Le mondialisme mal inspiré du G20

Lundi 10 Juillet 2017

Le sommet annuel du G20 à Hambourg est sans doute l'un des plus intéressants de ces dernières années. Cela tient notamment à la présence pour la première fois du président Trump qui traite le multilatéralisme et la coopération internationale avec un dédain marqué.


Le mondialisme mal inspiré du G20
Il participe au sommet de Hambourg après s'être désengagé de la promesse faite lors du sommet de l'année dernière d'adhérer "le plus rapidement possible" à l'accord de Paris sur le climat. Et il ne fera guère preuve d'enthousiasme à l'égard des exhortations traditionnelles formulées lors de ces réunions à renoncer au protectionnisme et à intensifier l'aide aux réfugiés.
Par ailleurs le sommet de Hambourg vient à la suite de deux sommets annuels du G20 qui se sont tenus dans des pays autoritaires (la Turquie en 2015 et la Chine en 2016) où il était possible d'étouffer toute contestation. Le sommet de cette année est l'occasion de manifestations tapageuses dirigées non seulement contre Trump, mais aussi contre le président turc Erdogan et le président russe Poutine.
Le G20 s'est construit à partir de deux idées fondamentales ; l'une est réaliste, l'autre induit en erreur. La première est que les pays en développement et les pays émergents tels que le Brésil, l'Inde, l'Indonésie, l'Afrique du Sud ou la Chine sont trop importants pour être exclus des discussions sur la gouvernance mondiale. Alors que le G7 existe toujours (son dernier sommet a eu lieu en Sicile en mai dernier), les réunions du G20 sont l'occasion d'élargir le dialogue.
Le G20 a été créé en 1999 dans le sillage de la crise financière asiatique. En ses débuts, les pays développés l'ont considéré comme un forum destiné à aider les pays en développement à amener leur gestion financière et monétaire au niveau de celui du monde développé. Mais la crise financière mondiale de 2008 déclenchée aux USA et la débâcle de la zone euro qui a suivi ont infligé un cruel démenti à l'idée selon laquelle les pays développés leurs seraient supérieurs sur ce terrain. Quoi qu'il en soit, les pays en développement ont élaboré peu à peu leur propre stratégie et pris un rôle plus actif dans le fonctionnement du groupe.
Seconde idée, moins pertinente, qui est aussi à l'origine du G20 : la résolution des problèmes urgents que pose l'économie mondiale passe par l'intensification de la coopération et de la coordination internationale. Cette idée repose sur le présupposé que chaque pays doit contribuer à l'économie mondiale, sinon tous vont en subir les conséquences.
Cette idée s'applique parfaitement dans certains domaines. Pour prendre un exemple crucial, le réchauffement climatique appelle une réponse collective. Ainsi sans action collective, chaque pays laissé à lui-même aurait tendance ne guère diminuer ses émissions de dioxyde de carbone et à s'en remettre aux autres pour cela.
Autre exemple, la lutte contre les maladies infectieuses qui se jouent des frontières exige que tous les pays participent à une action collective en ce qui concerne les dispositifs de prévention, d'alerte et de surveillance. Or un pays donné n'est guère motivé pour contribuer aux investissements nécessaires, comptant sur la participation des autres pays.
Partant de là, il est facile de considérer de la même manière les questions économiques fondamentales : la stabilité financière, la gestion macroéconomique, la politique commerciale et les réformes structurelles. Mais cette logique s'applique mal à ces questions.
Examinons la question que tous les dirigeants du G20 ont sans doute présente à l'esprit à Hambourg (sauf Trump de toute évidence) : la menace que présente la montée du protectionnisme. L'organisation Global Trade Alert (GTA) indique  que le G20 n'a pas tenu ses engagements en la matière. Jusqu'à présent Trump s'est fait davantage remarqué par ses diatribes que par ses actes dans ce domaine. Néanmoins GTA souligne que les nombreuses mesures protectionnistes des autres pays qui font obstacle aux exportations des USA pourraient servir de prétexte au président américain pour renforcer celles de son pays.
Cet échec du libre-échange n'est cependant pas réellement un échec de la coopération internationale, ni même la conséquence d'une conscience collective insuffisante. C'est surtout un échec de politique intérieure.
Lorsque les économistes expliquent le principe des avantages comparatifs et de l'intérêt des échanges commerciaux, ils montrent en quoi le libre-échange augmente globalement la richesse des participants. Un pays ne commerce pas dans l'intérêt de ses partenaires, mais pour améliorer la situation de ses propres citoyens. Réagir aux mesures protectionnistes que prennent d'autres pays en faisant de même revient à se tirer une balle dans le pied.
Il est vrai qu'un grand nombre d'Américains n'ont pas tiré avantage des accords commerciaux signés par leur pays ; nombre de travailleurs et de régions ont souffert. Or ce ne sont pas les pays étrangers qui ont imposé aux USA des accords déséquilibrés et mal conçus, mais les milieux financiers et les milieux d'affaires américains - ceux qui soutiennent Trump. L'absence de compensation pour les perdants n'est pas la conséquence d'un défaut de coopération internationale, mais un choix délibéré de politique intérieure.
Il en est de même en ce qui concerne la réglementation financière, la stabilité macroéconomique ou les réformes structurelles en faveur de la croissance. Quand un pays fait fausse route dans ces domaines, les conséquences font tache d'huile hors de ses frontières ; mais ce sont ses propres citoyens qui en payent le plus grand prix. Les exhortations du G20 ne résoudront pas ces problèmes. Pour éviter un protectionnisme mal inspiré ou pour améliorer la gestion de l'économie, il faut d'abord mettre de l'ordre chez soi.
Pire encore, le mondialisme primaire qui baigne les sommets du G20 nourrit le populisme. Il fournit une justification à Trump et à ceux qui lui ressemblent pour détourner l'attention de leurs choix politiques et s'en prendre à d'autres : "C'est parce que les autres pays ne respectent pas les règles et profitent de nous que la population souffre". Le mondialisme comme solution est alors transformé en mondialisme comme bouc émissaire.
Au vu de nos problèmes intérieurs, plutôt que de pointer du doigt nos partenaires commerciaux, examinons nos propres choix politiques.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Dani Rodrik est professeur d'économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l'université de Harvard. Il a écrit un livre intitulé Economics Rules: The Rights and Wrongs of the Dismal Science.
© Project Syndicate 1995–2017
 
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