L'économie britannique et Cameron : Krugman en pleine contradiction

Lundi 20 Avril 2015

NEW YORK – Il est étrange de voir Paul Krugman s'en prendre tant et plus au gouvernement britannique. Il débute ainsi son dernier article interminable : "Depuis la crise financière, les résultats de l'économie britannique sont étonnamment mauvais". Il critique le gouvernement de Cameron pour ses "mauvais résultats économiques" et se demande comment ce dernier peut se présenter en "garant de la prospérité".


Examinons ses assertions de plus près. Depuis quelques mois Krugman fait l'éloge de la reprise américaine sous les auspices du président Obama et remet en question la reprise britannique. Pourtant, à comparer les deux économies, leurs trajectoires sont similaires et le Royaume-Uni fait mieux au regard de certains indicateurs.
En premier lieu, qu'en est-il du taux de chômage ? Au cours du dernier trimestre de 2007 il était de 5,2% au Royaume-Uni  et de 4,8% aux USA ; en mai 2010 il était de 7,9% au Royaume-Uni lorsque Cameron est arrivé aux affaires et de 9,8% pour la période mars 2010-mai 2010 aux USA. Enfin, pour la période novembre 2014-janvier 2015 il était de 5,7% au Royaume-Uni et de 5,4% aux USA. Dans les deux pays, le taux de chômage est donc maintenant légèrement au-dessus de son niveau d'avant-crise, tandis que leur cycle des affaires est sensiblement le même depuis fin 2007.
Quant au taux d'emploi, fin 2007 il était de 72,9% au Royaume-Uni pour la tranche d'âge 16-64 ans et de 62,8% aux USA ; il est tombé à 70,4% en mai 2010 au Royaume-Uni et à 58,6% aux USA pour la période mars 2010-mai 2010. Mais le parallélisme s'arrête là :  pour la période novembre 2014-janvier 2015 au Royaume-Uni le taux d'emploi a grimpé à 73,8%, un record sans précédent, tandis qu'aux USA il n'a que très faiblement progressé, n'atteignant que 59,2% - en dessous de son niveau d'avant-crise. Cela suggère que la proportion de travailleurs découragés de chercher un emploi est plus importante aux USA qu'au Royaume-Uni.
Examinons maintenant la croissance. Au Royaume-Uni le PIB réel (ajusté en fonction de l'inflation) a diminué de 3,8% entre le 4° trimestre 2007 et le 2° trimestre 2010, tandis qu'il a diminué de 1,6% durant la même période aux USA. Du 3° trimestre 2010 au 4° trimestre 2014 il a augmenté de 8,1% au Royaume-Uni et de 10,5% aux USA. Autrement dit, depuis l'arrivée au pouvoir de Cameron en mai 2010, la croissance a été marquée dans les deux pays.
La croissance britannique a été légèrement inférieure à celle des USA, mais entre autres facteurs, durant cette période son économie a été confrontée à chute de la production pétrolière en mer du Nord, tandis que les USA ont bénéficié du boom du gaz de schiste. Certes on ne peut attribuer ces tendances aux gouvernements en place. Néanmoins, au cours des deux dernières années la croissance cumulée du Royaume-Uni a été très voisine de celle des USA (respectivement 5,4% et 5,6% du 4° trimestre 2012 au 4° trimestre 2014).
Krugman insiste lourdement sur le fait que l'économie du Royaume-Uni n'a pas tellement bien rebondi après la baisse de sa production qui a été plus importante qu'aux USA entre le 4° trimestre 2007 et le 4° trimestre 2010 - une baisse qui a eu lieu avant l'arrivée de Cameron. La remarque de Krugman est cependant exacte, la croissance de la productivité est restée faible au Royaume-Uni, mais il est impossible de dire avec certitude pourquoi.
Peut-être la bulle qui a précédé la crise de 2008 était-elle plus importante au Royaume-Uni qu'aux USA, peut-être qu'en raison de la structure de son économie (notamment la part importante de la finance dans son PIB et le déclin prolongé de sa production énergétique), le ralentissement initial était plus difficile à corriger. Le Royaume-Uni a été plus exposé à la crise prolongée de la zone euro. Par ailleurs, pour comparer l'évolution de leur productivité, il faut prendre en compte des différences subtiles dans le chiffrage de leur revenu national.
L'estimation de l'écart entre production réelle et production potentielle réalisée par le FMI (voir sa base de données sur les perspectives de l'économie mondiale) ne donne pas l'impression qu'en 2014 la dépression cyclique ait été plus accentuée au Royaume-Uni qu'aux USA. A considérer les estimations du FMI c'est même le contraire. Il évalue l'écart de production du Royaume-Uni (en tant que pourcentage du PIB potentiel) à 1,2% contre 3,5% pour les USA. Les deux estimations sont sujettes à interprétation ; ainsi le FMI fait l'hypothèse que l'économie du Royaume-Uni était bien au-dessus de son PIB potentiel durant la période 2006-2008.
Les évolutions cycliques des économies américaine et britannique se ressemblent, avec un fort ralentissement entre 2007 et 2010 suivi par une relance dans la création d'emplois et un bond du PIB depuis, avec une amélioration rapide au cours des deux dernières années. Si Krugman fait l'éloge du redémarrage économique sous l'administration Obama, il devrait en faire de même pour le redémarrage britannique sous Cameron, car ils se ressemblent beaucoup.
Tant aux USA qu'au Royaume-Uni, l'évolution économique est allée à l'encontre d'une idée sur laquelle Krugman a beaucoup insisté et qu'il a défendu au moins jusqu'à fin 2013, selon laquelle un redressement économique fort exige une stimulation budgétaire forte. Après 2010, la reprise dans les deux pays s'est faite malgré une diminution significative de leur déficit budgétaire structurel (ajusté cycliquement), ce qui suggère que leur redressement a eu lieu dans un contexte de contraction budgétaire. Selon les estimations du FMI, entre 2010 et 2014 le déficit budgétaire structurel est passé de 8,4% à 4,1% du PIB potentiel au Royaume-Uni et de 9,1% à 4% aux USA.
Plutôt que de critiquer Cameron et de tresser des louanges à Obama, Krugman devrait féliciter les deux pays pour leur reprise économique. Si ce n'est à envisager une nouvelle tragédie grecque, ils ont finalement réussi à se dégager de la crise de 2008. Le moment est venu pour eux de regarder au-delà des mesures macroéconomiques à court terme pour se tourner vers les défis que pose le développement durable.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de santé publique, est directeur de  l’Institut de la Terre à l'université de Columbia à New-York. Il est également conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU pour les Objectifs du millénaire pour le développement.
 
chroniques

chroniques | Editos | Analyses




En kiosque.














Inscription à la newsletter