassin Pacifique est devenu la seule décharge de brut. La hausse rapide de production nationale de gaz de schiste a entraîné une perte importante parts de marché aux États-Unis, chez certains membres de l'OPEP comme l'Algérie, l'Angola et le Nigeria.
Pourtant cette révolution a eu peu d'impact sur l'Arabie saoudite, l'Irak ou le Koweït, en raison de la qualité du brut. L'Algérie, l'Angola et le Nigeria ont exporté vers les États-Unis, une sorte de brut léger non sulfuré comparable à l'huile de schiste. De nombreuses raffineries américaines sont pourtant toujours orientées vers les types de bruts plus lourds et plus acides que le pays importe du Moyen Orient. Ainsi la part de marché de l'Arabie saoudite aux États-Unis semble relativement sûre.
Cela ne veut ne pas dire que l'Arabie saoudite est invincible. Au contraire, elle a perdu des parts de marché parmi les plus gros importateurs de pétrole en Asie, qui ont augmenté leurs achats de brut ouest-africain (détournés des États-Unis). Fait peut-être encore plus douloureux, le Royaume a perdu de substantielles parts de marché en Chine au profit de la Russie.
La pénétration russe du marché chinois a été stimulée par l'imposition de sanctions occidentales après que la Russie a envahi l'Ukraine et annexé la Crimée en 2014. La Chine a profité du désespoir du Kremlin pour s'assurer des tarifs extrêmement bas sur les ressources énergétiques russes. Cependant une fois la porte vers l'Asie ouverte, les entreprises russes ont saisi l'opportunité d'entrer sur les marchés en aval de l'Inde et de l'Indonésie : deux pays essentiels à la stratégie propre aux Saoudiens.
Au cours des deux dernières années, l'Arabie saoudite a clairement faire comprendre sans détour qu'elle ne cèderait pas facilement sa part de marché, à personne. Elle a mené une campagne pour récupérer son ancienne position, non seulement sur le brut, mais aussi sur les produits pétroliers, les gaz naturels et liquides, ainsi que sur les produits pétrochimiques. À cette fin, elle a maintenu une guerre des prix, favorisée par une augmentation de la production, en vue d'évincer ses concurrents plus faibles.
Dans un premier temps, l'Arabie saoudite s'est attaquée au secteur du schiste. Mais sa stratégie pour affirmer sa position dominante sur les marchés mondiaux de l'énergie a évolué au fil du temps, afin de s'adapter aux nouvelles données économiques et aux circonstances politiques. En fin de compte, l'Arabie saoudite a entraîné tous les pays de l'OPEP dans la guerre des prix. Les pays ont augmenté leur production aussi longtemps que possible, ce qui a naturellement provoqué une baisse des prix. Lorsque la production a atteint un sommet, le marché s'est effondré, parce que les membres de l'OPEP ont été forcés d'entrer en concurrence directe des prix entre eux.
Les dissensions internes irréversibles provoquées par tout cela se sont révélées à la réunion de l'OPEP à Doha en avril dernier, où un accord pour geler la production a avorté. L'Arabie saoudite a refusé de réduire sa production à moins que l'Iran n'en fasse autant. Mais l'Iran, comme la Russie, avait perdu des parts de marché considérables du fait des sanctions occidentales : elle a donc purement et simplement refusé de réduire sa production. Les producteurs qui ont perdu des parts de marché aux États-Unis ne réduiront pas non plus leur production.
Pour le moment, l'Arabie saoudite reconnaît que le bas niveau des prix du pétrole ne va pas rétablir pleinement sa part de marché en Asie et en Europe. Mais elle voit également que l'OPEP ne lui sert plus à rien. L'OPEP est en effet une organisation qu'elle avait imposée au monde lors du premier embargo sur le pétrole arabe en 1973 et qu'elle a depuis été utilisée comme bouclier dans ses politiques pétrolières. Avec la révolution du gaz de schiste américain qui rend l'OPEP inutilisable, l'Arabie saoudite a décidé qu'il ne lui sert plus à rien de maintenir sa créature en vie.
Mais cela ne signifie pas qu'il n'y a aucun espoir pour la coopération énergétique. L'Arabie saoudite poursuit actuellement une évolution majeure dans ses politiques étrangères, économiques et énergétiques, notamment par la privatisation imminente d'une partie d'Aramco, sa compagnie nationale pétrolière, qui se prépare à développer sa capacité de raffinage.
Tout cela donne à penser que la concurrence sur les marchés de l'énergie pourrait bien se déplacer du pétrole brut vers les produits raffinés. Cela peut créer de nouvelles opportunités de coopération : les producteurs ayant une grande capacité de stockage et de raffinage pourront acheter des surplus de pétrole à des producteurs dépourvus de ces capacités.
Une évolution de la concurrence sur le brut vers la concurrence sur les produits pétroliers risque d'avoir de profondes répercussions sur les marchés mondiaux du pétrole et sur les secteurs connexes, comme le transport maritime. En fin de compte, cela a de très grandes chances d'augmenter l'efficacité globale du marché du pétrole et de renforcer la capacité des producteurs en vue de contrebalancer l'instabilité du marché. Les producteurs et les raffineurs dotés des technologies les plus sophistiquées vont dominer le marché, à commencer par l'Arabie saoudite.
Anas Alhajji, économiste de l'énergie et ancien économiste en chef chez NGP Energy Capital Management.
 
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