Pourquoi les États-Unis doivent interdire les clauses de non-concurrence

Lundi 23 Janvier 2023

« Actuellement, ce ne sont pas les travailleurs qui implorent les employeurs de leur offrir un poste, mais les employeurs qui doivent rivaliser pour embaucher des travailleurs américains », tweetait au mois d’août le président américain Joe Biden.


En réalité, de nombreuses sociétés ne se livrent pas à cette bataille du recrutement, préférant user de clauses de non-concurrence pour maintenir en place leurs employés, de plus en plus d’employeurs  décidant en effet de poursuivre en justice leurs employés, leur reprochant de s’être intéressés à de nouvelles opportunités dans une autre entreprise. Plusieurs dizaines de millions d’employés aux États-Unis sont aujourd’hui soumis à un contrat qui les oblige à demeurer  à leur poste actuel en dépit de meilleures opportunités ailleurs, ce qui limite leur liberté d’accepter un poste professionnel ou de créer une entreprise dans leur domaine d’activité.
Ces dernières années, de nombreux États – parmi lesquels le Coloradol’Illinois, le Nevada et l’Oregon  – ont décidé de restreindre la capacité des employeurs à imposer ces contrats à leurs travailleurs. Pour autant, la récente fragilisation d’une importante loi sur les clauses de non-concurrence, dans le District de Columbia (DC), démontre les limites de cette approche État par État.

Le gouvernement fédéral doit interdire les clauses de non-concurrence coercitives pour tous les travailleurs. Bien que les Démocrates aient récemment perdu leur majorité à la Chambre des représentants, l’administration Biden dispose de l’autorité d’établir une pleine interdiction nationale, sans avoir à passer par une nouvelle législation. Le président l’a lui-même reconnu lorsqu’il a appelé la Federal Trade Commission à réglementer les clauses de non-concurrence, dans son très complet décret présidentiel de 2021 sur la promotion de la concurrence au sein de l’économie américaine. C’est dans cet esprit que la FTC doit agir selon la recommandation de Biden, et interdire aussi rapidement que possible les clauses de non-concurrence.

L’importante bataille autour de l’interdiction prononcée dans le DC souligne la nécessité d’une action fédérale. Fin 2020, le Conseil du DC vote à l’unanimité l’interdiction des clauses de non-concurrence  pour quasiment tous les travailleurs. Les associations patronales et d’entreprises, parmi lesquelles la Chambre de commerce du DC, s’attaquent immédiatement à cette mesure. En juillet 2021, nous sommes appelés à témoigner  en soutien de la loi, après que Brooke Pinto, membre du Conseil, ait introduit plusieurs amendements consistant à l’assouplir significativement.

Les employeurs font alors valoir d’audacieux arguments. L’un des représentants de la Maryland-DC-Delaware Broadcasters Association, par exemple, explique qu’un diffuseur devrait pouvoir empêcher un employé de faire bénéficier une autre chaîne de tout ce qu’il a appris dans la première. De même, la Chambre de commerce explique considérer que les employés devraient être empêchés « de transmettre involontairement à une entreprise concurrente, d’y mettre en pratique, ou d’y divulguer des informations confidentielles obtenues dans le cadre de leur travail ».

Le Conseil de DC finira par juger convaincants les arguments des employeurs, et votera en juillet 2022 l’assouplissement de l’interdiction. En vertu de la loi amendée, la plupart des employés rémunérés plus de 150 000 $ par an peuvent être soumis à une clause de non-concurrence. Bien que ce niveau de salaire soit synonyme d’une relative aisance financière pour ces travailleurs, nombre d’entre eux font face à d’importantes dépenses mensuelles. Le coût élevé de la vie dans la zone métropolitaine du DC, ainsi que les prêts étudiant, par exemple, empêchent bien souvent ces travailleurs de patienter au chômage jusqu’à l’expiration d’une clause de non-concurrence. Plus fondamentalement, tous les travailleurs, quel que soit leur salaire, devrait être libres de pouvoir quitter leur emploi, et continuer de travailleur dans leur domaine, plutôt que demeurer à un poste qu’ils souhaitent quitter, prendre un emploi temporaire dans un autre secteur (en passant par exemple de la comptabilité à la vente au détail), ou rester sans emploi pendant un an voire plus.

Si les employeurs disposent effectivement de précieuses informations exclusives à protéger, les clauses de non-concurrence constituent, comme l’explique la professeure de droit Viva Moffat de l’Université de Denver, « un outil inadapté à la tâche ». Les employeurs peuvent recourir à des alternatives moins restrictives, telles que les lois sur les secrets commerciaux, ainsi que les accords de non-sollicitation ciblés.

Ils peuvent également conserver la loyauté et la productivité de leurs équipes en traitant correctement leurs employés, en leur versant de justes avantages et salaires par exemple. En effet, même si les salaires moyens ont augmenté significativement depuis un an, ils sont encore à la traîne par rapport à l’inflation. Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirment certains économistes  de premier plan, les salaires n’alimentent pas l’inflation, ils l’atténuent  précisément.

Le revers essuyé par les travailleurs dans le DC souligne les limites de toute action infranationale. Une approche efficace au niveau des États, sur la voie de l’interdiction complète des clauses de non-concurrence, exigerait une victoire contre de puissants employeurs et contre leurs lobbyistes dans 50 juridictions. Ce combat nécessiterait de nombreuses années pour être remporté, même dans des conditions politiques favorables.

Le gouvernement fédéral doit intervenir, en s’appuyant sur sa longue histoire de réglementation des relations du travail. Le 13e amendement de la Constitution des États-Unis a bel et bien interdit l’esclavage et la servitude involontaire (excepté pour les prisonniers). Dans les années 1930, le Congrès a interdit les contrats  qui empêchaient les travailleurs de rejoindre un syndicat, et reconnu la liberté syndicale.

L’administration Biden doit suivre ces exemples, et interdire les clauses de non-concurrence ainsi que les contrats comparables  visant à limiter la mobilité des travailleurs. Une interdiction nationale des clauses de non-concurrence n’exigeant pas d’acte de la part du Congrès, elle ne sera pas impactée par la probable impasse politique à l’issue des élections de mi-mandat. La FTC jouit d’ores et déjà du pouvoir d’interdire ces contrats, en vertu de son autorité étendue sur les « méthodes de concurrence déloyales ». Dans le cadre d’une large coalition axée sur le travail et l’intérêt public, nos organisations ont réclamé à la FTC  une telle décision en mars 2019.
À l’été 2021, au moment de signer son décret présidentiel sur la politique antitrust, Biden a encouragé la FTC à réglementer les clauses de non-concurrence, déplorant que les travailleurs soumis à ces clauses soient « impuissants, peu respectés, intimidés et piégés », et ajoutant « Ce n’est pas normal. Les travailleurs devraient être libres de pouvoir choisir un meilleur poste si quelqu’un le leur propose ».

Dix-sept mois plus tard, toujours pas de proposition  de la part de la FTC. Il incombe à l’agence et sa directrice Lina Khan de répondre à l’appel du président, en agissant sans plus tarder. Une interdiction fédérale des clauses de non-concurrence constituerait un accomplissement majeur pour Biden, qui a promis de se démarquer comme le président le plus pro-travailleurs  de l’histoire des États-Unis. Mais cette interdiction permettrait surtout à plusieurs millions de travailleurs de se libérer du joug d’employeurs oppressifs.

Traduit de l’anglais par Martin Morel
Najah A. Farley est avocate-conseil principale au sein de l’organisation National Employment Law Project. Sandeep Vaheesan est directeur juridique de l’Open Markets Institute.
© Project Syndicate 1995–2023
 
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