Le procès du « put Draghi »

Mardi 11 Novembre 2014

CAMBRIDGE – Au cours de l'été 2012, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a promis de faire « tout ce qu'il faut » pour sauver l'euro, y compris l'achat de quantités « illimitées » des obligations souveraines en difficulté. Cette décision, qu’on a appelée par la suite le « put Draghi », avait presque immédiatement réduit les coûts d'emprunt pour l'Espagne et l'Italie, et est largement présentée comme ayant tiré d’affaire une zone euro au bord du gouffre – sans jamais utiliser les soi-disant « opérations monétaires sur titres ».


Gita Gopinath, professeur d'économie à l'Université de Harvard, est chercheur invité à la Federal Reserve Bank de Boston
Gita Gopinath, professeur d'économie à l'Université de Harvard, est chercheur invité à la Federal Reserve Bank de Boston
Cela peut sembler un succès retentissant : la simple annonce du programme OMT était assez pour mettre fin à la crise existentielle de l'union monétaire. Mais, selon la Cour constitutionnelle allemande, la politique viole les traités de l'Union européenne – une décision que la Cour européenne de justice est en train d'examiner. La décision de la Cour de justice européenne aura des conséquences importantes pour l'avenir de la zone euro, car elle permettra de définir de quelle autorité dispose la BCE, si elle dispose effectivement de quelque autorité que soit, pour intervenir dans une crise de la dette.
Et pourtant, de manière fondamentale, le débat actuel sur les OMT perd de vue l’argument principal. Au lieu de demander si le mandat de la BCE lui permet d'intervenir dans une crise de la dette, les dirigeants européens devraient se demander s’il est souhaitable qu’elle intervienne.
La position de la Bundesbank sur cette question est bien connue ; des conclusions remises à la Cour constitutionnelle qui ont fuité dans la presse l'an dernier déclaraient sans équivoque que « La BCE n’a pas pour devoir de sauver les Etats en crise ». Pourtant, il existe de bonnes raisons pour permettre à la BCE d’agir en tant que prêteur en dernier ressort.
Un argument clé pour forcer les banques centrales à se conformer à des objectifs d'inflation stricts est qu'il élimine la tentation d'utiliser le « financement monétaire » (acheter des obligations d'État) de façon inattendue, que ce soit pour stimuler l'économie ou faire baisser la charge réelle de sa dette. Après tout, une telle action ne fonctionne que rarement : les marchés l’anticipent et augmentent les taux d'intérêt pour compenser les prêteurs contre l'inflation attendue. Le résultat est généralement à la fois une forte inflation et des coûts d'emprunt élevés.
Ce qui pire, selon cet argument, c’est que les anticipations de financement monétaire conduiraient les gouvernements à emprunter excessivement. Cela pourrait déclencher un cercle vicieux d’un endettement croissant et d'une inflation incontrôlable, avec des conséquences dévastatrices.
Ce sont des arguments convaincants. Mais ils ne tiennent pas compte d'un facteur essentiel : le contexte historique.
Si une crise de la dette résulte de la prodigalité et de la mauvaise gestion du gouvernement, plutôt que d'une défaillance du marché, il est vrai que la banque centrale ne devrait pas intervenir. Si, toutefois, la crise provient d'un défaut de coordination entre les investisseurs – lorsque chaque investisseur refuse de prolonger la dette du gouvernement, de peur que les autres fassent de même, conduisant à un défaut – la politique monétaire peut jouer un rôle important.
En effet, en fixant un niveau plancher pour le prix de la dette souveraine et toute inflation l’accompagnant, l’intervention de la banque centrale réduirait la valeur réelle de la dette et en faciliterait le remboursement. En outre, comme l'annonce des OMT l’a démontré, une promesse crédible de recourir au financement monétaire dans le cas d'une telle crise peut l'empêcher de se produire en premier lieu – sans nécessiter d’action inflationniste.
Sans l'implication de la banque centrale, la prophétie de panique des investisseurs serait auto-réalisatrice, provoquant une montée en flèche des coûts d'emprunt qui empêcherait le gouvernement de rembourser ses créanciers. En d'autres termes, interdire à la banque centrale d'intervenir en tant que prêteur en dernier ressort peut pousser des économies solvables dans une crise de la dette inutile, qui compromettrait la production et l'emploi. Par la plupart, c’est précisément ce qui est arrivé à l'Espagne et l'Italie en 2012.
Dans ce contexte, le put Draghi était une action hautement défendable. Refuser de considérer tout financement monétaire et continuer à adhérer à une cible d'inflation stricte, aurait été beaucoup plus difficile à justifier.
Bien sûr, une intervention de la banque centrale n’est pas la seule façon d'apaiser les crises auto-réalisatrices dans la zone euro. Les transferts fiscaux, au moyen desquels les pays de la zone euro s’engagent à fournir des fonds à leurs homologues en difficulté, pourraient aussi fonctionner. Mais cette approche est beaucoup plus difficilement réalisable, et donc moins crédible.
Les opposants à l'intervention de la banque centrale ont raison sur une chose : le financement monétaire comporte de graves risques. Afin de veiller à ce qu’il soit le moins risqué et le plus efficace que possible, il doit être utilisé principalement dans le cas de crises de la dette auto-réalisatrices.
En termes de design institutionnel, il est donc optimal que la banque centrale confirme un fort engagement à maintenir l'inflation faible en temps normal et soit prêt à intervenir en cas de crise. L'utilisation des OMT par la BCE satisfait les deux critères.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Gita Gopinath, professeur d'économie à l'Université de Harvard, est chercheur invité à la Federal Reserve Bank de Boston, associé de recherche au National Bureau of Economic Research et Young Global Leader du Forum économique mondial.
 
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