Politique étrangère et campagne présidentielle américaine

Vendredi 3 Juillet 2015

Il est impossible de prédire quel candidat les électeurs américains choisiront de désigner comme leur prochain président. Il est en revanche certain que ce choix engendrera de profondes conséquences à l’échelle mondiale, pour le meilleur ou pour le pire.


Politique étrangère et campagne présidentielle américaine
Ceci révèle avant tout combien la puissance américaine demeure une réalité. Il est par ailleurs quasiment certain que le prochain président héritera d’un monde plongé dans une tourmente considérable. Les choix qui seront les siens, et la manière dont il ou elle les mettra en œuvre, auront une grande importance pour les populations de l’ensemble de la planète.
Pour autant, il est difficile de savoir le rôle que jouera la politique étrangère dans la détermination du prochain occupant du Bureau ovale. Nous ne sommes encore qu’à 17 mois de l’élection de 2016. Beaucoup de choses peuvent arriver, et arriveront, d’ici là.
Deux processus politiques à la fois connexes et distincts – à savoir les consultations pour l’investiture chez les Démocrates et chez les Républicains – s’opéreront au cours de l’année prochaine. L’ancienne Secrétaire d’État Hillary Clinton se démarque comme la favorite des Démocrates, bien que sa nomination ne soit pas encore établie. Dans tous les cas, il faut s’attendre à ce que la politique étrangère joue un rôle minime dans cette décision, et que les problématiques intéressant davantage les électeurs appelés à participer aux élections primaires démocrates soient de nature domestique et économique.
Le camp républicain se révèle plus encombré et plus incertain, et il est plus probable que la politique étrangère joue un rôle significatif dans la désignation du prochain candidat du parti. Sous le mandat du président Barack Obama, l’économie est aujourd’hui en voie d’amélioration, ce qui en fait une cible politique moins attractive. L’agitation du monde confère en revanche plus de marge aux Républicains pour attaquer Obama et les Démocrates.
Néanmoins, un certain nombre de problématiques de politique étrangère sont vouées à dominer les discussions au sein des deux partis. L’une de ces problématiques réside dans le commerce, qui constitue à la fois un sujet domestique et international. Obama cherche actuellement à obtenir l’autorité de promotion du commerce, prélude nécessaire au ralliement d’un soutien de la part du Congrès en vue du Partenariat transpacifique, qui permettrait d’abaisser les barrières entre les États-Unis et 11 pays de la ceinture du Pacifique. Beaucoup des candidats républicains – mais pas tous – se prononcent en faveur du PTP ; les acteurs politiques du camp démocrate sont en revanche plus hostiles à cet accord, rendant potentiellement plus risqué le fait pour un candidat démocrate de le soutenir.
Une deuxième problématique vouée à dominer les débats, dans le cadre de la nomination des deux parties, réside dans la question de l’Iran et des négociations internationales relatives à la maîtrise de son programme nucléaire. Il faut s’attendre à ce que beaucoup de candidats républicains critiquent toute proposition d’accord. Plusieurs questions seront soulevées concernant le calendrier et la détermination des sanctions susceptibles d’être assouplies, les modalités des inspections de conformité, ainsi qu’autour de ce qu’il adviendra une fois qu’auront expiré certaines des limites régissant les activités nucléaires de l’Iran. Il est probable que les candidats démocrates se montrent compréhensifs quant négociations menées, des divergences certaines étant en revanche vouées à opposer les candidats de chaque camp.
Une troisième problématique réside dans le changement climatique. Le pape François s’apprête à accentuer l’importance de cette question en prononçant à cet égard une déclaration majeure la semaine prochaine. De même, la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, qui aura lieu à Paris au mois de décembre, est vouée à maintenir cette question au premier plan de l’actualité. Les Démocrates, seront sans doute plus favorables à d’importants engagements de la part des États-Unis, bien qu’ici encore des différences de points de vue s’annoncent au sein de chaque camp.
Un quatrième ensemble de problématiques concerne le Moyen-Orient. Aucun des deux camps n’aspire outre mesure à une intervention militaire de grande envergure contre l’État islamique en Irak et en Syrie. Il faut néanmoins s’attendre à un débat houleux – et aux formules les plus solennelles – autour de ce qui doit et ne doit pas être fait.
Interviendront également d’autres questions allant de l’affirmation de la puissance chinoise en Asie à la démarche revancharde entreprise par la Russie en Ukraine. Le discours employé, notamment dans le camp républicain, devrait être musclé en la matière.
Espérons qu’émergeront de ce processus de nomination à la tête des deux partis un certain nombre d’éclairages quant à la manière dont les candidats désignés entendent répondre à trois interrogations majeures.
La première concerne l’importance, en termes absolus et relatifs, que chaque candidat entendra accorder à la politique étrangère. Si l’on considère la sécurité nationale comme une pièce à deux faces, politique étrangère sur l’une des faces et politique intérieure sur l’autre, quelle est la probabilité de voir cette pièce atterrir sur telle ou telle face pour le prochain président ? Intervient ici le vieux débat entre « le beurre et les canons », autour de la manière d’employer les ressources, qu’il s’agisse de dollars ou de l’attention du président.
Deuxièmement, quels sont les objectifs et les priorités de la politique étrangère ? En matière de relations internationales, la tradition réaliste s’attache à influencer la politique étrangère des pays étrangers, en plaçant un moindre accent sur leurs affaires intérieures. La principale alternative traditionnelle s’inscrit dans une logique inverse, considérant comme extrêmement importantes les affaires intérieures des autres États, pour des raisons de morale ou de principes, ou dans la mesure où l’on estime que la manière dont se comporte un gouvernement dans son propre pays déterminerait la façon dont il agit à l’étranger.
Selon cette vision idéaliste, les pays au régime démocratique, traitant leurs citoyens avec le plus de respect, seraient les plus susceptibles de traiter avec un même respect les citoyens des autres États. Le problème réside bien entendu en ce que l’influence sur les trajectoires d’autres sociétés se révèle généralement une démarche difficile, qu’il est nécessaire de fournir à long terme ; dans le même temps, plusieurs défis mondiaux urgents exigent d’être résolus, parfois avec l’aide de régimes politiques peu recommandables.
La dernière interrogation concerne l’approche que les candidats désignés adopteront dans l’exécution de la politique étrangère. Quel sera leur équilibre favori entre unilatéralisme et multilatéralisme, et quels outils – diplomatie, sanctions, opérations de renseignement, et intervention de la force militaire – emploieront-ils le plus souvent ?
Les réponses à ces différentes questions apparaîtront de plus en plus claires au fil de la campagne. Au cours du processus, les Américains pourront ainsi se faire une meilleure idée du candidat qu’ils souhaitent élire, et les populations du monde entier une meilleure idée du chef d’État auquel s’attendre en janvier 2017, lorsque le 45e président des États-Unis prêtera serment.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Richard N. Haass est président du Conseil des relations étrangères, et plus récemment auteur de l’ouvrage intitulé Foreign Policy Begins at Home: The Case for Putting America’s House in Order .
 
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