La communication en matière de santé publique et de justice sociale

Lundi 17 Août 2020

Comme l'a démontré la pandémie de COVID-19, la communication est une épée à double tranchant. C'est l'un des plus puissants outils pour faire évoluer les comportements. Elle peut susciter la prise de conscience – et la compassion – à l'égard du sort des groupes vulnérables frappés de manière disproportionnée durant les crises.


Combinée à un programme d'équité solide et à un leadership crédible, elle peut conduire à des actions positives et inclusives. Mais il suffit qu'on l'utilise à mauvais escient et qu'on la déforme par de fausses hypothèses, ou par une vision à court terme et des intérêts personnels étroits – et dans ce dernier cas la communication peut être une arme dangereuse.

Une comparaison entre la réponse à la COVID-19 au Royaume-Uni et au Rwanda illustre cette dichotomie. La réponse du Royaume-Uni a souffert  d'un manque d'engagement politique et d'action politique rapide et cohérente, et sa population a d'abord été moins sensible aux messages de santé publique. Les échecs de communication ont joué un rôle important dans ce domaine.

Le gouvernement a commencé à nuire à sa propre efficacité dès le départ, lorsqu'il a largement sous-estimé  le nombre de morts dû à la COVID-19. Les dirigeants ont continué à fournir des informations et des exemples contradictoires, ce qui a provoqué une confusion généralisée au sujet des mesures à suivre. Cela a nui d'autant plus à la confiance dans les pouvoirs publics. Un sondage récent  a montré que la confiance du public dans les pouvoirs publics ne s'est toujours pas remise de l'infraction flagrante du conseiller en chef du Premier ministre Boris Johnson, Dominic Cummings, envers les règles de confinement en mai dernier.

Les dirigeants britanniques n'ont pas manqué  non plus de reconnaître par ailleurs que le virus touchait de manière disproportionnée les communautés ethniques minoritaires noires et asiatiques (BAME). Par conséquent, ces groupes n'ont pas bénéficié de soins sur mesure ni des renseignements ciblés nécessaires pour préserver leur bonne santé.

En revanche, on peut décrire l'approche du Rwanda en matière de communication comme ayant été cohérente, crédible, inclusive et opportune. Un mois avant le premier cas confirmé de COVID-19 au Rwanda, le gouvernement publiait déjà des mises à jour régulières, fondées sur des données scientifiques faisant état des progrès des tests et de la situation en matière de préparation nationale. Pour s'assurer que tout le monde dispose des informations essentielles, ces messages ont été diffusés sous forme numérique, par SMS, par les stations de radio locales et même avec l'aide de drones . Les professionnels de santé au sein des communautés ont renforcé les messages au niveau des communautés et des ménages.

En outre, le Rwanda a adopté une approche participative de la prise de décisions, qui a impliqué les responsables au niveau de la mise en œuvre de la réponse ainsi que les personnes les plus touchées par la crise, afin de comprendre leurs besoins spécifiques. Le gouvernement a mis en place un numéro téléphonique d'assistance nationale et un outil d'auto-triage, grâce auquel les citoyens concernés par les symptômes potentiels peuvent avoir accès à des conseils et distribuer les ressources  nécessaires – nourriture, soutien financier et services de santé – pour permettre aux communautés vulnérables de se conformer aux ordonnances de confinement.

Tous ces efforts ont renforcé la confiance dans les pouvoirs publics. Fait tout aussi important, ils ont inspiré et donné aux gens les moyens de se protéger eux-mêmes et de protéger leurs communautés.
Les résultats sont convaincants. Le 13 août, le Royaume-Uni, avec ses 67 millions d'habitants, a recensé  plus de 315 500 cas de COVID-19 et 46 791 décès. Le Rwanda, avec ses 13 millions d'habitants, a eu 2 189 cas et huit décès seulement. Bien que de nombreux facteurs puissent expliquer cette disparité, la volonté et la capacité des individus à suivre les directives de santé publique – conçues en partie par la communication publique et la confiance qu'elle a engendrée – ont sans aucun doute joué un rôle.

Les informations contradictoires provenant de différentes sources – notamment des médias, des amis et des collègues – peuvent créer et aggraver les dissensions. Ceci est particulièrement vrai lorsque des informations erronées, contradictoires ou incorrectes sont issues des pouvoirs publics – en particulier de leurs dirigeants.

Les États-Unis en sont un exemple type. Durant la pandémie, le président américain Donald Trump a à plusieurs reprises formulé des affirmations douteuses et dangereuses. Par exemple, en mars, il a publiquement approuvé  l'hydroxychloroquine comme étant un élément susceptible de « changer la donne » dans la lutte contre la COVID-19, malgré un manque de recherche scientifique venant soutenir cette affirmation. Cela a provoqué  une course au médicament, ce qui a entraîné des pénuries qui ont touché ceux qui en avaient besoin pour traiter le lupus et la polyarthrite rhumatoïde.

De même, en avril dernier, Trump s'est interrogé  publiquement, lors d'un communiqué de presse de la Maison Blanche, sur à l'opportunité d'utiliser des désinfectants domestiques par voie interne comme mode de traitement efficace contre la COVID-19. Les ventes d'eau de Javel – et les appels aux centres antipoison – ont connu une brusque hausse. Des allégations de ce genre peuvent coûter la vie à certains. Mais il existe peu de mécanismes de responsabilisation en vigueur pour limiter la diffusion d'informations dangereuses ou trompeuses.

Dans une certaine mesure, cela est en train de changer. Après des années de critiques, les entreprises de médias sociaux commencent  à assumer une part de responsabilité relativement aux informations diffusées sur leurs plateformes. Twitter a été la première plateforme importante à prendre des mesures dans ce sens, en appliquant une signalétique spécifique à plusieurs tweets de Trump pour désinformation.

Même Facebook – dont le directeur général Mark Zuckerberg s'est fermement opposé  à la vérification des discours politiques – a succombé à la pression, notamment au boycott des annonceurs , avant de prendre des mesures. Il a récemment retiré du compte officiel de Trump un message contenant un clip vidéo d'une interview dans laquelle Trump affirme que les enfants sont « presque immunisés » contre la COVID-19.

Mais les plateformes de médias sociaux ne doivent pas être les seules à assumer la responsabilité de protéger l'opinion publique contre la désinformation. Les médias doivent être quant à eux des bastions fiables protégeant des informations crédibles.

La responsabilité personnelle ou professionnelle ne suffit peut-être pas. Au Rwanda, il est illégal pour toute autorité de fournir des conseils susceptibles de nuire à ceux qui les suivent. Cela devrait être le cas pour chaque pays où les dirigeants donnent de tels conseils, de même que les médias qui les amplifient devraient avoir des comptes à rendre au système judiciaire.

Mais le problème va bien plus loin que les simples conseils qui mettent directement nos vies en danger, comme dans le cas des informations inexactes en matière de santé publique. La communication d'informations peut également renforcer les fausses hypothèses qui contribuent à l'injustice sociale.

On a pu critiquer à juste titre les médias britanniques, par exemple, pour avoir relayé des récits ou des vidéos faisant l'éloge des professionnels de santé de première ligne qui ne mentionnaient que des blancs , alors que 44 % des travailleurs des personnels de santé  du National Health Service sont issus des communautés ethniques minoritaires noires et asiatiques (BAME). Dans de nombreux pays, les médias ont publié  des théories du complot sur la pandémie centrées sur la Chine, mettant ainsi à mal les communautés chinoises – et asiatiques – partout dans le monde.

Le mode de communication des figures d'autorité, comme les médias et les dirigeants politiques, avec le public, peut sauver ou mettre en danger des vies. En d'autres termes, il peut défier ou renforcer l'injustice. Le Rwanda et l'un des très rares autres pays, comme la Nouvelle-Zélande, a avoir montré qu'en luttant contre la COVID-19, la communication novatrice, inclusive et scientifique est l'outil le plus puissant que nous ayons à notre disposition.

Laura Wotton, directrice de la communication, du marketing et des relations publiques à l'Université de l'équité en santé mondiale. Agnes Binagwaho, ancienne ministre de la Santé du Rwanda, professeur et vice-chancelière de l'Université de l'équité en santé mondiale.
© Project Syndicate 1995–2020
 
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