Ralentissement de la croissance des taux d'intérêt américains

Jeudi 26 Mars 2015

LONDRES – Comme le veut la coutume, la nouvelle déclaration de principe de la Réserve fédérale américaine sera analysée dans ses moindres détails dans les jours à venir : les investisseurs y cherchent en effet des indices sur le moment et la vitesse d'une augmentation des taux d'intérêt. Fait remarquable, le mot « patient » n'apparaît pas et la Fed a signalé être à même de relever son taux directeur dès le mois de juin. Mais le texte de cette déclaration est loin d'être aussi évocateur que le contexte qui entoure sa publication.


Alexander Friedman est le directeur général du GAM.
Alexander Friedman est le directeur général du GAM.
En fait, l'incertitude au sujet de la politique monétaire des États-Unis a été cette année le premier facteur d'instabilité des marchés financiers. Après tout, l'incidence potentielle des hausses de taux d'intérêt sur la courbe des taux américains a un impact majeur sur le prix de tous les actifs mondiaux.
Mais trois facteurs suggèrent que les investisseurs surévaluent le risque d'une révision des tarifs de cette courbe. Tout d'abord, les développements économiques vont probablement conduire la Fed à se montrer prudente en matière d'augmentation des taux d'intérêt. Ensuite, même si la Fed agit rapidement, l'appétit des investisseurs pour les bénéfices va fixer les rendements. Enfin, les caractéristiques techniques du marché vont garantir une forte demande en bons du Trésor américain.
Commençons donc par les développements économiques pertinents. Aujourd'hui, la doctrine commune est que l'économie américaine est en progression régulière, que ses indicateurs affichent une tendance de plus forte expansion et que les chiffres du marché du travail sont supérieurs aux prévisions. La création d'emplois connaît une forte croissance, avec un taux d'emploi de la masse salariale non agricole en hausse de 295 000 postes en février et un taux de chômage encore en baisse à seulement 5,5%.
Mais certains indicateurs inquiètent toujours la Fed. Le déflateur des dépenses de consommation  reste bien inférieur à l'objectif de 2%. L'indice de base des prix, qui sera publié la semaine prochaine, devrait afficher une augmentation de seulement 1,7% en glissement annuel, voire moins si le prix inférieur du pétrole se répercute depuis l'indice des prix à la consommation global sur l'indice des prix à la consommation sous-jacent. Et la croissance des salaires réels  se situe à moins de 2%, ce qui est inférieur au niveau jugé nécessaire par la Fed pour soutenir une accélération durable des dépenses de consommation.
Non seulement les prévisions d'inflation sont déjà modestes (caractérisées par un point mort d'inflation de 1,9%), mais le dollar connaît une hausse  d'environ 10% cette année et de près de 25% depuis le début de l'année dernière. Compte tenu de l'impact déflationniste d'une monnaie plus forte (et de l'intolérance générale de la Fed à l'encontre de la déflation), il y a des bonnes raisons de croire que la Fed va faire preuve de prudence au moment de relever les taux d'intérêt.
Même si la Fed ne tient pas compte des pressions déflationnistes et fait augmenter plus rapidement les taux d'intérêt, les taux à moyen et à long terme sont toujours susceptibles d'être fixés, étant donné le peu de rendement disponibles ailleurs dans le monde. Les rendements sur les obligations allemandes sont maintenant négatifs depuis huit ans de suite. Dans les économies périphériques de l'Europe, les rendements sur dix ans ont tendance à se rapprocher de 1%, alors que la Banque Centrale Européenne poursuit un programme d'assouplissement quantitatif de 1,1 milliard d'euros (1,3 milliard de dollars). Et au Japon, les rendements sur dix ans sont inférieurs à 0,4%.
Les prêts en faveur des économies émergentes ne sont guère attrayants non plus, car même les économies les plus risquées proposent de faibles rendements sur leurs devises fortes. En effet, même la Russie (dont l'intervention militaire en Ukraine a conduit l'Occident à imposer des sanctions économiques sévères), propose un rendement annuel de moins de 6% sur ses obligations sur dix ans.
Compte tenu de ces faibles rendements dans la plupart des pays du monde, les investisseurs seront impatients de profiter de l'opportunité de valeur relative offerte par la hausse des taux d'intérêt américains. Ajoutez à cela le statut de statut de havre de paix de l'Amérique et le fait que toute révision des tarifs va sûrement refléter une reprise économique, et l'offre en bons du Trésor américain devrait être exceptionnellement forte. Dans ce contexte, les taux d'intérêt risquent d'être plafonnés, atténuant de la sorte le risque d'une liquidation turbulente sur les marchés obligataires.
Reste une dernière raison technique pour laquelle les taux d'intérêt ne risquent pas d'augmenter excessivement : des années d'achats de la Banque Centrale et un déficit budgétaire américain qui diminue ont transformé les bons du Trésor américain en une denrée rare. En effet, l'activité connue sous le nom de « repo » (c'est-à-dire la vente d'une obligation du Trésor américain que le vendeur s'engage à acheter plus tard à un prix légèrement supérieur), a diminué considérablement : le solde de ces opérations a baissé de 5 milliards de dollars avant la crise à 2,5 milliards de dollars aujourd'hui. Les taux américains sur les « repos » de deux et cinq ans ont été poussés périodiquement en territoire négatif, en raison des effets combinés du comportement de l'aversion au risque, d'un désendettement des investisseurs et d'une réglementation bancaire plus stricte.
Bien que la politique monétaire américaine exerce sans aucun doute une influence significative sur les marchés mondiaux, les craintes relatives à la direction des taux d'intérêt américains pourraient être exagérées. Bien que la Fed risque de ne plus faire montre de patience bien longtemps, le contexte financier actuel implique que les investisseurs ne doivent pas pour l'instant anticiper une hausse majeure.
Alexander Friedman est le directeur général du GAM.
 
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