La France renoue avec l’Europe

Mardi 23 Mai 2017

En se faisant élire à 39 ans Président de la République française alors qu’il y a peine un an il ne disposait d’aucune structure politique partisane , d’aucun réseau organisé, Emmanuel Macron vient de réaliser une performance historique exceptionnelle un peu comparable à celle de Bonaparte. Comment expliquer cette performance hors norme et comment en évaluer les conséquences pour la France en Europe ?


Dans tous succès de ce type il y en général la convergence de trois facteurs : l’intuition politique d’une personnalité, l’état des rapports de force dans le pays et enfin la chance.
L’intuition tout d’abord. Macron a compris des 2015 que le système politique français était à bout de souffle et qu’il faisait désormais l’objet d’un très large rejet de la part de l’opinion publique. Dés 2015 il se convainc que François Hollande serait dans l’incapacité de se représenter et qu’il fallait d’ores et déjà anticiper son retrait. Mais il a aussi compris très vite que le rejet de François Hollande impliquait la formulation d’une nouvelle offre politique qui écarterait les deux grands partis de droite et de gauche, qui règnent sans partage sur le pays depuis près de 50 ans. Son génie politique est donc d’avoir pensé qu’il était possible de lancer une force contre ces deux grands partis que sont les républicains à droite et le parti socialiste a gauche car pour lui le sprincipaux clivages du apys ne passent pas forcément par la droite ou la gauche. Mais comment faire pour y parvenir quand on est soi-même membre du gouvernement socialiste, qu’on n’est  pas élu et qu’on ne dispose pas de troupes derrière soi. Comment donc transformer des handicaps en force ? Macron va procéder en trois temps. Dans un premier temps il va en tant que ministre de l’économie développer un certain nombre d’idées sur la nécessaire modernisation du pays, sur ses handicaps, sur les blocages et sur les tabous idéologiques qui rendent la réforme extrêmement difficile.
À droite, les propos de Macron sont considérés comme plutôt bienvenus mais personne ne les prenait au sérieux car Macron apparaissait comme un homme sans troupes. À gauche, il y avait un certain agacement idéologique face aux déclarations de Macron. Mais assez cyniquement François Hollande qui pensait à sa réélection considérait que l’expression libre de son ministre de l’économie lui permettrait d’obtenir le soutien du centre lorsque lui-même deviendrait candidat. La seule chose que François Hollande a oublié c’est que Emmanuel Macron ne préparait pas le terrain Hollande. Bien au contraire il préparait son propre envol et voulait tout faire pour empêcher le président de se représenter.
Quoiqu’il en soit et après avoir atteint une certaine notoriété dans l’opinion, Macron est passé à une seconde étape au printemps 2016 c’est-à-dire il y a de cela à peine un an ! Tout en étant ministre il a lancé un mouvement En marche, un mouvement qui précisément ne se voulait pas être un parti politique mais qui visait à mobiliser la population autour d’un certain nombre d’idées et de  réformes et aussi d’une critique très forte du système politique traditionnel. On ne peut en effet rien comprendre au succès de Macron si on ne mesure pas l’ampleur du rejet par l’opinion des partis politiques traditionnels et de leur incapacité à se renouveler.
Intervient alors une troisième étape qui commence à l’été 2016. Contre toute attente, Emmanuel Macron décide de quitter le gouvernement pour ne pas à avoir à endosser son bilan et de se lancer tout seul dans l’aventure politique.
Si la stratégie Macron reposait toutefois sur une très forte intuition politique et une bonne appréciation des rapports de force, son succès ne peut se comprendre que par un concours de circonstances relativement exceptionnelles. En effet si tout le monde savait que les socialistes n’avaient à peu près aucune chance de gagner les élections de 2017, la quasi-totalité des observateurs était convaincus que le candidat de la droite qui était François Fillon avait toutes les chances de gagner l’élection présidentielle face à Madame Le Pen qui ne cessait de progresser dans l’opinion et dont on savait qu’elle avait toutes les chances de figurer au second tour de l’élection présidentielle. Or dès le mois de janvier 2017, François Fillon a été piégé par des révélations sur l’emploi fictif de sa femme à l’Assemblée nationale et l’utilisation de fonds publics pour financer ses propres enfants. À partir de la la campagne de la droite se dérégla car François Fillon passa plus son temps à chercher à se défendre qu’à défendre son projet. Les socialistes étant totalement discrédités, la voie était libre pour Emmanuel Macron d’apparaître comme le candidat le plus crédible face au Front National qui a réalisé dans cette élection une percée considérable.
Du coup à travers de cette élection le système politique français a basculé puisqu’il est passé d’une logique d’affrontement entre la gauche et la droite à une logique d’affrontement entre les pro-européens et les antieuropéens entre les partisans de l’ouverture et les partisans du repli.
La victoire de Macron est donc très importante pour la France. Mais elle est bien évidemment très important aussi pour l’Europe et plus généralement pour le monde occidental car c’est au fond la première grande élection significative qui casse la vague populiste que l’on a vu déferler avec le Brexit et la victoire de Trump. Car il est absolument évident qu’une victoire de Madame Le Pen aurait été catastrophique pour l’Europe car celle-ci n’aurait absolument pas pu résister à la sortie d’un des membres fondateurs de l’union européenne.
Ceci étant en il ne faut pas penser que cette élection va tout régler. Cette élection révèle bel et bien l’existence d’une société clivée entre des électorats très distincts les uns des autres. Il ne faut pas perdre de vue que les ouvriers comme les employés ont massivement voté pour Madame Le Pen tandis que les cadres intermédiaires et supérieurs se sont massivement portés sur Monsieur Macron. Si l’on observe d’ailleurs le résultat au regard du niveau d’étude des électeurs ou de leur niveau de revenus on retrouve les mêmes clivages. La priorité absolue pour Monsieur Macron sera donc de réduire impérativement ce clivage. Faute de quoi dans cinq ans les populistes connaîtront un succès sans précédent. N’oublions pas qu’aux Etats Unis Trump a succédé à Obama.
Pour réussir Emmanuel Macron va donc avoir besoin de se doter d’une majorité présidentielle forte sans laquelle rien ne sera possible. Il devra ensuite dans la foulée réaliser un certain nombre de réformes structurelles notamment sur le marché du travail où la France est incontestablement en retard par rapport aux autres pays européens. Un retard qui explique assez largement le niveau de chômage particulièrement élevé qui existe en France. Il faudra enfin engager un dialogue politique beaucoup plus soutenu avec l’Allemagne pour renforcer l’Europe notamment en matière de gouvernance économique.
Macron a stoppé la glissade de la France vers populisme mortifère. Il lui appartient désormais de remonter la pente. Cinq ans ne seront pas de trop pour y parvenir.
Zaki Laïdi, professeur à Sciences Po Paris, était conseiller politique du Premier ministre français Manuel Valls.
© Project Syndicate 1995–2017
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