Alors que l’Union africaine cherche à lancer une agence panafricaine de notation, pour « mettre fin aux injustices » subies par les pays du continent, qu’est-ce qui justifie l’acquisition de GCR Ratings par l’Agence internationale de notation américaine Moody’s ?
Moody’s est une agence de notation globale, dont la mission et la vocation sont de procéder à la notation des émetteurs et des émissions d’obligations libellées en devises internationales, c’est-à-dire en dollar, en euro, en yen ou en livre sterling. En d’autres termes, ces titres obligataires sont cotés sur les bourses mondiales et s’adressent à une communauté d’investisseurs globaux. En revanche, lorsqu’il s’agit de noter les émissions obligataires libellées en devises nationales ou régionales, une agence de notation mondiale ne dispose pas nécessairement des échelles de notation pertinentes, sachant que le risque de convertibilité des devises nationales ou régionales est par définition évacué. A ce moment-là, sur le continent africain, il revient aux différentes filiales de GCR de procéder à la notation des titres obligataires voués à la cote sur les marchés domestiques ou régionaux. C’est donc un très sain partage des tâches…
Moody's fait partie des trois plus grandes agences de notation les plus critiquées, quel est l’intérêt de GCR dans cette opération d’acquisition ?
Les grandes agences de notation sont habituées à la critique, notamment lorsque les notes sont perçues comme trop basses, et notamment lorsque ces critiques émanent des émetteurs. Cela dit, il faut garder en tête que les agences de notation sont au service des investisseurs ; tant que ces derniers valorisent leur travail d’analyse, alors les marchés financiers travaillent correctement, l’information pertinente étant mise à la disposition des professionnels de l’allocation du capital.
En d’autres termes, les agences de notation ne sont que des messagers et il est souvent plus confortable de tirer sur le messager plutôt que de se remettre en question soi-même. Les raisons pour lesquelles il est intéressant pour GCR de faire partie du Groupe Moody’s sont nombreuses. Premièrement, notre parent dispose d’une très vaste quantité d’informations, de connaissances et de savoir-faire dont nous pouvons bénéficier plus vite que si nous devions les accumuler nous-mêmes. Deuxièmement, les opportunités de croissance professionnelle pour nos collaborateurs en sont démultipliées dans un groupe de grande taille. Troisièmement, notre parent dispose d’une force de frappe financière sans commune mesure avec la nôtre : si nous souhaitons nous déployer dans certains pays où nous ne sommes pas encore, comme la Tunisie, le Maroc ou le Cameroun, nous pouvons compter sur les moyens importants de notre parent davantage que sur nos ressources endogènes plus limitées. Et puis quatrièmement, les meilleurs standards internationaux en termes de gouvernance et de gestion sont désormais appliqués, lesquels nous pouvons en permanence «benchmarker» avec les pratiques des autres filiales régionales du groupe Moody’s sur d’autres territoires comme l’Asie ou l’Amérique latine.
Cela va-t-il impacter vos méthodologies de notation et vos critères ?
Non, GCR conserve ses propres méthodologies et critères de notation. L’acquisition de GCR par Moody’s ne suppose aucune implication opérationnelle de Moody’s dans la production de nos notations, lesquelles restent des notations GCR et ne deviendront pas des notations Moody’s. La prise de contrôle à 100% de GCR par Moody’s est uniquement une initiative capitalistique avec des conséquences en termes de gouvernance mais n’entraîne aucune conséquence méthodologique dans l’assignation de nos notes.
Des études ont montré qu’au moins 20% des critères de notation des pays africains relèvent de facteurs plutôt subjectifs d’ordre culturel ou linguistique, sans lien avec les paramètres qui jaugent la stabilité d’une économie, êtes-vous de cet avis ?
Tout d’abord, vous parlez de « critères de notation des pays africains». Cela n’existe pas : il n’y a pas de critères de notation souveraine spécifiques aux pays africains. Les critères de notation souveraine sont les mêmes… pour tous les émetteurs souverains, i.e. pour tous les Etats, quelle que soit leur localisation géographique.
Ensuite, vous mentionnez le caractère subjectif de certains critères. Ici aussi, il s’agit d’être précis : certains critères sont qualitatifs… cela ne veut pas dire qu’ils soient subjectifs. En effet, des critères qualitatifs peuvent être traduits en langage numérique, par l’intermédiaire d’un exercice de scoring ordinal, i.e. de comparaison les uns par rapport aux autres, sans pour autant être subjectif. La subjectivité est difficile lorsque la décision de scoring puis de notation dépend d’un Comité de notation (en d’autres termes d’une opinion collective) plutôt que d’un individu. Par ailleurs, vous mentionnez des critères « d’ordre culturel ou linguistique ». Je serai bien curieux de constater cela de mes propres yeux ! Jamais la langue ni la culture n’entrent en jeu dans notre travail d’analyse du risque de défaut des Etats. GCR dispose d’une méthodologie de notation des Etats, et en aucun cas ni la langue ni la culture ni aucun critère de ce type, totalement non pertinents, ne sont retenus comme des facteurs de notation. Enfin, nous ne portons pas d’opinion sur la « stabilité d’une économie » ; ce n’est pas notre rôle.
Notre opinion porte sur la probabilité de défaut d’un Etat, en tant que personne morale, à un certain horizon de temps, à savoir trois ans. Et force est de reconnaître qu’il arrive aux Etats de faire défaut. Reste à savoir pour quelles raisons… et ni la langue ni la culture n’en font partie.
Les pays africains laissent les agences de notation décider de l'image de l'Afrique pour les investisseurs, quel modèle envisagez-vous d’appliquer pour changer la donne ?
Je ne pense pas que les pays africains laissent le soin aux agences de notation de décider de leur image. Les notations sont un des vecteurs possibles de communication indirecte des Etats auprès de la communauté des investisseurs. Ce qui compte, en définitive, ce n’est pas tant l’image que l’on souhaite véhiculer, mais la véracité de l’information, la crédibilité de l’analyse, la robustesse des données, mais aussi, la comparaison ordinale des performances, l’effectivité du résultat des politiques économiques conjoncturelles et structurelles et la saine gouvernance. C’est cela que les agences de notation ont vocation à mesurer, et non pas à critiquer… au bénéfice des investisseurs locaux, régionaux et internationaux.
Notre modèle de notation souveraine appliqué en Afrique de l’Ouest est le résultat d’un très long travail de benchmarking des meilleures pratiques de mesure du risque de défaut souverain, lequel est en permanence contrôlé par un modèle purement quantitatif de capture du risque-pays. En outre, nous interagissons en permanence avec les autorités publiques des Etats que nous notons, ce qui nous donne un avantage informationnel considérable par rapport aux analystes ne pouvant pas accéder aux informations privatives, i.e. confidentielles, des émetteurs souverains. Au total et en définitive, nous pensons que nos ratings souverains sont justes et pertinents.
En mai 2024, GCR Ratings (GCR) a retiré les notations d’émetteur de long terme de A+(WU) et de court terme de A1(WU) attribuées à Bolloré Transport & Logistics Côte d’Ivoire sur son échelle régionale, sans mise à jour. Quelles sont les raisons de ce retrait ?
C’est une raison technique. Bolloré Transport & Logistics CI ne s’appelle plus de la sorte : la société est devenue Africa Global Logistics CI, suite à son changement d’actionnaire. Or, avec le changement d’actionnaire, est aussi survenu un changement du niveau d’informations auxquelles nos analystes ont accès, notamment au sujet du parent ultime d’Africa Global Logistics CI. Nos méthodologies analytiques applicables aux entités notées faisant partie de groupes plus larges supposent d’accéder aux informations financières concernant les entités supérieures (i.e la cascade des parents) dudit groupe… ce qui n’a pas été le cas. Dans de telles circonstances, notre équipe analytique a préféré ne pas noter la société plutôt que prendre le risque de mal la noter.
Quel est l’avenir de la notation financière en Afrique francophone si les marchés de capitaux désintermédiés ne gagnent pas en profondeur?
Cela dépend du type de profondeur à laquelle vous faites référence. Il est vrai que le nombre d’entités cotées à la bourse régionale croit à un rythme plutôt faible. Par conséquent, chaque année, il y aura peu de nouvelles notations provenant de la cotation boursière de nouvelles sociétés. En revanche, le marché obligataire est très dynamique, ce qui enrichit considérablement le nombre de notations attachées à ces émissions de titres de dettes, que ces titres soient cotés ou non. En outre, le segment de la titrisation connaît une croissance colossale depuis 2018. Sachant que les banques sont contraintes par leurs volumes de fonds propres, lesquels sont soumis à des normes prudentielles contraignantes, la titrisation a un bel avenir devant elle sur notre territoire ouest-africain, et donc la notation aussi. Enfin, nous prospectons les marchés limitrophes, notamment le Maghreb et l’Afrique centrale, encore peu équipés en notation. Le mouvement est enclenché et ce n’est qu’une question de temps avant que ces territoires ne rattrapent l’avancée marquante de l’Afrique de l’Ouest en termes de profondeur informationnelle qu’apporte la notation financière.
Lejecos Magazine Mai 2025
Moody’s est une agence de notation globale, dont la mission et la vocation sont de procéder à la notation des émetteurs et des émissions d’obligations libellées en devises internationales, c’est-à-dire en dollar, en euro, en yen ou en livre sterling. En d’autres termes, ces titres obligataires sont cotés sur les bourses mondiales et s’adressent à une communauté d’investisseurs globaux. En revanche, lorsqu’il s’agit de noter les émissions obligataires libellées en devises nationales ou régionales, une agence de notation mondiale ne dispose pas nécessairement des échelles de notation pertinentes, sachant que le risque de convertibilité des devises nationales ou régionales est par définition évacué. A ce moment-là, sur le continent africain, il revient aux différentes filiales de GCR de procéder à la notation des titres obligataires voués à la cote sur les marchés domestiques ou régionaux. C’est donc un très sain partage des tâches…
Moody's fait partie des trois plus grandes agences de notation les plus critiquées, quel est l’intérêt de GCR dans cette opération d’acquisition ?
Les grandes agences de notation sont habituées à la critique, notamment lorsque les notes sont perçues comme trop basses, et notamment lorsque ces critiques émanent des émetteurs. Cela dit, il faut garder en tête que les agences de notation sont au service des investisseurs ; tant que ces derniers valorisent leur travail d’analyse, alors les marchés financiers travaillent correctement, l’information pertinente étant mise à la disposition des professionnels de l’allocation du capital.
En d’autres termes, les agences de notation ne sont que des messagers et il est souvent plus confortable de tirer sur le messager plutôt que de se remettre en question soi-même. Les raisons pour lesquelles il est intéressant pour GCR de faire partie du Groupe Moody’s sont nombreuses. Premièrement, notre parent dispose d’une très vaste quantité d’informations, de connaissances et de savoir-faire dont nous pouvons bénéficier plus vite que si nous devions les accumuler nous-mêmes. Deuxièmement, les opportunités de croissance professionnelle pour nos collaborateurs en sont démultipliées dans un groupe de grande taille. Troisièmement, notre parent dispose d’une force de frappe financière sans commune mesure avec la nôtre : si nous souhaitons nous déployer dans certains pays où nous ne sommes pas encore, comme la Tunisie, le Maroc ou le Cameroun, nous pouvons compter sur les moyens importants de notre parent davantage que sur nos ressources endogènes plus limitées. Et puis quatrièmement, les meilleurs standards internationaux en termes de gouvernance et de gestion sont désormais appliqués, lesquels nous pouvons en permanence «benchmarker» avec les pratiques des autres filiales régionales du groupe Moody’s sur d’autres territoires comme l’Asie ou l’Amérique latine.
Cela va-t-il impacter vos méthodologies de notation et vos critères ?
Non, GCR conserve ses propres méthodologies et critères de notation. L’acquisition de GCR par Moody’s ne suppose aucune implication opérationnelle de Moody’s dans la production de nos notations, lesquelles restent des notations GCR et ne deviendront pas des notations Moody’s. La prise de contrôle à 100% de GCR par Moody’s est uniquement une initiative capitalistique avec des conséquences en termes de gouvernance mais n’entraîne aucune conséquence méthodologique dans l’assignation de nos notes.
Des études ont montré qu’au moins 20% des critères de notation des pays africains relèvent de facteurs plutôt subjectifs d’ordre culturel ou linguistique, sans lien avec les paramètres qui jaugent la stabilité d’une économie, êtes-vous de cet avis ?
Tout d’abord, vous parlez de « critères de notation des pays africains». Cela n’existe pas : il n’y a pas de critères de notation souveraine spécifiques aux pays africains. Les critères de notation souveraine sont les mêmes… pour tous les émetteurs souverains, i.e. pour tous les Etats, quelle que soit leur localisation géographique.
Ensuite, vous mentionnez le caractère subjectif de certains critères. Ici aussi, il s’agit d’être précis : certains critères sont qualitatifs… cela ne veut pas dire qu’ils soient subjectifs. En effet, des critères qualitatifs peuvent être traduits en langage numérique, par l’intermédiaire d’un exercice de scoring ordinal, i.e. de comparaison les uns par rapport aux autres, sans pour autant être subjectif. La subjectivité est difficile lorsque la décision de scoring puis de notation dépend d’un Comité de notation (en d’autres termes d’une opinion collective) plutôt que d’un individu. Par ailleurs, vous mentionnez des critères « d’ordre culturel ou linguistique ». Je serai bien curieux de constater cela de mes propres yeux ! Jamais la langue ni la culture n’entrent en jeu dans notre travail d’analyse du risque de défaut des Etats. GCR dispose d’une méthodologie de notation des Etats, et en aucun cas ni la langue ni la culture ni aucun critère de ce type, totalement non pertinents, ne sont retenus comme des facteurs de notation. Enfin, nous ne portons pas d’opinion sur la « stabilité d’une économie » ; ce n’est pas notre rôle.
Notre opinion porte sur la probabilité de défaut d’un Etat, en tant que personne morale, à un certain horizon de temps, à savoir trois ans. Et force est de reconnaître qu’il arrive aux Etats de faire défaut. Reste à savoir pour quelles raisons… et ni la langue ni la culture n’en font partie.
Les pays africains laissent les agences de notation décider de l'image de l'Afrique pour les investisseurs, quel modèle envisagez-vous d’appliquer pour changer la donne ?
Je ne pense pas que les pays africains laissent le soin aux agences de notation de décider de leur image. Les notations sont un des vecteurs possibles de communication indirecte des Etats auprès de la communauté des investisseurs. Ce qui compte, en définitive, ce n’est pas tant l’image que l’on souhaite véhiculer, mais la véracité de l’information, la crédibilité de l’analyse, la robustesse des données, mais aussi, la comparaison ordinale des performances, l’effectivité du résultat des politiques économiques conjoncturelles et structurelles et la saine gouvernance. C’est cela que les agences de notation ont vocation à mesurer, et non pas à critiquer… au bénéfice des investisseurs locaux, régionaux et internationaux.
Notre modèle de notation souveraine appliqué en Afrique de l’Ouest est le résultat d’un très long travail de benchmarking des meilleures pratiques de mesure du risque de défaut souverain, lequel est en permanence contrôlé par un modèle purement quantitatif de capture du risque-pays. En outre, nous interagissons en permanence avec les autorités publiques des Etats que nous notons, ce qui nous donne un avantage informationnel considérable par rapport aux analystes ne pouvant pas accéder aux informations privatives, i.e. confidentielles, des émetteurs souverains. Au total et en définitive, nous pensons que nos ratings souverains sont justes et pertinents.
En mai 2024, GCR Ratings (GCR) a retiré les notations d’émetteur de long terme de A+(WU) et de court terme de A1(WU) attribuées à Bolloré Transport & Logistics Côte d’Ivoire sur son échelle régionale, sans mise à jour. Quelles sont les raisons de ce retrait ?
C’est une raison technique. Bolloré Transport & Logistics CI ne s’appelle plus de la sorte : la société est devenue Africa Global Logistics CI, suite à son changement d’actionnaire. Or, avec le changement d’actionnaire, est aussi survenu un changement du niveau d’informations auxquelles nos analystes ont accès, notamment au sujet du parent ultime d’Africa Global Logistics CI. Nos méthodologies analytiques applicables aux entités notées faisant partie de groupes plus larges supposent d’accéder aux informations financières concernant les entités supérieures (i.e la cascade des parents) dudit groupe… ce qui n’a pas été le cas. Dans de telles circonstances, notre équipe analytique a préféré ne pas noter la société plutôt que prendre le risque de mal la noter.
Quel est l’avenir de la notation financière en Afrique francophone si les marchés de capitaux désintermédiés ne gagnent pas en profondeur?
Cela dépend du type de profondeur à laquelle vous faites référence. Il est vrai que le nombre d’entités cotées à la bourse régionale croit à un rythme plutôt faible. Par conséquent, chaque année, il y aura peu de nouvelles notations provenant de la cotation boursière de nouvelles sociétés. En revanche, le marché obligataire est très dynamique, ce qui enrichit considérablement le nombre de notations attachées à ces émissions de titres de dettes, que ces titres soient cotés ou non. En outre, le segment de la titrisation connaît une croissance colossale depuis 2018. Sachant que les banques sont contraintes par leurs volumes de fonds propres, lesquels sont soumis à des normes prudentielles contraignantes, la titrisation a un bel avenir devant elle sur notre territoire ouest-africain, et donc la notation aussi. Enfin, nous prospectons les marchés limitrophes, notamment le Maghreb et l’Afrique centrale, encore peu équipés en notation. Le mouvement est enclenché et ce n’est qu’une question de temps avant que ces territoires ne rattrapent l’avancée marquante de l’Afrique de l’Ouest en termes de profondeur informationnelle qu’apporte la notation financière.
Lejecos Magazine Mai 2025