Lors de notre premier rendez-vous à la Coupole, il portait encore les costumes chics des banquiers d'affaires. À l'Élysée, où il conseillait encore François Hollande, ses tenues détonnaient par rapport aux autres. « Il était aussi le plus bavard en réunion », se souvient l'un de ses collègues. Il prenait déjà beaucoup de place, proposait, innovait... Pierre-René Lemas, le secrétaire général de l'Élysée, son supérieur, avait du mal à contenir ce jeune conseiller ardent qui défendait alors une ligne très financiariste. Et pour cause, Nicolas Sarkozy avait laissé les caisses de l'État dans un état critique... La Cour des comptes avait sonné l'alerte dès juillet. François Hollande s'était refusé à noircir une situation déjà bien sombre. Si bien que le coup de bambou fiscal qui s'abattrait sur les Français en 2013 resterait longtemps inexpliqué... Première leçon tirée par Macron en observant la geste hollandienne : toujours dire ce que l'on va faire et pourquoi on le fait. Une passion inlassable pour tenter de convaincre, même ses opposants les plus farouches.
En revanche, quand Macron assistait le président lors des rendez-vous officiels, il savait rester à sa place tout en montrant une certaine décontraction. Hollande aimait rire avec Macron lequel, par ailleurs, avait su charmer les ministres les plus antagonistes qui soient. Entre Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg, rien n'allait plus mais chacun pouvait penser que Macron était un allié à l'Élysée.
Son ambition s'est déployée petit à petit. Quand il quitte l'Élysée à l'été 2014, Macron éprouve une certaine frustration. Il boude. En vérité, il aurait souhaité que François Hollande le promeuve au poste de secrétaire général de l'Élysée quelques mois plus tôt, de préférence à Jean-Pierre Jouyet, son mentor à l'Inspection des finances. Il ne sait pas encore clairement ce qu'il veut faire : donner des cours, monter une start-up, écrire des livres... L'ironie de l'histoire veut que ce soit Manuel Valls qui le récupère. Le Premier ministre a repéré ce talent et pense pouvoir compter sur un allié de la ligne « réformiste » qu'il incarne. Il propose par deux fois à François Hollande de faire entrer Macron au gouvernement. La première fois, Hollande refuse. La seconde, il cède à ce Premier ministre deux fois plus haut dans les sondages...
Parce qu'il détonne, parce qu'il présente bien, l'énarque devient rapidement la coqueluche des médias, lassés d'un quinquennat sans souffle, sans récit, où même Manuel Valls devient transparent. D'autant plus qu'Emmanuel Macron reprend à son compte ce qui faisait le charme d'un Manuel Valls : il transgresse à tout-va. Pas un trimestre sans qu'il entaille le dogme socialiste : sur les 35 heures, sur le statut des fonctionnaires... Dès qu'il en a l'occasion, Macron creuse son sillon. Souvent il se rétracte ou minimise sous la pression des grondements de Matignon, mais l'essentiel est acquis : il fait passer le message que lui n'est pas comme les autres. Cette guérilla médiatique sera très utile plus tard quand on lui fera le reproche d'être le candidat de François Hollande. Il pourra alors prendre tout le monde à témoin qu'il ne s'est jamais confondu avec la doxa gouvernementale...
Macron va méthodiquement mettre en place sa machine à gagner en posant trois bâtons de dynamite dans le débat public. Le premier passe par la création d'un mouvement citoyen : En marche !. François Hollande y consent « à condition qu'aucun homme politique ne puisse y adhérer ». Naïveté du chef de l'État qui n'imagine pas une seconde que son ministre conspire à sa succession... Comme s'il refusait de voir que les initiales « EM » sont celles de son ministre... Le chef de l'État pense encore que Macron incarne une frange d'un électorat qu'il a perdu et qu'il peut reconquérir, à terme, par son entremise... Évidemment, la consigne de Hollande ne tient pas une seconde et, dès le début, En marche ! voit se regrouper un petit noyau d'élus socialistes dont Richard Ferrand, Corinne Erhel (décédée vendredi), François Patriat, etc. Ils sont tous familiers depuis plusieurs mois des petits-déjeuners que Macron organise, un mercredi sur deux, dans ses appartements privés de Bercy. Brigitte Macron y sert le café. Gérard Collomb ne se montrera publiquement qu'en juillet 2016 au moment où En marche ! organise sa première démonstration de force à la Mutualité.
Enfin, le dernier bâton de dynamite, il le réserve pour les législatives. C'est à coup sûr le plus gros pari d'Emmanuel Macron : pousser des candidats En marche ! dans 577 circonscriptions, pour beaucoup issus de la société civile. Trois semaines d'une campagne éclair menée par des inconnus face aux députés les mieux implantés. Un blitz ! S'il obtient la majorité absolue, il aura obtenu le grand chelem ! Une révolution dans les urnes sans précédent... Beaucoup va dépendre de la personnalité qu'il choisira de nommer à Matignon pour mener cette ultime bataille. Une personnalité de centre-droit équilibrerait son mouvement. Les noms qui circulent – François Bayrou, Sylvie Goulard, Richard Ferrand, Jean-Yves Le Drian, Gérard Collomb – sont peut-être un peu trop convenus. Emmanuel Macron pourrait réserver une ultime grosse surprise... qui achèverait de dynamiter la vie politique.
Lepoint.fr
En revanche, quand Macron assistait le président lors des rendez-vous officiels, il savait rester à sa place tout en montrant une certaine décontraction. Hollande aimait rire avec Macron lequel, par ailleurs, avait su charmer les ministres les plus antagonistes qui soient. Entre Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg, rien n'allait plus mais chacun pouvait penser que Macron était un allié à l'Élysée.
Un conseiller déçu
Le dynamiteur perçait déjà sous le conseiller. En effet, c'est bien la tâche occulte à laquelle Macron a travaillé au cours de ce quinquennat : dynamiter les codes, dynamiter les clivages politiques, dynamiter la solidarité gouvernementale, dynamiter le Parti socialiste, dynamiter la présidentielle. En un mot, dynamiter la vie politique française. Il était dit qu'il ne ferait rien comme les autres.Son ambition s'est déployée petit à petit. Quand il quitte l'Élysée à l'été 2014, Macron éprouve une certaine frustration. Il boude. En vérité, il aurait souhaité que François Hollande le promeuve au poste de secrétaire général de l'Élysée quelques mois plus tôt, de préférence à Jean-Pierre Jouyet, son mentor à l'Inspection des finances. Il ne sait pas encore clairement ce qu'il veut faire : donner des cours, monter une start-up, écrire des livres... L'ironie de l'histoire veut que ce soit Manuel Valls qui le récupère. Le Premier ministre a repéré ce talent et pense pouvoir compter sur un allié de la ligne « réformiste » qu'il incarne. Il propose par deux fois à François Hollande de faire entrer Macron au gouvernement. La première fois, Hollande refuse. La seconde, il cède à ce Premier ministre deux fois plus haut dans les sondages...
Un ministre insupportable à ses collègues
Là aussi, il faut bien délimiter le poste : Macron devient ministre de l'Économie. Une belle affiche qui masque un tout petit pouvoir. Car à Bercy, celui qui compte, c'est le ministre des Finances. En l'occurrence, Michel Sapin, assis sur le Trésor de la France. Ce camarade de promotion de François Hollande ne parle pas anglais couramment. C'est un peu embêtant par rapport à un Macron déjà très à l'aise dans l'univers bruxellois... Sapin ne se doute pas que son colocataire va se montrer plus que turbulent. En effet, le ministre de l'Économie entreprend de repousser très loin les murs de son ministère. Il va systématiquement se mêler de tout jusqu'à se faire détester d'un grand nombre de ses collègues. Christian Eckert au Budget ne supporte pas les leçons de fiscalité du jeune Macron. Christiane Taubira subit, avec rage, les embardées du jeune Macron dans le monde des notaires et des huissiers qu'il met à feu et à sang pour bâtir sa loi, un monstre de plus d'une centaine d'articles qui touche à tout. Macron se mêlera également du sauvetage de la Grèce (d'où le soutien de Yanis Varoufakis).Parce qu'il détonne, parce qu'il présente bien, l'énarque devient rapidement la coqueluche des médias, lassés d'un quinquennat sans souffle, sans récit, où même Manuel Valls devient transparent. D'autant plus qu'Emmanuel Macron reprend à son compte ce qui faisait le charme d'un Manuel Valls : il transgresse à tout-va. Pas un trimestre sans qu'il entaille le dogme socialiste : sur les 35 heures, sur le statut des fonctionnaires... Dès qu'il en a l'occasion, Macron creuse son sillon. Souvent il se rétracte ou minimise sous la pression des grondements de Matignon, mais l'essentiel est acquis : il fait passer le message que lui n'est pas comme les autres. Cette guérilla médiatique sera très utile plus tard quand on lui fera le reproche d'être le candidat de François Hollande. Il pourra alors prendre tout le monde à témoin qu'il ne s'est jamais confondu avec la doxa gouvernementale...
La naïveté de François Hollande
En août 2015, c'est le tournant. Il est invité à l'université d'été du Pôle des réformateurs, l'aile droite du PS. Il y fait un tabac. Le sénateur François Patriat, l'un des premiers marcheurs, témoigne : « Il me prend à part et me dit : François Hollande ne pourra pas se représenter. Il faut qu'on prépare quelque chose. Il faut qu'on se revoie. » Une intuition exceptionnelle et un culot sans pareil : dès août 2015, Macron est sur les rangs pour l'Élysée dans le plus grand secret... À cette époque, François Hollande, toujours pétri d'optimisme, ne doute pas une seconde qu'il sera le candidat naturel de son camp et ne songe qu'au match retour contre Nicolas Sarkozy...Macron va méthodiquement mettre en place sa machine à gagner en posant trois bâtons de dynamite dans le débat public. Le premier passe par la création d'un mouvement citoyen : En marche !. François Hollande y consent « à condition qu'aucun homme politique ne puisse y adhérer ». Naïveté du chef de l'État qui n'imagine pas une seconde que son ministre conspire à sa succession... Comme s'il refusait de voir que les initiales « EM » sont celles de son ministre... Le chef de l'État pense encore que Macron incarne une frange d'un électorat qu'il a perdu et qu'il peut reconquérir, à terme, par son entremise... Évidemment, la consigne de Hollande ne tient pas une seconde et, dès le début, En marche ! voit se regrouper un petit noyau d'élus socialistes dont Richard Ferrand, Corinne Erhel (décédée vendredi), François Patriat, etc. Ils sont tous familiers depuis plusieurs mois des petits-déjeuners que Macron organise, un mercredi sur deux, dans ses appartements privés de Bercy. Brigitte Macron y sert le café. Gérard Collomb ne se montrera publiquement qu'en juillet 2016 au moment où En marche ! organise sa première démonstration de force à la Mutualité.
Une très grosse surprise pour Matignon ?
Le deuxième bâton de dynamite ? Le positionnement du mouvement se veut « et de droite et de gauche ». Il surfe sur le malaise profond d'une société française qui rejette sa classe politique et le théâtre artificiel des affrontements idéologiques que François Hollande a commencé à brouiller. En mettant en place, sans l'annoncer clairement, une politique de l'offre – à travers le pacte de responsabilité –, le président a involontairement préparé le terrain à l'éclatement des lignes droite-gauche. Macron s'inscrit dans cette continuité, mais, lui, contrairement au président, l'assume totalement. Les lignes de clivage ont bougé : au clivage ancien sur le travail, la France se fracture sur son acceptation ou son refus de son ouverture à la compétition mondiale. La carte de la France du premier tour de la présidentielle en a été le reflet aussi exact qu'effrayant. Macron l'a compris avant les autres. Et son mouvement renoue, d'une certaine manière, avec l'essence du gaullisme, le dépassement des étiquettes politiques. Il reprend d'ailleurs du gaullisme une conception plus personnelle du pouvoir : Macron ne partage pas tout avec ses équipes, il conserve une part de quant-à-soi. Ses équipes sont tenues dans l'ignorance de sa date de sortie du gouvernement, de la date de publication de son livre, tout comme il ne livre à personne l'identité de son Premier ministre.Enfin, le dernier bâton de dynamite, il le réserve pour les législatives. C'est à coup sûr le plus gros pari d'Emmanuel Macron : pousser des candidats En marche ! dans 577 circonscriptions, pour beaucoup issus de la société civile. Trois semaines d'une campagne éclair menée par des inconnus face aux députés les mieux implantés. Un blitz ! S'il obtient la majorité absolue, il aura obtenu le grand chelem ! Une révolution dans les urnes sans précédent... Beaucoup va dépendre de la personnalité qu'il choisira de nommer à Matignon pour mener cette ultime bataille. Une personnalité de centre-droit équilibrerait son mouvement. Les noms qui circulent – François Bayrou, Sylvie Goulard, Richard Ferrand, Jean-Yves Le Drian, Gérard Collomb – sont peut-être un peu trop convenus. Emmanuel Macron pourrait réserver une ultime grosse surprise... qui achèverait de dynamiter la vie politique.
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