Un nouveau départ pour la Grèce et l’Europe

Jeudi 25 Juin 2015

La Grèce a un besoin urgent de clarté d’esprit. Cela fait longtemps que le pays aurait fait défaut sur sa dette, si la Banque centrale européenne n’avait pas fourni de manière continue des fonds à la banque centrale grecque à travers son programme d’assistance en liquidité d'urgence (ELA). La banque centrale grecque, à son tour, prête de l'argent aux banques commerciales du pays, qui le prêtent ensuite aux citoyens grecs et aux créanciers étrangers. Le problème est que les deux groupes d'emprunteurs ont transféré de grandes sommes d'argent vers d'autres pays.


Un nouveau départ pour la Grèce  et l’Europe
En conséquence, les crédits de découvert à la banque centrale grecque ont augmenté de près d’un milliard d’euros par jour au cours des derniers mois. Si la Grèce fait défaut et sort de la zone euro, ces découverts ne seront pas remboursés.
Le financement ELA suppose que l'économie grecque est temporairement illiquide, mais pas insolvable. Cette hypothèse est manifestement fausse. Malgré toute la douleur que la Grèce a subie – une baisse de 30% de la demande globale depuis le dernier point haut cyclique et une hausse du chômage à plus de 25% de la main-d'œuvre – l'économie grecque est encore loin d'être suffisamment concurrentielle pour rembourser ses dettes.
Une partie de la raison en est que la corruption reste élevée et la capacité administrative de percevoir des taxes reste malheureusement limitée. Pendant ce temps, les ménages grecs à faible revenu ont fait les frais de l'austérité. En bref, le désordre continue.
Or, permettre à la Grèce de faire défaut tout en restant dans la zone euro n’est pas une option : elle signifierait que les autres pays de la zone euro pourraient accumuler des dettes énormes, financées par la BCE, sans avoir l'intention de les rembourser. La responsabilité financière dans la zone euro en serait irrémédiablement compromise.
Pour autant, forcer à sortir de la zone euro une Grèce en situation de défaut – contre son gré – n’est pas une option non plus : cela plongerait le pays dans l'instabilité économique, sociale et politique, et il y aurait sans aucun doute de graves répercussions  au-delà des frontières du pays.
À mon avis, il ne reste que deux options viables. La première – et la plus souhaitable – est que la BCE évalue de façon réaliste le problème de solvabilité de la Grèce et par conséquent cesse de fournir des fonds ELA à son système bancaire. Cela précipiterait une crise de paiement de la Grèce. Mais, prenant conscience de la catastrophe imminente, la Grèce s’engagerait véritablement dans les réformes structurelles qui servent ses propres intérêts à long terme : renforcer la flexibilité du marché du travail, vendre certaines entreprises publiques que la plupart des autres pays européens ont déjà placé dans des mains privées, réduire les dépenses bureaucratiques dans le secteur public.
Dans le même temps, la Grèce ferait en sorte que ces réformes n’affectent pas les plus pauvres grâce à des politiques actives du marché du travail (telles que des subventions pour former et embaucher les chômeurs de longue durée). En outre, la Grèce s’engagerait par rapport à un plan budgétaire mis en œuvre automatiquement et précisant le ratio dette nationale sur PIB de long terme, le taux de convergence de ce ratio et le degré anticyclique des dépenses publiques.
Voilà pour ce que la Grèce devrait faire. En retour, ses créanciers se mettraient d'accord pour un autre round d’annulation de dette – suffisamment importante pour permettre, de façon réaliste, à la Grèce de rembourser ses dettes à l'avenir, mais suffisamment limitée pour éviter des transferts de crédit inutiles. La Grèce resterait dans la zone euro, après avoir perdu une partie de sa souveraineté budgétaire et structurelle.
Si cette première option n’est pas prise – ce qui est le résultat le plus probable, compte tenu de la partie de poker jouée actuellement par les politiciens – la Grèce fera défaut. Mais cela pourrait préparer le terrain pour la deuxième option, que je qualifierais de « programme du nouveau départ ».  
En vertu de ce programme, les pays créanciers annuleraient les dettes de la Grèce, à la condition que le pays ait quitté volontairement la zone euro. Cela donnerait à la Grèce l'occasion de se reconstruire à l'extérieur de l'union monétaire : elle pourrait restructurer son économie, sans ingérence extérieure, et se préparer à réintégrer la zone euro ultérieurement sous de nouvelles conditions – cette fois sans statistiques faussées ni attentes irréalistes.
Une telle option permettrait au gouvernement grec de prendre un nouveau départ dans la stimulation de la concurrence, la lutte contre la corruption et ainsi construire la base d’une croissance de long terme. Ce ne serait pas facile, mais ce ne serait plus un processus humiliant pour la Grèce et exaspérant pour pays créanciers.
Cette deuxième option serait moins souhaitable que la première. Les incertitudes spéculatives associées à un « Grexit » pourraient menacer les autres économies de la zone euro (par exemple, Chypre et le Portugal), tandis que la Grèce, avec une drachme dévaluée, serait confrontée à une douloureuse augmentation du prix de ses importations de biens d'équipement dont elle a besoin pour générer une large base d’emplois à salaires élevés.
Mais la seconde option serait également un nouveau départ pour l'ensemble de la zone euro. Ses Etats membres accepteraient que l'union monétaire est impossible sans une coordination budgétaire et structurelle. La coordination fiscale minimum nécessaire impliquerait la mise en œuvre des plans nationaux automatiques, formulés par chaque gouvernement à l'avance.
En contrepartie, la coordination structurelle doit, au minimum, concentrer les fonds de l'Union européenne vers les pays présentant des déficits courants à long terme, l'objectif étant d'améliorer leur compétitivité grâce à des investissements dans leur capital humain. Étant donné que ses dispositions actuelles ne sont ni crédibles, ni durables, la zone euro a besoin de ce « nouveau départ », indépendamment de l'option choisie en fin de compte par la Grèce.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Dennis J. Snower est Président du Kiel Institute for the World Economy et Professeur d’économie à la Christian-Albrechts Universität zu Kiel.
 
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