Une meilleure politique économique pour le Japon

Lundi 19 Septembre 2016

Il y a 25 ans au Japon, l'éclatement de la bulle des actifs a été suivi de 25 ans de malaise économique, une "décennie perdue" suivant l'autre. Certaines critiques visant la politique économique nippone ne sont cependant pas justifiées. La croissance n'est pas un objectif en soi - c'est la qualité et le niveau de vie qui devraient nous préoccuper. Le Japon a été l'un des premiers pays à juguler sa croissance démographique et sa productivité est à la hausse. La croissance de la production par personne active, notamment depuis 2008, dépasse celle des USA et elle est bien plus élevée qu'en Europe.


Les Japonais estiment néanmoins qu'ils peuvent faire mieux, et je partage leur point de vue. Le Japon a des problèmes à la fois en terme d'offre et de demande, tant dans l'économie réelle que dans la finance. Pour y répondre, il faut une autre politique que celle adoptée récemment qui n'atteint pas sa cible en matière d'inflation et ne parvient ni à restaurer la confiance ni à stimuler suffisamment la croissance.
Tout d'abord, une taxe sur les émissions de carbone dans le cadre d'une "finance verte" pourrait générer d'énormes investissements destinés à moderniser l'économie. Cette stimulation pourrait compenser les conséquences du retrait de l'argent du systéme et celles du "contre-effet de richesse" lié à la diminution de valeur des "actifs carbonés". Ce contre-effet devrait être de faible ampleur ; et le stock de capital étant largement indépendant du nouveau systéme de prix, il sera possible d'investir des sommes considérables - à moins que la stimulation attendue ne prenne plus de temps que prévu.
Dans ce cas, l'argent généré par la taxe carbone pourrait servir à réduire la dette publique ; sinon il pourrait être investi dans la technologie et l'éducation, notamment pour améliorer la productivité du secteur des services du Japon et accroître ainsi l'offre. Ces dépenses pourraient aussi stimuler l'économie japonaise et arrêter la déflation.
A l'extérieur du Japon on s'inquiète beaucoup de sa dette, pourtant facile à rembourser compte tenu de la faiblesse des taux d'intérêt actuels. Il est vrai que ce ne serait plus le cas si ces taux remontaient sensiblement. Même s'il ne faut probablement pas s'attendre à une hausse prochaine, le Japon pourrait mettre en œuvre deux mesures destinées à mettre fin à la crainte qu'elle suscite.
Le Japon pourrait échanger une partie de sa dette contres des "perpétuités", des obligations qui ne sont pas destinées à être amorties mais rapportent des intérêts (peu élevés) chaque année. Ainsi ce ne sont plus les finances publiques qui assumeraient le risque. Cela pourrait attiser l'inflation, mais vu l'état de l'économie japonaise, c'est exactement ce dont elle a besoin. La crainte d'une hausse brusque des taux d'intérêt me parait injustifiée, mais à titre de précaution le gouvernement pourrait échanger par exemple 5% de sa dette chaque année, jusqu'à l'apparition d'une pression inflationniste excessive.
Une autre solution consisterait pour le gouvernement à échanger la dette contre de l'argent qui n'est pas porteur d'intérêt - c'est la monétisation de la dette publique  (qui de longue date soulève des inquiétudes). Si le financement monétaire risque de relancer l'inflation plus facilement que l'échange de la dette contre des "perpétuités", ce n'est pas une raison pour s'y opposer, mais pour procéder plus lentement. 
La deuxième chose que le Japon pourrait faire pour se protéger contre une hausse des taux d'intérêt serait de réaliser qu'une grande part de la dette correspond à des sommes dont l'Etat est redevable à lui-même. Il semble qu'à Wall Street on ait de la difficulté à comprendre que c'est la dette nette qui importe (ce que l'Etat doit au reste de la société). Si l'Etat se reverse l'argent qu'il se doit, personne ne remarquera la différence, sauf ceux qui à Wall Street, l'œil collé sur le taux global dette/PIB, pousseraient soudain un soupir de soulagement en considérant le Japon.
Si après tout cela la demande reste insuffisante, l'Etat pourrait réduire la TVA, augmenter les crédits d'impôt en faveur de l'investissement, étendre les programmes destinés à soutenir les ménages à revenus faibles et moyens ou investir davantage dans la technologie et l'éducation et financer ces mesures en émettant de la monnaie. A nouveau, à s'en tenir aux anciens préceptes économiques, il y a de quoi s'inquiéter quant à l'inflation ; mais le Japon aimerait qu'il y ait des raisons de s'inquiéter.
Le Japon n'a pas seulement un problème de demande. Ainsi que le montrent les données sur la production horaire, il souffre également d'un problème d'offre, problème manifeste dans le secteur des services où n'apparaît guère l'ingéniosité impressionnante que l'on rencontre ailleurs. Or le Japon pourrait conduire le progrès technologique dans le secteur des services - par exemple en développant des instruments de diagnostic médical.
Néanmoins, le Premier ministre Shinzo Abe  a choisi une voie très différente en soutenant le Partenariat transpacifique, un accord commercial entre les USA et 10 autres pays de la région Pacifique. Il croit que ce Partenariat permettra de réformer l'agriculture nippone (bien que curieusement, personne aux USA n'imagine que ce traité poussera les USA à abandonner leur politique agricole qui fausse la concurrence). Mais du simple fait que l'agriculture ne représente qu'une faible part de la production du Japon, ces réformes n'auraient qu'un impact minime sur le PIB. Elles sont cependant souhaitables et constituent un domaine dans lequel les jeunes Japonais pourraient déployer leur talent (pas nécessairement dans le cadre du Partenariat transpacifique).
Par contre on peut porter au crédit d'Abe sa politique visant à améliorer l'intégration et l'égalité des femmes dans le monde du travail. S'il réussit, cela contribuera à améliorer la productivité et la croissance.
Même après 25 ans de stagnation, le Japon reste la troisième économie mondiale. Une politique qui favorise l'amélioration du niveau de vie dans ce pays stimulera la demande et la croissance ailleurs dans le monde. De même qu'il a exporté dans le monde ses produits innovants et ses avancées technologiques, il pourrait exporter vers d'autres pays avancés ses réussites politiques en matière de niveau de vie.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz est professeur à l'université de Columbia à New-York et économiste en chef à l'Institut Roosevelt. Son dernier livre s'intitule The Euro: How a Common Currency Threatens the Future of Europe  [L'euro : comment la monnaie commune menace l'avenir de l'Europe].
 
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