Finance islamique : ce que montrent les chiffres

Vendredi 15 Novembre 2013

Pour certains, les services financiers compatibles avec la charia offrent une solution prometteuse en vue d’améliorer l’inclusion financière des adultes de confession musulmane. Pour d’autres, ces services (qui évitent les prêts porteurs d’intérêts et s’efforcent de se conformer aux préceptes de l’Islam en matière de partage des profits et des pertes) ne s’attaquent pas aux causes profondes de l’exclusion financière.


Finance islamique : ce que montrent les chiffres
 Si un point fait l’unanimité cependant, c’est la pénurie de recherches empiriques permettant de mesurer l’utilisation de produits financiers conformes à la charia parmi les musulmans, leurs demandes pour ce type de services et leur éventuelle réticence à solliciter les systèmes financiers conventionnels. Faute de données et d’analyses, les décideurs et les grands acteurs privés en sont souvent réduits à des conjectures pour comprendre le rôle éventuel de la finance islamique au service de l’inclusion financière.
Soucieux d’apporter un surcroît de rigueur empirique aux débats actuels, Leora Klapper et Douglas Randall viennent de publier un document de travail et une note Findex sur la question (élaborés en collaboration avec Asli Demirguc-Kunt). Ces travaux s’appuient sur la base de données Global Findex pour étudier les différences d’utilisation des services financiers formels entre musulmans and non-musulmans et, grâce à une base de données distincte sur la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), pour se pencher sur l’utilisation des produits bancaires conformes à la charia et aux préférences en la matière.
La distinction entre l’identification religieuse et d’autres caractéristiques individuelles et nationales est malaisée. De nombreux participants aux discussions autour de la finance islamique préfèrent ignorer purement cette étape, se contentant de comparer le degré d’inclusion financière entre les pays à population majoritairement musulmane et les autres. Les auteurs ont voulu éviter cette erreur fréquente en examinant les différences entre musulmans et non musulmans au sein d’un même pays. Ils s’appuient sur des données Findex relatives à des pays où plus de 1 % de la population adulte se disent de confession musulmane. Grâce à leur échantillon de 64 pays (qui regroupent près de 75 % des musulmans adultes dans le monde), ils ont constaté que les musulmans sont sensiblement moins susceptibles que les non-musulmans à détenir un compte bancaire dans un établissement formel (les autres caractéristiques individuelles et nationales ayant été éliminées). Or, à peine 7 % des musulmans sans compte bancaire évoquent la religion parmi les obstacles à la détention d’un compte (un pourcentage identique pour les non-musulmans). Les musulmans ont plus de chances de citer le coût, l’éloignement et l’absence de documentation pour expliquer qu’ils n’ont pas de comptes bancaires. Ce qui peut laisser penser que les contraintes sont liées à l’offre, du fait éventuellement d’une discrimination ou de la rareté relative des services financiers dans les régions majoritairement musulmanes – même si les auteurs ne peuvent pas vérifier explicitement cette hypothèse.
À l’inverse, ils ne trouvent aucune différence significative entre musulmans et non-musulmans pour les emprunts dans des établissements formels. Ce résultat donne à réfléchir, étant donné que la priorité de la finance islamique pour le financement d’actifs semble suggérer une demande plus forte de produits conformes à la charia dans ce domaine. Bien entendu, l’absence d’écarts de comportements d’emprunt peut s’expliquer par la multitude de produits existants et leur banalisation mais, étant donné la taille relativement réduite du secteur de la finance islamique, il semble plus plausible que la grande majorité des musulmans financièrement inclus utilisent des produits et des services bancaires conventionnels. Les conclusions de ce travail invitent aussi à s’interroger sur la différence éventuelle entre musulmans et non-musulmans au niveau de la détention d’un compte formel mais pas des produits formels de crédit, qui serait liée à une divergence des « urgences des besoins » en termes d’épargne et de paiements par opposition à l’emprunt. Les différentes attitudes des musulmans vis-à-vis des produits conventionnels – et l’usage qu’ils font des produits porteurs d’intérêts – en fonction de la nécessité financière mériteraient certainement d’être étudiés plus avant.
En extrapolant à cinq pays MENA (Algérie, Égypte, Maroc, Tunisie et Yémen), les auteurs constatent une très faible utilisation des services bancaires islamiques, un résultat cohérent avec les données sur l’offre. Et si une majorité des personnes interrogées affichent bien une préférence pour les services bancaires islamiques, malgré des coûts sensiblement supérieurs, une part quasi équivalente d’adultes préfèrent souscrire un emprunt conventionnel moins cher ou n’ont pas de préférence. Tout cela confirme la coexistence probable d’une demande pour des services bancaires conventionnels et islamiques et le rôle du prix dans la préférence pour les produits conformes à la charia.
Le rôle des services financiers conformes à la charia dans l’amélioration de l’inclusion financière continuera, on le voit, à susciter des débats animés. En collectant et en analysant des données, les chercheurs doivent impérativement commencer à jouer un rôle plus actif dans ces discussions.
Leora Klapper en collaboration avec Simon Bell et Asli Demirguc-Kunt
Finances & Banques


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