VACANCE DE LA PRESIDENCE DE l’AMF-UMOA : Risques et menaces d’un trou d’air

Lundi 24 Novembre 2025

L’AMF-UMOA (Autorité des Marchés Financiers de l’Union Monétaire Ouest-Africaine) est aujourd’hui confrontée à une crise institutionnelle majeure : le départ de son président, l’expiration des mandats de son collège, et l’absence de délégation de pouvoirs bloquent ses fonctions essentielles de régulation. Une situation de nature à fragiliser l’ensemble du marché financier régional.


Le 8 octobre 2025, Badanam Patoki, jusque-là président de l’AMF-UMOA, a quitté son poste pour devenir ministre de l’Économie et de la Veille stratégique au Togo. Ce départ crée un vide de gouvernance : les mandats de la quasi-totalité des membres du collège de l’AMF-UMOA sont arrivés à expiration (sauf un représentant) depuis le 31 juillet 2025 ; le poste de secrétaire général est aussi vacant depuis plusieurs mois, sans nomination de remplacement. Or, les textes fondateurs de l’autorité ne prévoient pas de délégation de pouvoir à des cadres opérationnels : sans président ni collège pleinement légitime, « plus aucun acte engageant ne peut être valablement signé »
.
En conséquence directe du vide institutionnel, les activités de supervision, de contrôle et d’agrément sont susceptibles d’être fortement perturbées.
 
Selon un acteur du marché sous régionale qui a requis l’anonymat, « La principale conséquence ce serait le blocage voire la lenteur dans le traitement des dossiers notamment en Appel public à l’épargne (APE), de placements privés, ou potentiellement sur les agréments en OPCVM. » Du côté d’Abidjan en tout cas, ce serait déjà le cas et notre interlocuteur de confier qu’ « Un confrère basé à Abidjan me confirmait récemment qu’ils ont actuellement des dossiers notamment des autorisations en souffrance de traitement du fait de la situation actuelle. »  
 
Poursuivant , notre interlocuteur trouve cependant « curieux » que les instances du Conseil des ministres de l’Union n’aient pas anticipé cette situation qui risque d’impacter sérieusement le fonctionnement du marché, si la situation venait à perdurer. « Je pense tout de même qu’au niveau des Etats membres qui sont aujourd’hui les premiers investisseurs et sont, eux-mêmes représentés au niveau de l’AMF, avec les opérations à venir, ils n’hésiteront pas à trouver rapidement des solutions », estime-t-il.
 
Plusieurs chantiers stratégiques risqueraient en tout cas un blocage : communication financière des émetteurs, application des normes IFRS, réforme du capital-investissement et de la titrisation, création d’un Fonds de protection des épargnants, etc.
Une paralysie pèserait sur la confiance des acteurs (sociétés de gestion, émetteurs publics, investisseurs) : sans régulateur opérationnel, la transparence et la crédibilité du marché régional seraient mises à mal.
 
 « Pour l’instant, à notre niveau, nous n’avons pas officiellement d’information sur un blocage des opérations, mais si une telle situation se confirmait, c’est tout le marché qui serait affecté, avec des dossiers pas signés, la conformité des acteurs qui ont des obligations de reporting ne serait pas assurée, etc… », déclare Mamadou Sidibe (non d’emprunt) analyste financier dans une SGI de la zone.
 
Un soutien politique prompt et dynamique des États membres est en tout cas nécessaire : les États de l’UEMOA doivent prendre cette crise au sérieux, car l’AMF est un pilier de l’intégration financière.

 
Un pivot pour le financement des États et des entreprises

Gardienne de l’intégrité du marché, l’AMF-UMOA joue un rôle essentiel de régulateur au niveau régional. Elle est l’autorité qui veille à ce que tout ce qui se passe sur les marchés financiers de la zone soit transparent, loyal et conforme aux règles. Or, une régulation en panne peut affaiblir l’intégrité du marché, ce qui peut décourager de nouveaux investisseurs, en particulier étrangers, et freiner les émissions souveraines ou privées.

Concrètement, l’AMF-UMOA délivre les agréments (intermédiaires, sociétés de gestion, OPCVM…) ; autorise les levées de fonds (obligations d’État, émissions privées, SICAV, FCP, etc.) ; contrôle l’information diffusée aux investisseurs pour éviter les abus, mensonges ou omissions. Sans elle, impossible de garantir que les acteurs jouent selon les mêmes règles. Parmi eux, les États de l’UEMOA qui dépendent fortement du marché financier régional pour se financer.

L’AMF valide la documentation d’émission (prospectus, notes d’information) ; assure que les emprunts publics respectent les normes de transparence ; surveille le traitement des investisseurs pour maintenir la confiance.
Côté privé, la moindre levée de fonds — dette ou actions — passe par le contrôle de l’AMF qui représente ainsi l’un des maillons essentiels du financement de l’économie réelle.
 
De ce fait, l’AMF protège les investisseurs contre la manipulation de marché, les délits d’initiés, les fausses informations financières, les produits toxiques ou mal conçus.
Cette fonction est indispensable, car un marché sans protection se renchérit (prime de risque) ou se vide (retrait des investisseurs).
 
Reconnue et respectée

Il faut tout de même souligner les efforts de l’AMF-UMOA pour promouvoir les normes internationales et la durabilité : l’AMF-UMOA a discuté avec l’OHADA de la finalisation du Référentiel Comptable Spécifique, de l’application des IFRS et des normes de durabilité.
Paradoxalement, malgré les difficultés internes, l’AMF-UMOA a été élue à la présidence de l’IFREFI (Institut Francophone de la Régulation Financière) pour deux ans.

Cela montre que, sur le plan international (francophone), l’AMF-UMOA reste une institution reconnue et respectée, ce qui pourrait jouer en sa faveur pour un redressement.

Le Conseil des ministres de l’UMOA  a acté certaines décisions concernant l’AMF-UMOA : par exemple, lors du Conseil des ministres du 6 octobre 2025, les ministres ont approuvé les états financiers de l’AMF-UMOA pour 2024.
Cela pourrait servir de levier politique pour relancer la gouvernance : des discussions doivent avoir lieu pour nommer un nouveau président, renouveler le collège, et rétablir les mécanismes de décision.
 
 
Véritable arbitre de la confiance
 
Un marché financier ne fonctionne que si la confiance existe. L’AMF en est le garant officiel, parce qu’elle surveille les transactions, elle peut sanctionner les comportements déviants, elle est censée agir avec indépendance par rapport aux intérêts politiques ou privés.
 
Ces trois éléments créent un environnement où les investisseurs — locaux comme internationaux — se sentent suffisamment en sécurité pour engager des capitaux souvent massifs et de long terme.
 
Dans une zone UEMOA où les marchés sont encore jeunes, en croissance rapide, et donc naturellement plus vulnérables, l’AMF joue un rôle de stabilisation à travers l’harmonisation des règles pour les 8 pays, la coordination avec la BCEAO, la BRVM et UMOA-Titres, la gestion des crises et intervention rapide en cas d’anomalies.
 
Sa capacité d’action est donc stratégique pour éviter que des problèmes isolés ne se transforment en crises de confiance régionales.
 
En résumé, l’AMF-UMOA est la colonne vertébrale du marché financier régional. Sans elle, les États empruntent plus cher, les investisseurs se retirent, et la confiance s’effrite.
 
Ondes de chocs
 
Une paralysie institutionnelle et opérationnelle de l’AMF-UMOA fragiliserait l’ensemble du marché financier régional : les banques subiraient des retards d’agréments, une hausse du risque juridique et une perte d’attractivité vis-à-vis des autres places africaines ; les États verraient leur coût de financement potentiellement augmenter, leur crédibilité institutionnelle s’éroder et leurs réformes régionales ralentir ; enfin, les investisseurs, qu’ils soient institutionnels ou particuliers, se retrouveraient moins protégés, avec une visibilité amoindrie sur la qualité de l’information financière et un risque accru d’incidents de marché.
En somme, l’absence de gouvernance claire au sein de l’autorité de régulation pèserait à la fois sur la stabilité, le financement et la confiance qui sous-tendent le développement du marché de l’UEMOA.
 
 
Les banques, l’Etat, les investisseurs
 
Concrètement pour les banques, cette situation freinerait le lancement de nouveaux OPCVM, FIA, opérations de titrisation ou émissions structurées. Par ailleurs, sans gouvernance complète, toute opération validée peut être contestée.
 
Dans ce contexte, les banques régionales perdent en compétitivité face aux places mieux structurées et on assisterait à une absence de supervision active sur les pratiques de gestion et d’information financière.
 
Pour les Etats membres, il y a le risque d’une hausse potentielle du coût d’emprunt avec une perception de risque plus élevée sur le marché régional et partant, celui d’une dépendance accrue aux financements extérieurs au détriment des marchés locaux. Une situation qui porterait atteinte à la crédibilité institutionnelle d’où l’inquiétude des agences de notation et des partenaires internationaux.
 
Il y a surtout le risque de blocage des réformes régionales (IFRS, référentiel comptable spécifique, protection des épargnants, développement des FIA).

Les investisseurs institutionnels seraient également impactés sur fond d’un recul de la confiance, une protection réduite et une difficulté à évaluer la qualité des émetteurs ; mais aussi les Particuliers qui seraient ainsi exposés de manière accrue aux produits mal encadrés ou aux dysfonctionnements éventuels des fonds.

En réalité, c’est le marché global qui, au demeurant, pèse plus de 24 000 milliards de Fcfa de capitalisation et mobilise près de 200 acteurs agréés, qui risque de trinquer, avec une capacité réduite à attirer l’épargne longue et une volatilité potentiellement plus élevée.
 
Dans ce contexte, il faut craindre un risque de fragmentation des pratiques entre États, une attractivité régionale affaiblie dans un contexte de concurrence entre marchés émergents et un frein à la dynamique d’intégration financière voulue par l’UEMOA.
 
Ces chiffres qui accentuent les risques
 
Une paralysie de l’Autorité des marchés financiers de l’UEMOA (AMF-UMOA), privée d’un collège pleinement opérationnel, surviendrait dans un contexte où les marchés financiers de la zone connaissent des dynamiques de levée de fonds massives — ce qui rend le vide institutionnel particulièrement risqué.

Au 1er trimestre 2025, les États de l’UEMOA ont mobilisé 2 970,07 milliards de FCFA sur le marché primaire des titres publics. (Orishas Finance). Au 2ᵉ trimestre 2025, les émissions provisoires annoncées s’élèvent à 2 600 milliards de FCFA, dont 1 022,5 milliards en bons du Trésor à court terme et 1 577,5 milliards en obligations assimilables (OAT) à plus long terme. (Orishas Finance).
 
Par ailleurs, le total collecté au 30 avril 2025 sur les marchés publics de l’UEMOA atteint 4 751,95 milliards de FCFA (environ 8,14 milliards USD), soit une progression spectaculaire par rapport à l’année précédente. Ces montants illustrent clairement que les États membres de l’UEMOA dépendent fortement du marché obligataire régional pour leur financement — un marché où l’AMF-UMOA joue un rôle de garant institutionnel.
 
D’après le FMI, les taux d’intérêt moyens sur le stock de dette UEMOA augmentent, avec des écarts (spreads) pouvant atteindre 250 points de base selon les États. (IMF). Le stock de dette de l’UEMOA représenterait une part importante du PIB des États membres : selon Dabafinance, la dette publique totale de la zone atteint 77 439,4 milliards de FCFA, soit environ 58,9 % du PIB global. (Dabafinance).
 
Sur le marché secondaire (titres publics), le volume transigé sur un semestre (H1 2024) atteignait 1 542,86 milliards de FCFA, selon le rapport du CFA Institute. (CFA Institute Research and Policy Center). Ce niveau reste faible par rapport au stock total de dette : ces échanges représenteraient seulement autour de 1,6 % du total de la dette UEMOA, selon la même source. (CFA Institute Research and Policy Center).
 
Ces chiffres accentuent le risque lié à une paralysie de l’AMF-UMOA. Avec des émissions trimestrielles de plusieurs milliers de milliards, l’absence d’un régulateur pleinement fonctionnel fragiliserait la supervision et l’agrément de nouvelles émissions importantes. Des investisseurs peuvent réclamer des primes de risque supplémentaires, surtout si l’autorité de régulation est perçue comme instable ou inefficace. La liquidité faible en secondaire limite la capacité des investisseurs à sortir ou rééquilibrer leurs portefeuilles, ce qui augmente la sensibilité aux chocs de confiance.
Malick NDAW
Actu-Economie

La rédaction

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