Prêts pour une hausse des taux américains ?

Lundi 28 Septembre 2015

La possibilité que la Réserve fédérale américaine augmente ses taux d'intérêt pour la première fois en une décennie a rendu les marchés émergents particulièrement nerveux depuis quelques semaines. Bien que la Fed ait à présent décidé de ne pas modifier son taux directeur, elle a également déclaré qu'une hausse des taux est toujours à l'ordre du jour pour 2015. Le problème est que les pays qui dépendent des financements étrangers risquent d'être touchés par les sorties soudaines de capitaux internationaux. Il s'ensuit également qu'une dévaluation des devises suite à la hausse de la Fed risque de faire augmenter les coûts du service de la dette pour les pays et les entreprises.


Les gouvernements des pays en voie de développement seraient bien inspirés de moins se soucier des variations des taux d'intérêt aux États-Unis (sur lesquels dans tous les cas ils n'ont aucun contrôle) et de penser davantage aux changements de politique qu'ils peuvent effectuer chez eux pour renforcer la résilience de leur économie.
Une augmentation des taux d'intérêt américains n'est pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour les pays émergents. De nombreux pays en développement, notamment en Asie, sont en bien meilleure forme macroéconomique que juste avant la crise financière asiatique de la fin des années 1990 ou au début de la crise financière mondiale de 2008.
Et la Fed est susceptible d'augmenter les taux seulement si elle juge que la croissance économique des États-Unis va être forte et durable, ce qui serait un signe positif pour l'économie mondiale en général. En outre, un retard dans l'augmentation des taux comporte ses propres dangers, ce qui encourage les investisseurs avides de rendement à prendre des risques plus grands, d'où un besoin éventuel de variation plus nette ou plus brusque des taux d'intérêt à l'avenir.
Les pays émergents peuvent améliorer leur résilience face aux fluctuations des taux d'intérêts mondiaux en poursuivant des politiques budgétaires et monétaires saines, en maintenant les réformes structurelles nécessaires et en renforçant leurs systèmes financiers. En particulier, des recherches récentes suggèrent quatre principaux domaines d'action sur lesquels les gouvernements pourraient envisager d'intervenir.
Premièrement, les pays doivent adopter des politiques qui favorisent les investissements étrangers directs (IED) sur les entrées qui peuvent être retirées plus rapidement, comme les prêts bancaires à l'étranger, la dette ou les placements en actions. Mes recherches, en collaboration avec Hui Tong du Fonds Monétaire International, ont montré  que les pays dont les entrées de capitaux se font principalement sous la forme d'IDE ont tendance à être plus résistantes face aux chocs financiers étrangers. Lorsque la crise financière mondiale a éclaté, les pays à IDE relativement élevés par rapport aux flux de capitaux totaux ont eu tendance à connaître une crise de liquidité moins sévère.
Deuxièmement, les taux de change doivent refléter les fondamentaux économiques. Mais alors que la théorie suggère que les taux de change flexibles doivent atténuer en principe les chocs monétaires ou financiers étrangers, dans la pratique un tel régime de change fonctionne rarement tout seul.
En effet, mes recherches avec Xuehui Han de la Banque asiatique de développement montrent  que lorsque les États-Unis augmentent ou réduisent leurs taux d'intérêt, la plupart des pays en développement ont tendance à leur emboîter le pas, même quand ils ont un taux de change flexible. La principale raison est qu'ils veulent éviter de grandes fluctuations dans la valeur de leur monnaie. La revalorisation peut nuire à la compétitivité, alors que la dévaluation augmente le coût du service de la dette en devises, érode la confiance du marché et conduit à une plus forte inflation.
Les exceptions notables à cette tendance sont les pays qui gèrent les flux de capitaux transfrontaliers, en particulier l'exposition du secteur des entreprises à la dette en devises. En effet, on a prouvé que certains types de gestion des flux de capitaux augmentaient la résilience (notamment la limitation de la dette intérieure libellée en devises pour les entreprises et les ménages).
Troisièmement, les politiques macroprudentielles et microprudentielles nationales augmentent la résilience. Ces politiques devraient viser à réduire ou à éliminer l'écart entre les activités qui sont bonnes pour les particuliers, les banques et les entreprises, et celles qui profitent à la société dans son ensemble.
Un exemple d'une telle politique consiste à relier les taux de réserves obligatoires des banques, sur la vitesse à laquelle le crédit est en expansion ou dans la même phase que le cycle économique. Ainsi, pendant les périodes d'expansion, lorsque les banques désirent financer les emprunteurs plus risqués, le taux de réserves augmente, ce qui permet de modérer les phénomènes potentiellement perturbateurs des bulles d'actifs ou du surinvestissement. Pour les pays capables de concevoir et de mettre en œuvre la réglementation prudentielle, la gestion des flux de capitaux transfrontaliers devient moins utile et moins souhaitable.
Enfin, il n'est plus pertinent de juger si les réserves en devises d'un pays sont suffisantes en fonction du nombre de mois d'importations qu'elles peuvent couvrir. Au lieu de cela, la question à se poser est de savoir si les réserves peuvent confortablement honorer le service de la dette des secteurs publics et privés, libellé en devises étrangères.
Tôt ou tard en fonction de leurs besoins, les États-Unis vont normaliser leur politique de taux d'intérêt. Pour les autres pays, il est important de se concentrer sur les politiques capables de renforcer la résilience face aux chocs budgétaires ou monétaires étrangers.
Shang-Jin Wei, économiste en chef à la Banque asiatique de développement, dirige le Département de recherche économique et de coopération régionale.
© Project Syndicate 1995–2015
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