Le jour où la Fed augmentera ses taux

Mardi 15 Septembre 2015

La Réserve fédérale américaine (Fed) est la banque la plus puissante de la planète. Sa composante la plus puissante est la Commission fédérale de l'Open Market (FOMC, Federal Open Market Committee) constituée de 12 hommes et femmes qui se rencontrent huit fois par an pour décider de la politique monétaire de la première économie mondiale, essentiellement en fixant les taux d'intérêt de la Fed. La dernière fois qu'elle les a augmentés, c'était en 2006, avant que la crise financière mondiale ne donne un coup d'arrêt à la croissance et ne pousse les banques centrales à ramener leurs taux à zéro et à recourir à des mesures de relâchement monétaire (QE) pour injecter des liquidités dans les économies des pays avancés.


Mais cette année, la première fois depuis 2007, tous les pays avancés, USA inclus, ont retrouvé le chemin de la croissance. C'est pourquoi la FOMC qui veut éviter la formation d'une bulle des actifs augmenter les taux d'intérêt. En fonction du moment qu'elle choisira pour cela, cette hausse sera favorable ou pas à l'économie américaine. Mais qu'en sera-t-il pour le reste du monde ?
Notre étude montre que les pays émergents notamment s'inquiètent. Mi-2013, lorsque la Fed a annoncé l'arrêt progressif de sa politique monétaire non-orthodoxe (par exemple l'achat à grande échelle de titres adossés à des prêts immobiliers), ils ont été victimes d'une fuite massive des capitaux. Ainsi, quand la Fed laisse entendre qu'elle va resserrer sa politique monétaire, certains pays en pâtissent. Nous prévoyons que cela aura des répercussions négatives sur le PIB mondial à moyen terme - répercussions qui toucheront non seulement les pays émergents, mais aussi les pays industrialisés. Leur ampleur dépendra du niveau de resserrement que décidera la FOMC lors d'une prochaine réunion.
Depuis que la Fed a commencé à réduire l'envergure de ses mesures de relâchement monétaire, les spéculations vont bon train sur la question de savoir quand elle y mettra un point final. Les acteurs du marché, qu'il s'agisse des prêteurs ou des emprunteurs, savent que l'ère du crédit facile va se terminer à moment donné. Ils constatent qu'après trois grands programmes d'achats d'actifs le bilan de la Fed a plus que quadruplé depuis 2007, pour atteindre un total de quelques 4500 milliards de dollars en février 2015.
Cependant, quand on cherche à prévoir les intentions de la FOMC, il ne faut pas oublier que le mandat de la Fed lui impose d'agir au mieux des objectifs économiques américains. Aussi doit-elle considérer non seulement le taux d'inflation désirable (la valeur cible est de 2% par an), mais également l'état du marché de l'emploi. Et son évaluation de la situation est lourde de conséquences.
C'est ainsi que mi-2013, l'évocation par la Fed d'une sortie progressive de sa politique monétaire non orthodoxe a généré une vague d'inquiétude des investisseurs qui s'est accompagnée d'une hausse généralisée de la volatilité et suscité la méfiance des marchés à l'égard des pays émergents. La question est maintenant de savoir si les modifications du taux directeur au jour le jour de la Fed (le taux auquel les banques se prêtent leur argent déposé à la Fed au jour le jour) auront des effets analogues, voire pires.
Pour réduire la divergence possible entre ses attentes économiques et celles de l'opinion, la Fed publie le point de vue de chacun des membres de la FOMC sur ce que pourrait être le niveau des taux d'intérêt au cours des prochaines années. Ceux qui sont optimistes quant aux perspectives de croissance de l'économie américaine anticipent une hausse prochaine du taux directeur de la Fed, et ceux qui sont pessimistes s'attendent à ce qu'il reste proche de zéro pour une période relativement longue.
En nous appuyant sur les informations publiées par la Fed en mars, nous avons étudié deux hypothèses extrêmes : celle du "décollage prochain" des taux d'intérêt avec une hausse progressive du taux directeur qui atteindrait 4% en 2017, et celle d'un "décollage retardé", avec des variations minimes des taux d'intérêt au cours des deux prochaines années. Pour évaluer les conséquences de ces deux hypothèses au-delà des USA sur le PIB, les prix à la consommation, les taux de change et les taux d'intérêt, nous les avons appliquées à 36 pays (émergents et avancés) qui à eux tous représentent 90% de la production mondiale.
En cas de décollage prochain des taux d'intérêt, nous concluons, sauf pour l'Amérique latine, à un ralentissement généralisé en 2016 et à son accentuation en 2017. En cas de décollage retardé, les pertes cumulées en terme de production seraient environ 10 fois moindres.
Notre travail montre que tout resserrement monétaire décidé par la Fed affectera à des degrés variables le reste du monde. Vont certainement souffrir les pays émergents (par exemple le Brésil, l'Indonésie et la Turquie) qui ont été sérieusement frappés au moment de la phase d'inquiétude suscitée en 2013 par la crainte d'une fin précoce du relâchement monétaire. Mais les pays comme le Canada et le Mexique qui ont des liens commerciaux étroits avec les USA, ou ceux comme l'Allemagne, le Japon et Singapour qui sont fortement intégrés à l'économie mondiale en paieront le prix fort.
Autrement dit, les pays émergents - du fait de leur dépendance à l'égard des flux de capitaux entrants - seront fragilisés au moment où la politique monétaire américaine reviendra à la "normale", mais il en sera de même pour nombre de pays avancés.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Martin Feldkircher, Florian Huber et Isabella Moder sont économistes au sein du département de recherche internationale de la Banque nationale d'Autriche.
© Project Syndicate 1995–2015
 
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