Le Partenariat transpacifique contre le libre-échange

Lundi 12 Octobre 2015

Négociateurs et ministres des USA et de 11 autres pays riverains du Pacifique sont réunis à Atlanta pour finaliser les détails du nouveau Partenariat transpacifique (TPP), un traité de grande envergure. Mais il faut y regarder de plus près, car derrière les apparences, le plus grand accord régional de l'Histoire portant sur le commerce et l'investissement n'est pas ce qu'il parait.


On entend beaucoup parler de l'importance du TPP pour le "libre-échange". En fait il s'agit d'un accord destiné à gérer les relations commerciales et les investissements entre pays signataires, au bénéfice des lobbies d'affaires les plus puissants de chacun d'entre eux. Ne nous trompons pas : à considérer les questions de fond sur lesquelles les négociateurs continuent à se quereller, il est évident que le TPP ne concerne pas le "libre" échange.
La Nouvelle Zélande a menacé de se retirer de l'accord en raison de la manière dont le Canada et les USA organisent le commerce de la production laitière. L'Australie n'est pas satisfaite de la manière dont les USA et le Mexique organisent le commerce du sucre. Et les USA ne sont pas satisfaits de la manière dont le Japon organise celui du riz. Les secteurs correspondants disposent du soutien d'une partie non négligeable de l'électorat dans leurs pays respectifs. Tout cela ne représente que la partie émergée de l'iceberg et traduit le fait qu'en réalité le TPP s'oppose au libre échange.
Nous avons eu connaissance du texte en négociation grâce à des fuites. Il vise par exemple à renforcer le droit de propriété intellectuelle des grandes firmes pharmaceutiques. Or les travaux en économie  montrent que le renforcement du droit de propriété intellectuelle ne favorise pas la recherche. On a même la preuve du contraire : la décision de la Cour suprême selon laquelle que le gène BRCA ne peut pas faire l'objet d'un brevet a suscité un jaillissement d'innovation, ce qui a abouti à de meilleurs tests à meilleur marché. Certaines dispositions du TPP freineront la concurrence et conduiront à une hausse des prix - le contraire du libre-échange.
Le TPP veut organiser le commerce du médicament en faveur de l'industrie pharmaceutique.  Il comporte un ensemble de changements de règles plus ou moins mystérieux qui devraient s'appliquer à des questions telles que le "lien avec un brevet" (patent linkage), "l'exclusivité des données" et les "médicaments biologiques". Les laboratoires pharmaceutiques seront autorisés à conserver (parfois presque indéfiniment) leur monopole sur les médicaments brevetés, à maintenir pendant des années hors du marché les médicaments biosimilaires [copie d'un médicament biologique] et les génériques moins chers de leurs concurrents. C'est ainsi que se passeront les choses si les USA obtiennent ce qu'ils veulent.
Examinons la manière dont les USA voudraient se servir du TPP pour soutenir l'industrie du tabac. Depuis des décennies, les fabricants de cigarettes américains utilisent les mécanismes d'arbitrage créés par les accords comme le TPP pour affaiblir la réglementation destinée à combattre le fléau que représente le tabac pour la santé publique. Dans le cadre d'un mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs (ISDS, investor-state dispute settlement), ces derniers peuvent poursuivre un Etat étranger  devant une cour arbitrale privée pour demander à être indemnisées pour toute baisse de leurs bénéfices attendus liée à un changement de réglementation.
Les multinationales prétendent qu'il faut un ISDS pour protéger le droit de propriété en l'absence d'un état de droit et d'un système judiciaire efficace. Mais cet argument n'est pas crédible, car les USA cherchent à établir un ISDS avec l’Union européenne, alors qu'indéniablement elle protége le droit de propriété. Cet ISDS s'inscrirait dans le cadre d'un accord de très grande envergure, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement.
Il est vrai que les investisseurs, d'où qu'ils soient, doivent être protégés contre l'expropriation et les réglementations discriminatoires. Mais l'ISDS envisagé va beaucoup plus loin : il inclut l'obligation de dédommager les investisseurs pour toute baisse des bénéfices attendus, même lorsque la réglementation n'est en rien discriminatoire et que les bénéfices résultent d'une atteinte à l'intérêt général.
Ce type de disposition a déjà été appliqué. L'entreprise qui était connue sous le nom de Philip Morris poursuit actuellement l'Australie et l'Uruguay (qui n'est pas partie au TPP) parce que leur législation exige la présence d'un avertissement relatif aux dangers du tabac sur les paquets de cigarettes. Pour éviter ce genre de procès, le Canada a renoncé il y a quelques années à introduire cette obligation.
Etant donné le voile de secret qui entoure les négociations du TPP, on ne sait pas si le secteur du tabac sera exclu du champ d'application d'un l'ISDS. Quoi qu'il en soit, il y a là un problème fondamental, car certaines dispositions du TPP empêchent les Etats de remplir efficacement leurs obligations fondamentales : protéger la santé et assurer la sécurité de leurs citoyens, veiller à la stabilité économique et protéger l'environnement.
Imaginons ce qui se serait passé si ces dispositions avaient existé au moment où le danger mortel de l'amiante a été découvert. Plutôt que de fermer les usines et contraindre les employeurs à dédommager les travailleurs lésés, dans le cadre d'un ISDS, les États auraient été dans l'obligation de payer les employeurs pour qu'ils ne tuent pas leurs citoyens. On aurait fait appel aux contribuables par deux fois : d'abord pour soigner les victimes de l'amiante et ensuite pour dédommager les employeurs de la baisse de leurs bénéfices lorsque l'Etat a réglementé l'utilisation de ce produit.
Il n'est guère étonnant que les accords internationaux voulus par l'Amérique penchent en faveur d'intérêts particuliers plutôt que du libre-échange. C'est ce qui arrive lorsque le processus de décision politique est entre les mains des seuls milieux d'affaires - sans que les élus du peuple au Congrès aient leur mot à dire.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Joseph Stiglitz est prix Nobel d'économie, professeur à l'université de Columbia à New-York et économiste en chef à l'Institut Roosevelt. Adam S. Hersh est économiste senior à l'Institut Roosevelt et professeur invité à l'Initiative pour un dialogue politique de l'université de Columbia.
© Project Syndicate 1995–2015
 
chroniques

chroniques | Editos | Analyses




En kiosque.














Inscription à la newsletter