La BCE en fait-elle assez ?

Mardi 6 Janvier 2015

Konrad Adenauer, le premier chancelier allemand de l’après-guerre, a eu cette phrase célèbre : « Pourquoi devrais-je me soucier de ce que j’ai dit hier ? » Il voulait tout simplement dire que les événements évoluent parfois avec une rapidité qui dépasse notre capacité à les appréhender. Alors que l’année 2014 se termine, cela vaut la peine de se poser rétrospectivement la question suivante : « Avons-nous, à la Banque centrale européenne, réagi suffisamment rapidement afin de maintenir la stabilité des prix face aux menaces, comme l’exige notre mandat. » Je pense que nous pouvons répondre par l’affirmative.


Nous avons constaté que notre politique monétaire n’exerçait plus sur les coûts du crédit privé les effets auxquels nous étions habitués. Il était évident que le canal du crédit au sein du système bancaire ne fonctionnait plus correctement ; les conditions d’emprunt excessivement restrictives déprimaient la demande. Face à cette situation, la BCE a agi exactement comme l’aurait fait toute banque centrale : elle a pris des mesures visant à rétablir la relation entre sa politique monétaire et le coût du crédit, en vue de faire baisser le taux moyen pour les ménages et les entreprises.
En juin, nous avons mis en place une série d’opérations de refinancement à plus long terme ciblées (appelées TLTRO) afin de fournir des financements aux banques à des taux fixes très bas pour une période allant jusqu’à quatre ans. Les TLTRO visaient à maximiser les chances de voir les banques accorder des financements aux emprunteurs qui en ont besoin. Nos programmes d’achat de titres adossés à des actifs et d’obligations sécurisées ont été conçus de manière à favoriser la transmission de la réduction des coûts de financement aux clients des banques.
Globalement, ces mesures offrent une puissante réponse permettant de traiter les causes profondes du dysfonctionnement du canal du crédit bancaire, confortant par là les flux de crédits nouveaux à l’économie réelle. Et des données provisoires témoignent des premiers effets bénéfiques tangibles sur l’économie de la zone euro.
Parallèlement, l’inflation a continué à se replier. En novembre, l’inflation annuelle dans la zone euro a touché un creux conjoncturel de 0,3 %, en raison pour une large part de la chute des cours du pétrole depuis la fin de l’été. Mais l’évolution de l’inflation sous-jacente (qui ne prend pas en compte les prix volatils de l’énergie et des produits alimentaires) fait également ressortir la faiblesse de la demande globale. De fait, les dernières projections de la BCE vont dans le sens d’une dégradation notable des perspectives macroéconomiques.
La baisse des cours du pétrole et la perspective d’une période prolongée de faible inflation semblent également avoir affecté les anticipations d’inflation. Compte tenu de l’ampleur du récent choc sur les cours du pétrole, le risque existe que le taux d’inflation devienne temporairement négatif au cours des prochains mois. Normalement, une banque centrale devrait se féliciter d’un choc positif sur l’offre. N’oublions pas, en effet, que la baisse des prix du pétrole dope les revenus réels et est de nature à engendrer une progression de la production à l’avenir. Mais nous ne pouvons pas nous réjouir de l’évolution actuelle. Notamment parce qu’un ancrage solide des anticipations d’inflation est indispensable dans la perspective de la stabilité des prix à moyen terme, la politique monétaire doit réagir face à un risque de désancrage.
Pour cette raison, le Conseil des gouverneurs de la BCE a confirmé son engagement unanime à recourir à des instruments non conventionnels supplémentaires dans le cadre de son mandat s’il devenait nécessaire d’agir face aux risques d’une période prolongée de faible inflation ou si, en dépit des mesures de relance monétaire, notre bilan n’évolue pas, contrairement à notre attente, vers une dimension comparable à celle affichée début 2012. Cela impliquerait de modifier la portée, le rythme et la composition de nos mesures au début de 2015 ; les experts de la BCE et des banques centrales nationales ont intensifié les préparatifs techniques relatifs à de nouvelles mesures en vue de les mettre en œuvre rapidement en cas de besoin.
Si nous estimons que l’économie a besoin de mesures de relance supplémentaires, une possibilité pourrait être d’étendre les achats fermes d’actifs à d’autres catégories. Mais il est important de garder à l’esprit que les achats d’actifs ne sont pas une fin en soi. Ils sont un instrument, et non un objectif de politique monétaire.
En ce qui concerne la nature des mesures supplémentaires à mettre en œuvre, un critère de sélection important devrait être l’ampleur de leur incidence sur les conditions de financement globales au sein de l’économie privée. À titre d’exemple, les achats d’obligations émises par les sociétés non financières de la zone euro auraient probablement des répercussions directes sur les coûts de financement des entreprises. Toutefois, comparé à d’autres catégories d’actifs, le marché des obligations de sociétés non financières est relativement étroit.
La question se poserait différemment si nous décidions d’acheter des obligations émises par des emprunteurs souverains de la zone euro, le seul marché dont la taille ne poserait généralement aucun problème. Les interventions sur ce marché sont de nature à envoyer un signal fort indiquant que la BCE s’engage à maintenir une politique monétaire accommodante pendant une longue période.
L’efficacité des interventions sur le marché des obligations souveraines – c’est-à-dire leur capacité à faire baisser encore les coûts d’emprunt des ménages et des entreprises – dépendra également de la situation du secteur bancaire. Des ratios de fonds propres plus élevés, une moindre exposition aux créances douteuses et des bilans plus transparents accroissent la probabilité que les impulsions quantitatives de la BCE se transmettront à l’ensemble de l’économie.
Pour cette raison, l’évaluation complète  des bilans des banques menée par la BCE et le démarrage de la supervision bancaire à l’échelle de l’Europe  contribueront à redynamiser une activité de prêt atone dans la zone euro. En particulier, une clarté et une transparence accrues des bilans des banques, conjuguées à un secteur bancaire mieux capitalisé, créeront un environnement plus propice au crédit.
Mais la décision d’acheter des obligations souveraines devrait prendre en compte les particularités institutionnelles de la zone euro, notamment les limites fixées par le traité sur l’Union européenne. Nous prenons ces limites très au sérieux.
Des défis et de nombreuses incertitudes nous attendent au cours de l’année qui vient. Mais un des enseignements que nous pouvons tirer de l’expérience passée est que, si notre capacité à remplir notre mandat est menacée, nous n’hésiterons pas à agir.
Peter Praet est le chef économiste de la Banque centrale européenne et membre de son directoire.
 
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