Le cercle vicieux de la croissance chinoise

Dimanche 26 Octobre 2014

LONDRES – La plupart des économistes ont une raison de s’inquiéter de la santé de l'économie chinoise – que ce soit la faible consommation et les importants excédents extérieurs, la surcapacité industrielle, la dégradation de l'environnement ou certaines interventions gouvernementales comme les contrôles de capitaux ou la répression financière. Pourtant, ce que beaucoup ne parviennent pas à reconnaître, c'est que ce ne sont que les symptômes d'un problème sous-jacent unique : le modèle de croissance déséquilibré de la Chine.


Le cercle vicieux de la croissance chinoise
Ce modèle est, dans une certaine mesure, une construction politique et le résultat d'un biais profond en faveur des secteurs de la construction et de l’industrie en tant que principaux moteurs du développement économique. Cette prédilection nous ramène au Grand bond en avant de 1950, quand la ferraille était refondue pour atteindre des objectifs de production d'acier trop optimistes, faisant ainsi progresser le rêve de Mao d’une industrialisation rapide.
Aujourd'hui, l’inclination de la Chine pour la production industrielle se manifeste dans de grands projets industriels et d'infrastructure, encouragés par des subventions publiques directes et indirectes. En stimulant les investissements et en générant des recettes fiscales pour les gouvernements locaux, cette approche a un plus grand impact positif immédiat sur le PIB que les efforts visant à développer le secteur des services.
Cependant, le modèle comporte également des coûts importants. En effet, la Chine est maintenant enfermée dans un cercle vicieux économique, soutenu par des politiques sources de distorsions apparemment sans rapport qui sont, en réalité, profondément interconnectées, voire symbiotiques.
Une des caractéristiques les plus évidentes de cette tendance est la disparité entre la croissance du PIB de la Chine, qui a atteint en moyenne près de 10% par an au cours des dernières décennies, et sa croissance de l'emploi, qui ne s’élève qu’à 1-2% par an. De toute évidence, l'industrialisation et l'expansion des exportations ne suffit pas à absorber la main-d'œuvre massive de la Chine.
Le problème est que la croissance rapide de la productivité du travail dans le secteur industriel – plus de 10% par an au cours des deux dernières décennies – réduit la nécessité d'embaucher davantage de travailleurs. Le secteur des services, en revanche, a connu une croissance beaucoup plus lente de la productivité du travail (environ 5% par an au cours de la même période), ce qui signifie qu'il pourrait contribuer bien davantage à la croissance de l'emploi. Aux États-Unis, environ 80% de la population active totale travaillait dans le secteur des services  en 2012.
Une autre conséquence du modèle de croissance déséquilibré de la Chine a été une baisse du revenu des ménages en pourcentage du PIB, de 70% en 1990 à 60% en 2009, alors qu’aux Etats-Unis, par exemple, le ratio est resté stable, autour de 80% du PIB. En d'autres termes, les ménages chinois ne bénéficient pas de la croissance économique.
Ce phénomène, aussi, peut être blâmé en grande partie sur les politiques créant des distorsions. Afin de limiter la hausse des coûts de main-d'œuvre, les salaires ont été réprimés, ne progressant que de 5% par an au cours des 20 dernières années, alors même que la productivité a augmenté à un taux annuel de 8,5%. Pendant ce temps, la répression financière a fait baisser le coût du capital. Au cours de la dernière décennie, le rendement réel (corrigé de l'inflation) moyen sur les dépôts a été proche de zéro. Alors qu’environ 80% de l'épargne des ménages chinois est déposée dans les banques, cette taxe implicite sur l'épargne a eu un impact économique majeur, renforçant la tendance des ménages chinois à épargner et compromettant ainsi la croissance de la consommation et exacerbant les déséquilibres mondiaux.
De cette façon, les politiques génératrices de distorsions chinoises ont contribué à perpétuer un modèle de croissance dysfonctionnel. La répression des salaires, la répression financière et un taux de change sous-évalué subventionnent les exportations et la production, au détriment des ménages, qui sont donc obligés d’épargner, ce qui provoque un affaiblissement de la demande intérieure. Afin d'atteindre les objectifs de croissance, le gouvernement doit donc compter sur les exportations et l'investissement – une approche qui conduit à l'accumulation de réserves massives, qui doivent ensuite être stérilisées. De faibles taux d'intérêt permettent de limiter le coût de la stérilisation au niveau national et de réduire les coûts pour les entreprises – de nouveau aux dépens des ménages.
Briser ce cycle ne sera pas facile, mais il n'y a pas d'autre moyen de résoudre bon nombre des problèmes les plus urgents auxquels est confrontée l'économie chinoise. En effet, le modèle de croissance actuel impose également un lourd tribut à l'environnement et la pollution menace la santé de la population, en particulier dans les zones urbaines.
En outre, le biais en faveur des industries de transformation et d'exportation conduit à une très mauvaise allocation du capital. Les secteurs industriels les moins efficaces ont accumulé une importante capacité excédentaire, ce qui déstabilise l'ensemble de l'économie, tandis que les secteurs les plus productifs et les plus efficaces n'ont pas accès aux ressources dont ils ont besoin.
La restructuration de l'économie est peut-être le défi le plus urgent – et le plus difficile – pour les dirigeants chinois actuels. Étant donné que les distorsions qui existent aujourd’hui sont interconnectées, elles pourraient devoir être traitées simultanément. L’approche graduelle de la Chine pourrait être arrivée à la limite de ses possibilités.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Keyu Jin est maître de conférences en économie à la London School of Economics.
© Project Syndicate 1995–2014
 
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