Il faut une révolution dans le secteur du bâtiment

Lundi 14 Août 2017

Depuis 20 ans la productivité du secteur du bâtiment croit de seulement 1% par an. Il doit enfin se moderniser pour répondre à une demande de plus en plus pressante, au besoin croissant de logements et au manque d'infrastructures.


Il faut une révolution dans le secteur du bâtiment
Contrairement à d'autres secteurs comme l'agriculture et la production manufacturière qui ont notablement évolué et amélioré leur productivité au cours du temps, celui du bâtiment paraît figé. Aux USA, entre 1947 et 2010, ajustée en fonction de l'inflation, la croissance cumulée de la productivité a été de 760% dans le secteur manufacturier, contre seulement 6% dans celui du bâtiment.
Bien que ce secteur ait depuis longtemps conscience de ses manques, il n'a pas encore la volonté d'y remédier. Mais étant donné les besoins, cette situation ne pourra s'éterniser. L'urbanisation se stabilise  peut-être dans nombre de pays avancés, mais elle continuera dans les pays émergents. Dans les 20 plus grandes villes du monde (dont 15 sont en Asie), 36 millions de logements  seront nécessaires d'ici 2025.
En raison du coût du logement, en 2014 quelques 330 millions de ménages urbains connaissaient des difficultés financières ou vivaient dans des habitations ne répondant pas aux normes minimales ; leur nombre devrait atteindre 440 millions en 2025. Même dans un Etat riche comme la Californie, plus de 40% de la population ne peut accéder à un logement décent en raison des prix du marché.
La demande croissante en ce domaine constitue une occasion rêvée pour remodeler le secteur du bâtiment et créer de la valeur par une action concertée. Selon une étude  du McKinsey Global Institute, ce secteur pourrait accroître jusqu'à 60% la productivité de la main d'œuvre en procédant à des réformes dans 8 domaines essentiels : la réglementation, la conception, les contrats, la gestion des achats, l'exécution des travaux, l'automatisme et les nouvelles technologies, les matériaux et la qualification des intervenants.
Une hausse de 60% de la productivité se traduirait par une augmentation de la production annuelle de 1600 milliards de dollars (à peu prés l'équivalent de l'économie canadienne) et une augmentation de 2% le PIB mondial. Cette croissance, dont plus du tiers pourrait être réalisée aux USA, comblerait la moitié des besoins mondiaux en terme d'infrastructure.
La gestion d'un programme de construction est généralement complexe. Sa réussite exige du début à la fin un pilotage qui permette à tous les intervenants de comprendre leur rôle et de convenir des principaux indicateurs d'avancement des travaux.
Les projets à caractère répétitifs - notamment la construction d'habitats bon marché à grande échelle - pourrait être l'occasion de venir à bout de beaucoup de causes essentielles de la faible productivité du secteur. Par leur nature, ils encouragent l'évolution vers un système de production de masse analogue à ceux qui existent dans le secteur manufacturier. Cela supposerait plus de normalisation, de modularité et de préfabrication. Pour éviter que les différents corps de métiers se bousculent pour un minimum d'espace sur le site de construction, la plupart des éléments seraient construits en usine, dans un environnement maîtrisé.
Certains constructeurs d'habitat résidentiel appliquent déjà cette stratégie. Ainsi une entreprise espagnole propose un modèle unique de maison de trois étages, ce qui lui permet avec une main d'œuvre identique d'en construire 5 à 10 fois plus qu'elle ne le ferait avec les méthodes traditionnelles. De la même manière, un constructeur canadien propose un modèle avec plusieurs variantes qu'il présente en détail avec leur prix sur son site internet.
Le secteur du bâtiment a l'occasion de se réinventer après des décennies de croissance médiocre de la productivité, mais il faudra pour cela que les incitations économiques soient au rendez-vous. Il est nécessaire par exemple de renforcer le lien entre productivité et rentabilité au niveau des entrepreneurs. Car si l'attente des propriétaires ne change pas, beaucoup d'entrepreneurs risquent de perdre de l'argent s'ils adoptent un nouveau système à plus grande échelle, plus efficace et moins redondant.
De leur coté, les propriétaires n'investissent généralement pas à une échelle suffisante pour peser à eux tout seul sur la dynamique du secteur. Et comme ils ne veulent pas prendre de risques ou modifier leurs exigences sans savoir quel en sera le résultat, c'est une impasse qui se profile à l'horizon.
Pourtant, du fait de la demande croissante en matière de construction, le secteur est sur le point d'évoluer. Les dirigeants politiques commencent à considérer sérieusement les questions de coût et d'économie d'échelle : le manque de logement à prix abordable, les restrictions budgétaires qui conduisent à rentabiliser au mieux chaque dollar investi et le prix relativement faible du pétrole qui exerce une pression à la baisse sur les dépenses d’investissement dans le domaine pétrolier.
De grandes firmes agressives dans le secteur du bâtiment (beaucoup sont chinoises) s'imposent sur les marchés mondiaux. Elles disposent des capitaux nécessaires pour accroître leur efficacité et développer de nouveaux systèmes de production, et elles utilisent de nouvelles technologies - tels les outils digitaux, la robotique la plus évoluée et de nouveaux matériaux - pour doper leur rendement.
Beaucoup de dirigeants des grandes firmes de construction ont fini par admettre le besoin de changement et expriment leur volonté de le mettre en œuvre. Ils savent que s'ils ne se préparent pas aux bouleversements à venir en repensant leur fonctionnement, ils pourraient être les laissés-pour-compte du grand saut de productivité qui se dessine.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Nick Baveystock est directeur général de l'Institution des ingénieurs civils (ICE) basée à Londres, vice-président de Thomas Telford Ltd, et ancien élève du Collège royal d'études de défense de Grande-Bretagne . Jan Mischke est chercheur au McKinsey Global Institute.
 
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