Aucune confiance dans la Fed

Mardi 2 Mai 2023

Les répercussions de la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB), dont on pourrait croire qu’elles commencent à s’atténuer se font encore sentir partout dans le monde. Si les représentants de la Réserve fédérale n’ont pas ménagé leur peine pour garantir au public que le système bancaire américain était solide, il est rien moins certain qu’on doive ou puisse les croire. Le président de la Fed, Jerome Powell, tenait exactement les mêmes discours dans les jours qui ont précédé l’effondrement de SVB, en mars.


Dans les semaines qui ont suivi, on a rapporté que les stress tests, pour lesquels on n’avait pas assez d’éloges, institués par les réformes financières issues de la loi Dodd-Frank de 2010, n’avaient pas prévu la chute de la valeur des obligations d’État  induite par les hausses agressives des taux d’intérêt décidées par la Fed. Une récente étude, menée par Erica Jiang et ses coauteurs, indique qu’après les hausses de taux décidées par la Fed, « la réévaluation au cours du jour des actifs bancaires a enregistré une baisse moyenne de 10 % toutes banques confondues », « marquant même une chute de 20 % dans les cinq centiles inférieurs ».

Si le président des États-Unis, Joe Biden, a effectivement promis que les responsables de la faillite de SVB devront rendre des comptes, c’est encore un propos qui devrait être accueilli avec quelque scepticisme. L’administration Obama, dont Biden fut le vice-président, n’a jamais demandé de tels comptes aux banquiers responsables de la crise financière de 2008.

Il appert que les régulateurs – y compris la Fed – ont échoué à maintenir en bonne santé le système bancaire. Les banques reposent sur la confiance : les déposants ne doivent avoir aucun doute sur la possibilité de retirer à leur convenance les sommes confiées. Il en a toujours été ainsi. Mais ce qui a changé, c’est la facilité avec laquelle on peut désormais retirer des milliards en ligne en une nanoseconde.

Le moindre soupçon qu’ils ne pourront récupérer leur argent suffit désormais à des acteurs rationnels pour retirer de leur banque les fonds non couverts par l’assurance fédérale, et même ceux qui le sont, s’ils perçoivent le moindre risque de retard. Il en résulte que lorsqu’une banque fait faillite, les gens qui continuent à y conserver des fonds sont soit des clients distraits soit, et c’est un cas assez répandu dans la clientèle âgée, ceux qui n’utilisent pas les services bancaires en ligne.

Le statu quo actuel, qui voudrait que tous les déposants soient suffisamment informés et recourent aux services d’intermédiaires associés aux arbitrages réglementaires, capables de garantir que leurs dépôts sont couverts par l’assurance fédérale, ou bien sont prêts, le cas échéant, à retirer leur fonds au-dessus du montant assuré, ce statu quo ne saurait en aucun cas prétendre à la direction du système bancaire. S’ils veulent vraiment stabiliser le secteur, les décideurs politiques doivent instituer des dépôts d’assurance couvrant le plus large spectre possible de risques, effectués par les déposants, calculés en fonction des profits dérivés et des risques systémiques posés. Faute de quoi le système bancaire demeurera fragile.
Powell, qui est à la tête de l’agence publique responsable de la supervision de SVB porte la responsabilité des carences réglementaires qui ont précipité sa faillite. À la différence de l’énorme fraude aux crédits hypothécaires qui déclencha la crise financière de 2008 (dont l’étendue ne parvint à l’évidence que des années plus tard, après nombre de procès et d’actions en justice), les prêts consentis par SVB semblaient sains.

Certes, même des prêts de bonne qualité peuvent mal tourner dans un contexte de récession avancée, et les doutes s’installent inévitablement lorsque de si grosses sommes sont mobilisées sur des comptes non garantis à des taux si faibles. Mais les difficultés rencontrées par SVB ont été plus prosaïques, et tout régulateur bancaire digne de ce nom aurait dû intervenir, surtout si ce régulateur était celui qui était à l’origine du risque.

Toutes les banques recourent à des réévaluations de maturité, qui transforment des dépôts à courts termes en investissements à long terme. Alors que c’est une procédure indubitablement risquée, les banques cèdent souvent à la tentation de jouer ainsi l’argent de leurs déposants dès lors que le risque à la baisse est couvert, directement ou indirectement, par le contribuable. C’est exactement ce qu’a fait SVB : la banque a investi certains des dépôts de ses clients dans des titres à long terme réputés sûrs, en pariant que les taux d’intérêt à long terme n’augmenteraient pas. Les régulateurs ne devraient pas permettre ce type de pratiques, et devraient en faire, lorsqu’il s’avère qu’on y recourt, un volet central des stress tests.

Mais la Fed n’a pas eu ces scrupules, et en négligeant les conséquences des hausses des taux d’intérêt dans la fragilisation du secteur financier, elle a nui à l’efficacité de ses propres stress tests. Outre ces erreurs de supervision, la faillite de SVB fut précédée de carences réglementaires, puisque la Fed, sous la responsabilité de Jerome Powell, a décidé d’assouplir les contraintes réglementaires pesant sur des banques comme SVB, dont la taille est considérée comme régionale et qui n’apparaissent pas d’importance systémique.

La plupart des gens n’ont ni les capacités, ni les ressources ou l’accès à l’information qui leur permettraient d’évaluer la solidité d’une banque. Ces évaluations forment assurément un bien public d’importance et, en tant que telles, tombent sous la responsabilité du gouvernement. Dès lors qu’une banque accepte de l’argent public, la collectivité doit être assurée qu’elle pourra la rembourser. À ce titre, le gouvernement des États-Unis, et plus particulièrement la Fed, a échoué.

Comme d’autres banques centrales indépendantes, la Fed tient jalousement à sa crédibilité. C’est par crainte de la perdre, a-t-on dit, qu’elle a décidé, l’an dernier, de relever ses taux d’intérêt, une initiative qui est allé bien au-delà de la normalisation des taux ultra-bas qui avaient marqué la période ayant suivi la crise de 2008. Mais en refusant de reconnaître les risques posés par ses brusques hausses de taux, et combien ces risques étaient encore exacerbés par plus d’une décennie de taux d’intérêt proches de zéro, la Fed a sapé sa propre crédibilité – précisément ce qu’elle cherchait à éviter.

Pire encore, les hausses des taux traduisent l’erreur de diagnostic de la Fed quant aux causes de l’inflation, très largement déterminée par les chocs sur l’offre et l’évolution de la demande liés à la pandémie de Covid-19 et à la guerre d’Ukraine. En outre, si elle ne provoque pas un ralentissement économique brutal, la hausse des taux d’intérêt pourrait fort bien accentuer l’inflation. L’augmentation des loyers, qui provient d’une raréfaction du logement, exacerbée par la hausse des taux d’intérêt, est un facteur majeur de l’accroissement de l’indice des prix à la consommation. Dans le même temps, la stratégie de désinflation mise en œuvre par la Fed pourrait faire franchir au chômage des jeunes Africains-Américains la barre des 20 %, ce qui laisserait dans un pays déjà profondément marqué par les inégalités, des cicatrices durables.

Comme on peut le voir, la Fed et son président ont perdu leur crédibilité sur tous les fronts. La crise actuelle rend patent l’échec de la Fed à résoudre les problèmes de gouvernance qui contribuèrent à la crise de 2008. Que Greg Becker, le président de SVB siège au conseil  de la Fed régionale, censée superviser sa banque, en dit long.
Reste à voir si la tempête financière déclenchée par la faille de SVB, qui couve encore, déclenchera ou non une crise plus profonde, mais ni les investisseurs ni les déposants n’ont de raison de porter crédit aux assurances de la Fed, qui prétend qu’une telle évolution ne surviendra pas. Seules de véritables réformes de la couverture des dépôts, de la gouvernance, des structures de régulation et de la supervision peuvent rétablir la confiance dans les banques et dans la crédibilité de la Fed.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie, est professeur des universités à l’université Columbia et membre de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT).
© Project Syndicate 1995–2023
 
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